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Électricité : risque de pénurie pour cause de surproduction

Le cas est classique en agriculture : après une année de surproduction de blé où les prix se sont effondrés, les agriculteurs se tournent vers d'autres céréales, et une météo défavorable suffit à provoquer une pénurie et une forte augmentation des prix. Le développement incontrôlé d'énergies renouvelables subventionnées en Europe a conduit au même résultat : il existe un risque de black-out électrique cet hiver.

Depuis dix ans, la consommation d'électricité augmente peu en France. Avec la crise, l'augmentation du prix de l'électricité et les mesures d'économie d'énergie, elle est quasiment stable. Et pourtant, de nouveaux moyens de production, centrales éoliennes et photovoltaïques notamment, sont régulièrement connectés au réseau français. Elles produisent de façon intermittente avec une moyenne de 15 à 25% de leur puissance et leurs coûts sont plus élevés que ceux des centrales classiques (nucléaire, hydrauliques, thermiques). Mais ces nouveaux entrants sont prioritaires sur le marché : EDF doit, à tout instant, acheter leur production [1].

En France, la production de ces nouvelles énergies est encore modeste (photovoltaïque à 0,6% de la consommation d'électricité, éolien 3%), mais d'autres pays (Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Danemark) ont financé des centrales éoliennes et photovoltaïques beaucoup plus considérables qui bénéficient du même privilège : leur production arrive en France, à des prix très faibles (parfois négatifs) quand la consommation locale est inférieure à la production, et se retrouvent prioritaires sur toutes les autres.

Un effet de ciseau

La consommation d'électricité étant très variable, les différents fournisseurs ont une production de base relativement constante (nucléaire, pétrole ou charbon) complétée par des centrales généralement au gaz très flexibles, mises en route uniquement à la demande. Ces centrales d'appoint sont indispensables mais n'étaient utilisées que 50% du temps. Avec l'arrivée des énergies renouvelables, ces centrales ne sont plus utilisées que 10 à 15% du temps. N'étant plus du tout rentables, et fortement concurrencées par les centrales à charbon, les fournisseurs les ont fermées. D'après Gérard Mestrallet (Les Échos du 5 décembre 2013), 50 gigawatts de centrales à gaz ont été fermés en Europe, soit l'équivalent de 50 tranches de centrales nucléaires.

Mais si la production de ces centrales est le plus souvent remplacée par celle des éoliennes et du photovoltaïque, la conjonction d'une période anticyclonique cet hiver (froid + absence de vent) expose notre pays, comme ses voisins, à une pénurie d'électricité ou un black-out. Déjà, en 2012, le prix du MWh qui se situe habituellement entre 40 et 50 euros sur le marché de gros, est monté ponctuellement à 3.000 euros : c'était vraiment la panique chez certains opérateurs !

Pour traiter ce problème, la Commission européenne a décidé d'autoriser les subventions d'État aux centrales aux énergies fossiles (charbon, gaz, fuel) de remplacement.

Subventions sur subventions

Subventions aux énergies renouvelables, subventions aux centrales à gaz de secours, développement des centrales à charbon plus polluantes, fermetures de centrales à gaz et nucléaires en état de marche, déséquilibre des réseaux de transport. Avec les meilleures intentions, le marché de l'électricité en Europe a été gravement perturbé par des réglementations incohérentes. En 2013, le désordre provient surtout des pays voisins, mais une fois nos cinq champs d'éoliennes marines construits, notre pays contribuera largement au dysfonctionnement du système.

Au moment où notre pays doit réduire ses déficits et rembourser ses dettes, des capitaux considérables sont détruits ou investis dans des secteurs non rentables. Au moment où le pouvoir d'achat des Français stagne ou baisse, ces dysfonctionnements se traduisent par une hausse des prix de l'électricité pour les consommateurs supérieure à l'inflation, et par la fragilisation des entreprises fournisseurs exposées à des changements constants de règlementation. Le club européen des grands producteurs d'électricité a demandé l'arrêt des subventions à l'éolien terrestre et au photovoltaïque, des investissements dans la recherche et une définition d'une stratégie cohérente au niveau européen.

C'est paradoxal, mais la surproduction peut vraiment conduire à la pénurie. Faudra-t-il attendre un véritable black-out électrique en France ou en Europe pour qu'on revienne à la raison ?

[1] Un type de contrat « Cash and carry » ("payez et emportez" quels que soient les besoins des clients et le cours mondial) similaire à ceux signés jadis avec les producteurs de gaz et de pétrole dont on tente actuellement de sortir pour bénéficier de la baisse des prix du gaz sur le marché libre.