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Des prélèvements sur le capital supérieurs aux prélèvements sur les salaires

Le gouvernement veut « taxer le capital comme le travail », et pour cela supprimer le prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) et le remplacer dans tous les cas par l'imposition des revenus du capital au barème de l'IR. Mais le gouvernement avait annoncé en même temps vouloir tenir compte de la contrepartie nécessaire, à savoir d'abaisser les prélèvements sociaux sur le capital (15,5%) au même niveau que ceux pesant sur les salaires (8%). Il veut maintenant revenir sur cette contrepartie en le justifiant de façon erronée, et avec un résultat aboutissant à taxer les revenus du capital plus que les salaires.

Dans le projet de PLFR il est indiqué à propos de la hausse de 2% des prélèvements sociaux (soit 15,5% au total), conservée malgré le fait qu'elle était censée compenser la baisse des cotisations familiales maintenant abandonnée : « Cette hausse s'inscrit dans l'engagement du Président d'imposer les revenus du capital comme ceux du travail. En effet, le taux des prélèvements sociaux sur les revenus du capital est de 15,5%, alors que le taux des prélèvements finançant des dépenses de solidarité est de près de 32% du salaire brut (24% de patronal et 8% de salarial) ». Autrement dit, il resterait implicitement une marge importante, entre 15,5% et 32%, d'augmentation des prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Ce qui est parfaitement faux.

Remarquons d'abord qu'il est officiellement admis que les cotisations patronales font partie du salaire (le « super-brut »). C'est une clarification qu'il faut saluer, mais il faudrait aussi en tirer toutes les conséquences [1]. Mais, même en admettant le postulat de base éminemment contestable qu'il faille taxer identiquement revenus du capital et salaires, et même en admettant aussi que les dépenses patronales de solidarité (essentiellement assurance maladie et famille) se montent à 24% du salaire brut, ce qui est tout à fait contestable, le calcul lui-même repose sur des bases très gravement erronées.

En effet,
- d'une part le raisonnement du PLFR implique de ne pas tenir compte du fait que les dépenses autres que celles de « solidarité » donnent lieu à des prestations individualisées au profit du salarié. Ainsi parle-t-on des retraites comme d'un salaire différé. Afin d'en tenir compte dans le but de calculer le montant des fonds restant aux salariés après prélèvements publics, il faut les rajouter après déduction de ces prélèvements.

- d'autre part, le calcul ne tient pas compte de la superposition des prélèvements et de l'IR, et du fait que les premiers ne sont déductibles de l'IR qu'à concurrence de 5,8% dans le cas de l'imposition des revenus du capital, et qu'au contraire la totalité des cotisations, y compris celles ne correspondant pas à des dépenses de solidarité, sont déductibles de l'IR du salarié à l'exception de 2,9% de CSG.

[( Note de méthodologie

Nous voulons calculer ce qui reste au contribuable après prélèvements sociaux et fiscaux. C'est simple en ce qui concerne les revenus du capital, puisqu'il suffit de tenir compte de l'addition de ces prélèvements. C'est plus compliqué pour les salaires. Si en effet on se bornait, pour neutraliser les dépenses autres que celles de solidarité, à retirer du calcul la partie des prélèvements sociaux les concernant, on aboutirait à un résultat faussé par le fait qu'on ne tiendrait pas compte pour le calcul de l'IR de la déductibilité des dépenses en question dont bénéficient les salariés. La seule méthode juste consiste donc à tenir compte de la situation réelle des prélèvements, toutes cotisations comprises, puis à rajouter dans un second temps, pour le calcul du reste pour le contribuable, les avantages qu'il retirera à terme individuellement des cotisations donnant lieu à prestations autres que celles de solidarité. Nous avons retenu comme hypothèses, pour un revenu de 100 dans les deux cas, 44% de cotisations patronales totales (ce qui donne un salaire brut de 69,4), 21% de cotisations salariales, et 20% d'IR moyen, ce qui correspond à un revenu taxable un peu supérieur à 100.000 euros. Les dépenses autres que celles de solidarité correspondent donc, en reprenant les chiffres du PLFR, à 20% du salaire brut pour les cotisations patronales (44-24) et à 13% (21-8) du même salaire pour les cotisations salariales. Enfin, la Sécurité Sociale étant censée présenter des comptes en équilibre, il est logique, pour le calcul des avantages tirés des prestations autres que celles de solidarité, d'évaluer ces prestations au montant des cotisations. )]

Voici les chiffres auxquels on aboutirait pour le montant des prélèvements sociaux et fiscaux respectivement sur les revenus du capital et les salaires, et en se plaçant dans le cadre de la réforme voulue par le gouvernement (suppression du PFL remplacé dans tous les cas par l'imposition au barème de l'IR).

[(

Revenus du capital

- Prélèvements sociaux : 15,50
- IR de 20% x (100-5,8) = 18,84

Soit un prélèvement total de 34,34, et un reste de 65,66 pour le contribuable. )]

[(

Salaires

- Prélèvements sociaux : au niveau patronal : 44% de 69,4 = 30,54 et au niveau salarial : 21% de 69,4 = 14,57
- IR de 20% x [ (69,40 + 2,01) - 14,57] = 11,37

Soit un prélèvement total de 56,48. Mais il y a lieu d'ajouter les prestations individuelles (par exemple les retraites) à recevoir ultérieurement au titre des cotisations autres que celles correspondant aux dépenses de solidarité (dans le cas des revenus du capital toutes les cotisations correspondent à des dépenses de solidarité), à savoir 13,88 (20% de 69,4 au niveau patronal) et 9,02 au niveau salarial (13% de 69,4), soit au total 22,90. Le prélèvement net ressort donc à 33,58 et le reste pour le contribuable à 66,42. )]

Du seul fait que, selon le programme gouvernemental, le PFL serait obligatoirement remplacé par l'imposition au barème, les revenus du capital seraient donc imposés plus que les salaires. Soulignons que nous avons pris pour hypothèses des cas de revenus qui ne se situent pas, et de loin, dans le très haut de la fourchette, et qu'au surplus les dépenses de solidarité nous semblent très surévaluées. Ce qui n'empêche que même avec ces hypothèses très conservatrices, le calcul aboutit à une surtaxation des revenus du capital. Il n'y a en vérité aucune marge disponible pour augmenter les prélèvements sociaux, CSG comprise, sur le capital. Une hausse générale très importante de la CSG, étant entendu que le gouvernement exclut celle de la TVA, serait nécessaire si l'on voulait, comme le propose la Cour des comptes et comme le demande le patronat, abaisser le coût du travail sans toucher aux prestations. Ce constat ne manque pas d'être très inquiétant.

[1] Par exemple en reconnaissant que toute augmentation des cotisations patronales signifie une hausse des salaires…