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Taxe carbone : Un impôt incompréhensible et pas à la hauteur des enjeux !

Le Gouvernement vient de faire connaître les grandes orientations qu'il retenait pour la taxe carbone. C'est qu'en effet la mesure s'empêtre avec le risque de s'enliser définitivement dans un réseau inextricable de contradictions rendant son objet incertain et illisible. On retient à l'heure actuelle que, au lieu de 32 euros la tonne, chiffre proposé par le rapport Rocard, le pouvoir compte réduire ses ambitions à 14 euros la tonne, que la mesure n'augmentera pas les prélèvements obligatoires globaux, mais que la compensation ne profitera pas également à tous.

Le 16 juillet dernier nous avions fait valoir notre grand scepticisme à l'égard de cette mesure. On voit maintenant fleurir les critiques sous presque toutes les plumes, et, si le cap paraît maintenant être donné par le Gouvernement, il s'en faut de beaucoup que sa récente mise au point fasse taire ces critiques. C'est qu'en effet le pouvoir est pris entre le marteau de la recherche de l'efficacité pour la lutte contre la pollution, et l'enclume de l'acceptabilité sociale.

Trop faible, la taxe est inefficace ; trop forte, elle est inacceptable, et son message est brouillé si on la rembourse, a fortiori en en faisant un instrument de redistribution en faveur des plus modestes ou pis encore en faveur de ceux qui risquent le plus d'être concernés, parce qu'ils sont plus consommateurs d'énergie (les ménages ruraux).
Le pouvoir n'a pas effectué un choix clair, en privilégiant à la fois un taux faible et un remboursement qui ne profitera qu'à une petite frange (les ménages pauvres et les ruraux). Même si globalement les prélèvements n'augmentent pas, il n'en sera pas de même au niveau de chaque catégorie sociale et il s'agira bel et bien d'un impôt, de type redistributif, pesant sur la très grande majorité des Français (les trois quarts des ménages semble-t-il) qui l'acquitteront sans pouvoir prétendre à son remboursement, à savoir une fois de plus les classes moyennes.

Quelques vérités simples s'imposent pourtant : les dépenses d'énergie sont typiquement des dépenses contraintes, et ceux qui polluent le plus n'y peuvent rien, l'incitation de nature fiscale ne pouvant avoir véritablement d'effet à leur égard ; de nombreuses sources directes ou indirectes de pollution resteront inatteignables [1] et de toutes façons des mesures homéopathiques seraient inefficaces, d'autant plus si elles étaient limitées à la France (qui n'émet que 1,6% du CO2 mondial) ; enfin nombre de dérogations seront exigées au nom de la compétitivité, comme celles déjà réclamées par les agriculteurs pour leurs cultures sous serre.

Dans ces conditions la taxe carbone ne peut être comprise par les classes moyennes qui ne l'acquitteront au final, que comme un impôt supplémentaire venant s'ajouter à tous ceux qui grèvent le prix de l'énergie pour le consommateur. Et, tout en rencontrant la grogne des Français, cette même taxe verra en outre son effet complètement dilué et s'évanouir dans le flot des compensations bien plus importantes auxquelles l'Etat, lorsque surviendra la moindre augmentation du prix du brut [2], devra consentir comme il l'a déjà fait récemment avec l'institution de la prime à la cuve et autres taxes-poisson. Sans compter que les mécanismes de redistribution du produit de la taxe au profit de certains seulement relèvent d'une usine à gaz quasiment impossible à mettre au point de façon équitable, et qui suppose une intrusion très contestable dans les choix des individus. Une stratégie qui risque fort d'être perdant-perdant.

C'est bien cher payer pour donner un « signal-prix », suivant l'expression des économistes, qui restera assez inaudible et dont l'effet sur les comportements restera, au mieux, négligeable. Il est fait grand cas de la Suède qui a institué une taxe carbone, actuellement au niveau élevé de 108 euros la tonne. Mais d'une part la Suède est particulièrement peu dépendante des énergies fossiles (l'utilisation du fuel domestique y serait quasiment inconnue), et d'autre part les industriels sont presque totalement exonérés, et pour les particuliers, la taxe a été compensée par des allégements correspondants sur les taxes pétrolières, si bien que le prix du litre d'essence est au total au même niveau qu'en France par exemple : où se situe dès lors le signal-prix ?

Les promoteurs de la taxe carbone paraissent oublier que l'énergie est déjà lourdement taxée (0,88 euro en TIPP et TVA en France pour un litre d'essence SP 95 en 2008) et que quelques centimes de plus ou de moins provoquent la grogne mais pas de changement de comportement. Surtout, tout effet éventuel sera noyé dans les fluctuations du prix du brut comme celles, considérables, rencontrées en 2007/2008. En réalité c'est le marché et la loi de l'offre et de la demande qui commandent ici, et, en provoquant inévitablement la forte remontée du prix de l'énergie fossile, obligeront beaucoup plus sûrement à modifier les comportements.

Autrement dit, la taxe carbone est « une mauvaise réponse à un vrai problème », car elle n'est pas à la hauteur des enjeux. Ses promoteurs avancent qu'il vaut mieux commencer d'agir plutôt que de ne rien faire. On peut répondre d'abord que les engagements pris dans le cadre européen et les taxes existantes sont d'ores et déjà bien plus contraignants que la taxe carbone. On peut aussi ajouter qu'il serait déplorable de se donner facilement bonne conscience en édictant une mesure qui n'est pas à la hauteur des enjeux.

Si le problème est vraiment aussi sérieux qu'on nous le dit, les solutions ne peuvent se trouver que dans des mesures drastiques, et le pouvoir doit faire preuve de cohérence dans son action. Par exemple, comment rendre la taxe carbone crédible alors que dans le même temps on gomme les effets du renchérissement de l'énergie du fait de la loi du marché, comme nous venons de l'évoquer à propos de la prime à la cuve et de la taxe-poisson – mais aussi lorsque le Gouvernement maintient les tarifs de l'électricité à un niveau artificiellement bas en s'opposant à la demande d'augmentation d'EDF destinée à couvrir des dépenses d'investissement nécessaires ? Les promoteurs de la taxe aiment nous rappeler que la consommation des pays développés en énergie fossile dépasse les ressources de la planète si l'on veut les considérer comme une mesure de la consommation mondiale moyenne. Cela se traduit directement dans les tensions imposées par le marché. Dès lors il faut être logique et accepter les contraintes de ce marché.

Finalement, on n'évitera pas des mesures drastiques et autoritaires. La circulation automobile et la nécessaire limitation de la puissance des véhicules individuels en constituent de bons exemples. Mais de telles mesures ne relèvent pas du cadre national. Il faut encore une fois agir au niveau européen, avant même de parler du cadre mondial. Il nous faut plus d'Europe !

Dernière minute :

Il semblerait finalement que les arbitrages ne soient pas encore rendus par le chef de l'Etat. D'autre part, la Commission Européenne est défavorable à la taxe carbone telle qu'envisagée par la France. Une autre piste paraît aussi être envisagée : celle de la taxe aux frontières de l'Union Européenne (dite taxe Cambridge) ce qui est tout autre chose et ce sur quoi la Commission Européenne n'est pas non plus très favorable pour des questions de protectionnisme. En résumé, c'est bien par des négociations au niveau mondial qu'il faut protéger la planète, si la situation est aussi sérieuse qu'on le dit.

[1] Est-il d'ailleurs question de taxer les poëles à bois, alors que le chauffage individuel au bois est le plus polluant de tous ?? – et cessons d'évoquer le cas parfaitement marginal des fameux 4x4 parisiens, d'ailleurs relativement peu polluants parce que modernes.

[2] Et aussi évidemment du gaz, puisque l'on sait que nos contrats à long terme d'approvisionnement de gaz sont indexés sur le prix du brut.