Actualité

Les paradis fiscaux et bancaires, quel avenir ?

Le Président Nicolas Sarkozy, dans son allocution télévisée de jeudi dernier a souligné l'importance qu'il accordait à la question des « paradis fiscaux » dans le cadre de la réforme des règles de contrôle de la finance internationale. Sur la question de la transparence des hedge funds, fonds spéculatifs, dont il a critiqué les interventions sur les marchés financiers, il a dressé les objectifs politiques de la France : « Nous irons avec Madame Merkel au sommet de Londres du 2 avril pour obtenir des décisions structurelles (…) la marge de négociation est nulle (…) sur les hedge funds, sur la régulation, sur la rémunération dans les institutions financières, sur les paradis fiscaux ». Le président a évoqué ensuite la question d'Andorre et de Monaco avant d'ajouter « cela nous amènera à poser un certain nombre de questions à nos voisins Luxembourgeois. »

Le Président a par ailleurs bien souligné qu'il n'était pas opposé à la concurrence fiscale : « Que certains états veuillent mettre leurs impôts très bas, c'est leur droit, mais nous devons exiger la transparence sur la provenance des fonds (d'où viennent-ils ? Où vont-ils ?) parce que là aussi dans ces paradis fiscaux sont logées des dettes immenses que nous ne voulons pas payer… ». Il ne s'agit donc pas, en réalité, de s'attaquer aux « paradis fiscaux », mais bien plutôt aux « paradis bancaires » et aux « paradis fiscaux bancaires » (voir encadré), et donc, in fine, au secret bancaire lui-même. C'est tout l'enjeu des négociations internationales à venir.

Typologie des paradis fiscaux et bancaires

Il existe trois types de « paradis fiscaux » :

1 - Paradis strictement fiscaux : qui ne se distinguent que par un régime fiscal exceptionnellement favorable par rapport aux autres législations fiscales. Dans ce cas de figure on peut retrouver : la Belgique (en ce qui concerne la fiscalité successorale et les dividendes), mais aussi les nouveaux entrants européens (pays de l'Est et pays Baltes qui recourent massivement au système de la flat tax en matière de fiscalité d'entreprises), certains états américains comme le Delaware (pour les entreprises immatriculées mais réalisant leur chiffre d'affaires en dehors des limites de l'état) ou encore les collectivités d'outre-mer françaises (Tahiti, Nouvelle-Calédonie, Guyane, St Barthélémy, Ste Lucie etc…) ou les présides espagnols (Ceuta et Melilla) etc… Toutes ces entités bénéficient d'une fiscalité attrayante mais en aucun cas d'un secret bancaire hermétique.

2 - Paradis strictement bancaires : qui se distinguent par un secret bancaire plus ou moins poussé en fonction des accords passés. Et l'on peut dire qu'à cet égard le poids des états n'est pas égal. L'IRS américain par exemple a permis aux Etats-Unis de disposer d'un réseau de conventions internationales le plus développé du monde en matière d'échanges d'informations bancaires. Ainsi par exemple le Costa Rica est-il relativement transparent sur le plan bancaire vis-à-vis des Etats-Unis, mais désespérément opaque pour les pays de l'Union Européenne… Il faut donc véritablement dissocier l'image du paradis fiscal de celui de paradis bancaire. Un paradis bancaire peut-être la Suisse par exemple pour un certain nombre de pays, mais la Confédération helvétique propose une opacité différentielle en fonction des conventions signées bilatéralement avec les pays tiers. La France par exemple a signé une convention en vue d'éviter les doubles impositions en date du 9 septembre 1966, qui vient de recevoir un avenant en matière de coopération administrative et d'échange d'informations en date du 12 janvier 2009. Pourtant la Suisse bénéficie d'une fiscalité comparable à celle des autres pays concernant ses propres ressortissants (comparable par exemple à la fiscalité irlandaise). Il en est de même du Luxembourg, qui dispose lui aussi d'un secret bancaire renforcé, mais impose ses résidents à un niveau relativement comparable à celui des autres pays d'Europe sur les revenus du travail.

3- Paradis qui mêlent les genres fiscaux et bancaires : qui eux combinent les difficultés et parfois les effets de nuisance au niveau financier. Il faut en effet pour accueillir une florissante industrie financière, disposer à la fois du secret bancaire et de facilités fiscales. Dans ce dernier carré, se rencontrent les habituels paradis fiscaux : Bahamas, îles des Antilles et de l'océan indien, voire du Pacifique. Ce sont ces derniers endroits qui se révèlent être les refuges des structures spéculatives les plus opaques. On les dit anglo-saxons à plus de 70%. Ce serait ignorer qu'il en existe également de très nombreux en Asie et au Moyen-Orient. Et quelques uns en Europe… Andorre par exemple, mais aussi le Liechtenstein, ou encore Monaco.

L'attractivité fiscale, combinée à l'opacité bancaire, permet d'encourager les flux de capitaux opaques et d'en sécuriser l'accès. Si le secret bancaire est sur la sellette, c'est parce qu'il permet une sécurisation de l'évasion fiscale et des revenus du crime organisé. Cependant, il n'existe pratiquement pas de « paradis bancaire et fiscal » qui ne dispose d'une convention bancaire privilégiée avec au moins un état tiers. Les cas les plus manifestes s'agissant de la France résident bien évidemment dans ses relations avec Monaco ou Andorre.

C'est dans ce cadre qu'il faut entendre les propos du Président de la République : « Cela m'amènera à revoir nos relations avec Andorre, à poser la question de nos relations avec Monaco, qui par ailleurs n'est pas un paradis fiscal, mais enfin, il y a des choses que nous devons préciser ». Andorre et Monaco sont des paradis bancaires fiscaux (voir encadré) car ils disposent à la fois du secret bancaire et de facilités fiscales.

L'exemple de Monaco :

Dans sa relation avec la Principauté, le secret bancaire monégasque n'est pas opposable au fisc français tout particulièrement concernant les comptes des ressortissants français. Bien entendu, « préciser les choses », revient à affirmer que des progrès sont encore à réaliser en matière de coopération s'agissant de ressortissants d'autres nationalités.

L'exemple d'Andorre :

Vis-à-vis d'Andorre, le sujet est radicalement différent : l'opacité pour le fisc français est plus importante en raison de l'exercice coutumier de la co-souveraineté entre le Chef de l'Etat français et l'évêché d'Urgell depuis 1607 sur le territoire. Une situation qui a permis face aux délégués français et épiscopal espagnol (les viguiers) de laisser le pouvoir de fait aux Andorrans. La constitution précise en effet « Sauf dans les cas prévus par la Constitution, les Coprinces ne sont pas responsables. La responsabilité de leurs actes incombe aux Autorités de l'Andorre qui les contresignent. »

La difficile résorbsion des paradis bancaires fiscaux

Ainsi, dans ces cas d'espèce proches de la France, se trouve en quelque sorte résumée la question politique de l'opacité bancaire et de la concurrence fiscale en ce qui concerne les paradis bancaires fiscaux, Andorre comme Monaco étant considérés comme d'authentiques paradis fiscaux et bancaires pour les autres états de l'Union Européenne. Les paradis bancaires fiscaux sont ainsi généralement de petites juridictions disposant de peu de ressources et qui ont vu dans l'édification de législations fiscales très protectrices des investisseurs, la seule façon de pouvoir se développer face à leurs puissants voisins. Ainsi en est-il par exemple des paradis bancaires situés dans les Caraïbes ou les îles du Pacifique. A part les ressources touristiques, ce sont des entités qui ne disposent généralement d'aucune ressource propre et qui ne recourent à l'attractivité bancaire et fiscale que comme un ultime effort de développement. Or, la difficulté résidera dans la possibilité de pouvoir offrir à ces pays une « monnaie d'échange » afin de leur permettre de continuer à subsister. La stabilité politique de certaines de ces entités est en jeu.

Il est indispensable de bien comprendre que l'établissement du secret bancaire dans ces pays a permis l'afflux de capitaux (souvent douteux mais pas toujours), en assurant impunité et sécurité aux déposants. Ceci était particulièrement utile à l'époque où les législations nationales notamment occidentales tentaient d'endiguer l'évasion des capitaux en utilisant des exit tax plutôt que de s'interroger sur les raisons de ces départs massifs. Les taux de prélèvements presque confiscatoires de certains pays (notamment la France) impliquaient de la part des pays d'accueil à moindre fiscalité d'offrir la couverture de leurs secrets bancaires à ces patrimoines fuyant l'absence de concurrence fiscale. Il en est de même pour des juridictions plus proches de nous et au statut fiscal particulier comme la Polynésie française, et St Pierre et Miquelon, deux régions française qui sont reconnues comme « paradis fiscaux » et stigmatisées comme tels par le Portugal et l'Italie [1]. Il est aisé d'imaginer les conséquences politiques d'un réaménagement de leurs statuts fiscaux, qui constituent un élément important de leur stratégie de développement économique.

Etablir une transparence bancaire globale mais défendre la concurrence fiscale

En définitive, il faut bien comprendre qu'aujourd'hui, le problème se pose différemment. Le développement du crime organisé et de la finance créative impliquent sans aucun doute qu'une pression soit effectuée à l'encontre du secret bancaire des entités les moins régulées. Il faut cependant que cette négociation ne s'effectue pas en soldant l'enjeu fiscal par pertes et profits. Il est en effet particulièrement important, dans un univers économique mondialisé, que la transparence réclamée par les Etats à forte fiscalité et à secret bancaire faible, soit contrebalancée par une vraie concurrence fiscale non faussée. Pour ce faire, ces pays ne doivent pas multiplier les entraves à la libre circulation des capitaux et des patrimoines. Certains pays, comme le Canada par exemple, font les pires difficultés à la libre domiciliation fiscale de leurs ressortissants : imposition de plus-values latentes, exit tax etc…

Autant de procédés qui se conjuguent à une concurrence acharnée des pays développés en matière de fiscalité des non-résidents. Or, la vraie concurrence à venir ne se fera sans doute pas uniquement sur le seul critère de non-résidence, mais bien aussi sur celui de la fiscalité des résidents. La France l'a bien compris avec le nouveau dispositif des « impatriés » de l'article 181 C du CGI pour les impatriés salariés et non salariés arrivés à compter du 1er janvier 2008. Mais il faudra sans aucun doute faire davantage en France : rendre définitivement pérenne le principe d'un bouclier fiscal à 50% (ce qui pourrait impliquer à terme sa constitutionnalisation) et tirer les bénéfices budgétaires des réformes administratives à venir pour faire baisser la pression fiscale.

Cependant, entre concurrence fiscale et paradis bancaires fiscaux, tout porte à croire que les feux de l'actualité se focaliseront sur les entités sous influence occidentale. Alors même que la négociation devrait être globale puisque les paradis fiscaux sont nombreux en Asie et au Moyen-Orient. Qu'il s'agisse de pays comme le Liban, ou comme les états arabes du Golfe, ces pays disposent, eux aussi, d'une véritable confidentialité bancaire. D'ailleurs, attirés par l'abondance de leurs capitaux et la richesse de leurs fonds souverains, les états occidentaux dont la France, cherchent à tirer de nouvelles opportunités des financiers islamiques. C'est ainsi, par exemple, que le 18 décembre 2008, Bercy s'est doté des dispositions fiscales propres à renforcer l'attractivité de la France en matière d'investissements financiers islamiques. En jeu : un pactole de l'ordre de 320 milliards $ au niveau mondial dont la France ne bénéficie que pour 2% de ses investissements étrangers contrairement à la Grande-Bretagne qui les attirent à hauteur de 7%.

Nul doute que, si les vertus éthiques mises en avant par les gouvernements occidentaux semblent partagées par la finance islamique qui retient ostensiblement des critères encore plus sélectifs (interdiction du prêt à intérêt, de la spéculation et des activités illégales), ceux-ci en pratique donnent lieux eux aussi à des montages complexes pour les contourner (remboursement d'une dette nominale supérieure à la somme effectivement prêtée, financement des réseaux islamistes, ventes d'armes etc…). Il faudra donc éviter les effets de substitution afin d'empêcher que les 10 000 milliards $ putatifs des hedge funds localisés dans les paradis bancaires fiscaux ne se « relocalisent » dans ces nouveaux « paradis » où, cette fois, il sera bien plus difficile de faire la chasse aux fraudeurs. En clair : si on met en place un accord international sur le secret bancaire, aucun paradis ne doit être oublié à condition d'accepter réellement le jeu de la concurrence fiscale et de s'en donner les moyens.

[1] Voir de façon comparée, afin de bien comprendre les enjeux internationaux de la stigmatisation fiscale, la comparaison entre les conventions fiscales de l'Espagne (Real Decreto 1080/1991), de l'Italie (Decreto 4 maggio 1999), du Portugal (Portaria n.°150/2004 de 13 de fevereiro).