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« Dessine-moi la compta » : un livre pédagogique à destination des responsables politiques

La comptabilité n’a pas très bonne réputation. La finance semble plus haut de gamme, le marketing plus « fun », la vente plus sportive, la technologie plus dans le vent et la production plus tangible. Mais si la comptabilité se développe depuis 4.000 avant notre ère, c’est qu’elle est plus que nécessaire, indispensable, elle est au fondement de l'invention de l'écriture (Butterlin 2019) par les Sumériens et autorise par son caractère conventionnel au-delà des langues parlées, le commerce avec l'Hindus, Barhein et Oman. La comptabilité est donc une discipline qui fonde la civilisation urbaine telle que nous la connaissons depuis lors. Elle est donc essentielle si l'on tient compte de ses résultats.

Isabelle de Kerviler revendique sa « passion » pour la comptabilité. Un terme fort qui en surprendra plus d’un, étant plus souvent utilisé en 2021 pour l’alpinisme, l’opéra, la gastronomie, ou la collection de papillons. Elle a clairement voulu relever le défi de rendre la comptabilité attrayante, et son parcours atypique (Expert comptable + Ecole du Louvre entre autres), lui fournit les armes nécessaires. S’adjoindre un illustrateur humoristique confirmait la démarche, mais le fond de cette méthode est tout à fait professionnel. L’affirmation de l'auteur nous assurant « que l’on vive à Paris, New-York ou Pékin, le langage comptable est le même », encourage à percer les mystères de cet outil.

Au jour le jour

En commençant par la gestion du budget d’un adolescent, les termes de base (caisse, partie double, compte explicatif, solde) sont présentés sur des cas concrets. Souvent des termes usuels sont utilisés (ex. recette) avant d’introduire les termes officiels (ex. rentrée).

Au second chapitre, le jeune homme a pris 4 ans, et c’est la comptabilité de la boutique de sa mère qui sert de support aux explications : les clients, les achats, les retours entrent en scène avec des comptes de trésorerie, charges et produits, immobilisation. Comme dans toutes les formations, ce qui semble simpliste au premier abord, se complique évidemment quand il faut jongler avec. Mais l’auteur multiplie les reformulations et les synthèses qui permettent de progresser. Le chapitre suivant introduit la panoplie des comptes clients et fournisseurs, les emprunts, les créances, les dettes.

Sur chaque page, des diagrammes, des textes encadrés et des dessins répétant et illustrant les textes, évitent les développements de paragraphes trop longs et trop denses, qui peuvent décourager.      

Périodiques

La second partie traite des documents de synthèse qui sont produits régulièrement par la comptabilité (compte de résultat et bilan). Sur ce sujet, de Kerviler aurait sans doute pu être plus lyrique et montrer à quel point ces outils de pilotage, essentiels pour les dirigeants, les analystes et les actionnaires, sont des leviers critiques pour affirmer la visibilité de la fonction comptable qui a besoin d’être plus valorisée. Il manque sans doute un petit focus sur les soldes intermédiaires de gestion, ainsi que sur la démarche spécifique de la comptabilité analytique. Par ailleurs même si les normes de la comptabilité sont devenues universelles (IAS, IFRS, US GAAP), le dernier chapitre est consacré au plan comptable français.

Conclusion

Malgré son côté attractif, ce livre, ou plutôt ce parcours, n’évitera pas une étude attentive du sujet, mais il la facilitera pour toute une série de personnes concernées, notamment des étudiants, indépendants, professions libérales, très petites entreprises et particuliers investisseurs.

Au niveau de nos responsables politiques et administratifs (Bercy, ministères, collectivités locales, hôpitaux), la comptabilité publique mérite d'être mieux partagée. Elle suppose que ces derniers soient frottés des grands principes comptables, ce que la diversité des parcours du personnel politique et notre culture générale contemporaine ne facilitent pas bien au contraire. Pour les parlementaires et les citoyens-életeurs, la comptabilité "politique", la comptabilité visible, budgétaire, n’est trop souvent qu’une simple comptabilité de tenue de caisse. Or il n'y a pas en France "une", mais quatre comptabilités publiques ne serait-ce qu'au sein de l'Etat: la comptabilité budgétaire (de caisse), la comptabilité générale (d'engagement, en droits constatés), la comptabilité nationale (le plus souvent en droits constatés (sauf livraison du matériel militaire)), la comptabilité d'analyse des coûts (CAC), une comptabilité analytique, fort peu développée. 

Par ailleurs ce petit livre pourrait servir également à nous rappeler qu'à Rome, le pouvoir politique plénier à l'époque républicaine n'appartenait qu'aux citoyens pouvant lors du recensement produire une comptabilité privée parfaitement tenue et à jour. Au-delà de l'aspect censitaire du régime, la tenue des comptes du chef de famille et leur production, matérialisaient la capacité du citoyen à voter et à servir la Respublica (Cl. Nicolet 1976, ainsi que Minaud 2005), puisqu'ils satisfaisaient déjà aux principes comptables (et politiques) de sincérité, de régularité et d'image fidèle. 

L'avènement de la démocratie comptemporaine s'est traduite tout au contraire par la mise à l'écart "techniciste" de la comptabilité. C'est sans doute une grave erreur. Là où les déficits s’accumulent, là où des investissements non rentables (ni financièrement ni socialement) sont régulièrement réalisés, là où des emprunts inconsidérés sont souscrits, là où les performances des organisations comparables (françaises et étrangères) ne sont pas étudiées, il est probable que les données issues de cette comptabilité ne sont pas prises en compte. Et que le service de comptabilité y est mal considéré : malheur au porteur de mauvaises nouvelles. La méthode de Kerviler pourra aider ceux qui veulent vraiment améliorer la situation.