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Sécurité ferroviaire : le réseau britannique en question

Dans le transport aérien, les transporteurs ont comme règle de ne jamais commenter leurs performances ni celles de leurs concurrents en matière de sécurité. Cette politique semble sage : en effet, qui aurait pu prévoir l'accident du Concorde ou celui du mont Sainte-Odile ? Dans le domaine du rail en Europe, les entreprises suivent des règles similaires. On imagine les dégâts dans l'opinion publique si la SNCF avait basé sa communication sur ses performances en matière de sécurité juste avant l'accident de la gare de Lyon en 1988 (59 morts), et de même pour British Railways avant celui de Clapham Junction aussi en 1988 (35 morts). Malgré cette prudence des opérateurs, il s'est répandu en France la conviction que les accidents mortels sont fréquents dans les chemins de fer anglais. Explications.

Un peu d'histoire

Le Royaume-Uni a expérimenté une privatisation globale de son système ferroviaire dans le milieu des années quatre-vingt-dix. Décidée par John Major, le processus a duré une dizaine d'années avec pour principales caractéristiques :
- une entité « Railtrack » à qui furent confiées la propriété et la gestion du réseau,
- 25 entités géographiques confiées à des opérateurs privés chargés de la gestion commerciale et de faire circuler les trains,
- 4 compagnies de fret,
- 3 sociétés de location ferroviaire.

Mais le réseau n'était pas en bon état au moment de la cession, en raison d'un sous-investissement chronique de l'État. Peu de politiques croyaient en l'avenir du rail contre la route. De 1967 à 1986, le niveau d'investissement oscillait autour de 1 milliard de £, ce qui était très peu, et atteignit péniblement 1,29 milliard de £ en 1996 juste après la privatisation. Une fois la privatisation mise en route, la dégradation du réseau s'est accélérée, principalement due au fait que les opérateurs privés versaient à Railtrack des péages forfaitaires qui n'avaient aucune relation avec la fréquence d'utilisation du réseau. Des lignes très sollicitées, par exemple autour de Londres, ne recevaient pas le niveau d'investissement nécessaire à leur entretien et encore moins à leur amélioration.

Le réseau n'a pas été le seul à subir un sous-investissement : la rénovation du matériel roulant n'a pas bénéficié non plus de l'attention des pouvoirs publics et l'inconfort des voitures et la piètre qualité du service à bord étaient connus de tous. L'accident de Hatfield en octobre 2000 (4 morts et 35 blessés) a ramené tous les Britanniques à la dure réalité, à savoir que pas plus l'État - qui s'était complètement désintéressé des chemins de fer depuis des décennies - que les nouveaux intervenants privés n'avaient les ressources pour faire face à la situation.

Les pièges de la privatisation

De 1994 à 2002, l'augmentation de la fréquentation des voyageurs était de 36 % (en voyageurs-km) et de 45 % (en tonnes-km) pour la partie fret. Ces bons résultats auraient dû entraîner des investissements de maintenance et de rénovation qui n'ont pas été faits. Les compagnies privées avaient une approche très commerciale du client avec des programmes de fidélisation, etc. Mais les prix sont restés très élevés. En effet, il n'y a pas eu de véritable concurrence entre les opérateurs car chacun était en situation de quasi-monopole dans sa région. Cette libéralisation trop timide et l'absence de concurrence à l'intérieur d'une même concession géographique expliquent que les Britanniques avaient et ont toujours les chemins de fer les plus chers d'Europe [1].

En 2001, l'infrastructure réseau Railtrack est revenue de fait dans le giron de l'État et en octobre 2002 Network Rail a repris le réseau avec un statut similaire à un EPIC. Afin de redresser la situation, l'investissement a atteint 6,1 milliards de £ dans le cadre du plan « Transport Ten Year Plan 2000 ». Finalement, alors que l'objectif de la privatisation devait être de tendre vers une contribution nulle de l'État, les pouvoirs publics ont dû par la suite investir près de trois fois plus qu'avant. En revanche, la privatisation a eu un impact positif sur la productivité. De 1994 à 2002, le nombre d'agents est passé de 128 000 à 51 000, soit une baisse de 60 % pour les effectifs à mettre en face d'une augmentation de + 39 % de la fréquentation.

La privatisation a-t-elle eu un impact sur les accidents ?

Les dernières statistiques Eurostat disponibles, comparant TOUS les pays européens, datent de 2007 et traitent des années 2004 et 2005. En 2005, on peut voir que le nombre total d'accidents en France est de 138 et 121 tués ou grièvement blessés, et respectivement de 106 et 95 au Royaume-Uni. L'iFRAP a rassemblé les données 2007 fournies par RFF [2], l'EPSF [3], Network Rail et l'ERA [4] pour construire le tableau ci-dessous.

Network RailRéseau Ferré de France
Longueur réseau commercial (km) 16 652 (*) 29 213
Nombre de passages à niveau 7 600 17 998
Ratio passage à niveau/km 2,1 1,61
Trafic total trains/jour 22 000 15 000
Trafic marchandises tonnes-km 2005 49 717 108 419
Trafic voyageurs trains-km 2005 519 380 505 799
Effectifs 35 000 798 (**)
* : Dans le rapport Network Rail, mais 31 473 km dans la base de l'ERA
** : Effectif RFF seul à compléter des 55 000 agents Infrastructure travaillant pour RFF (source : rapport Haenel) dont 480 horairistes et 14 400 agents chargés de l'exploitation du réseau.

Ces tableaux montrent également que les chemins de fer du Royaume-Uni sont moins dangereux que les chemins de fer français ! Il est bien entendu que la sécurité dans le domaine ferroviaire est un combat permanent et aucun pays ne peut prétendre être le meilleur et le rester.

2007Longueur réseau (km)Millions de trainsNb blessés sérieuxNb tuésTotalRatio
France 29 973 529 500 46 83 129 0,243
Royaume-Uni 31 473 538 104 31 58 89 0,165

Pour s'en convaincre, il suffit de consulter le tableau où l'on voit que la majorité des accidents ne sont pas dus directement à des collisions ou à des déraillements, mais à des imprudences tant aux passages à niveau qu'à la circulation de personnes sur les voies.

2007TotalCollisionsDéraillementsPassages à niveauPar matériel en marcheAutres
France 129 4 0 48 67 10
Royaume-Uni 89 0 13 14 62 0

Seules des campagnes de sensibilisation comme celle entreprise par Network Rail sur la sécurité aux passages à niveau (« Level crossing X don't run the risk ») permettent de traiter les problèmes de sécurité. Bien loin des discours que l'on peut entendre par ailleurs…

[1] Les franchises accordées aux opérateurs de durée relativement courte expliquent les tarifs élevés, les opérateurs disposant de trop peu de temps pour obtenir un retour sur investissement

[2] Réseau Ferré de France

[3] Etablissement Public pour la Sécurité Ferroviaire

[4] European Railways Agency