En cette rentrée économique incertaine, est-il bien raisonnable de remettre sur la table la réforme des retraites ? L’opposition parlementaire et les principales organisations syndicales y sont farouchement opposées. Le gouvernement reste très prudent, lui préférant la réforme de l’assurance-chômage. Même les organisations patronales sont réservées. La réforme est-elle définitivement enterrée ?

La réforme ne serait ni urgente ni nécessaire : pour le Conseil d’orientation des retraites (Cor), le niveau de dépenses de pensions reste « maîtrisé », pour les syndicats il serait inutile de reporter l’âge de la retraite dans la mesure où les salariés seniors seraient de toute façon trop nombreux au chômage. Au gouvernement, on estime que l’allongement de la durée de cotisation serait suffisant. Pour la Fondation iFRAP, la réforme des retraites est non seulement urgente mais nécessaire à la période que nous traversons :

Urgente parce qu'il est temps de faire preuve de transparence sur les déficits cachés de notre système de retraite : il s'agit principalement des déficits des régimes de retraite de la fonction publique. Ils représentent 30 milliards € de déficit annuel, soit près de 10 % des retraites totales. Urgente aussi pour le régime général qui se trouve temporairement à l'équilibre, mais au prix d’une baisse marquée du taux de remplacement pour les futures générations : 52 % en 2020, 43 % en 2040, 36 % en 2060. Cette  baisse relative du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs est une réforme silencieuse qui ne dit pas son nom.

Nécessaire pour améliorer le potentiel économique du pays en augmentant sa population active. La France ne peut se satisfaire d'un taux d'emploi des 60-64 ans de 35 % en retard de 7 points par rapport à la moyenne européenne. La période est particulièrement propice car les difficultés de recrutement poussent à faire travailler les actifs plus longtemps, et dans la fonction publique, la montée des recrutements de contractuels remet sur la table la question de l’alignement des régimes public-privé.

Les perspectives économiques assombries redonnent tout son sens à une réforme indispensable au redressement de nos comptes publics. À terme, c’est 20 milliards € d’économies pour un report de l'âge légal de 62 à 65 ans en 2031, contre 10 milliards € en accélérant l'allongement de la durée de cotisation (43 ans prévus en 2035 au rythme d'un trimestre tous les 3 ans). Insuffisant alors que les derniers chiffres du Cor prévoient un déficit de 10 milliards en 2027 et qui pourrait atteindre jusqu'à 20 milliards € dans 10 ans. Il faut y ajouter la convergence des régimes public-privé qui permettra de rendre le système plus transparent et plus équitable. Enfin, pour la Fondation iFRAP il faut généraliser la retraite additionnelle obligatoire par capitalisation pour tous.

Points-clés :

  • Les cotisations employeurs dans les trois fonctions publiques représentent un surcoût de 40 milliards € par rapport au  privé. C'est l'équivalent de 2 points de PIB de prélèvements obligatoires, environ la moitié de l'impôt sur le revenu.
  • Le déficit caché des régimes de retraite des 3 fonctions publiques représentent 7 700 € par retraité du public. Même en 2020, année de crise, le déficit par retraité du privé était de 565 € par retraité.
  • La prochaine réforme des retraites doit remettre à plat les régimes de la fonction publique : architecture, taux de cotisation et subvention d'équilibre, harmonisation des modes de calcul avec le privé, suppression des catégories actives, alignement des dispositifs de solidarité.

Le système de retraite

Dépenses du système de retraite et solde en % du PIB

2002

2010

2021

2025

2040

2060

11,7

13,3

13,8

14

13,9/14,3

13,1/13,8

+0,3

-0,7

0

-0,3

+0,1 /-0,7

+1,2 / -0,7

Note : Rapport du Cor 2022, les chiffres 2040 et 2060 sont une fourchette en fonction du scénario économique retenu, convention EPR.

Dépenses en % du PIB (2017)

Pays-Bas

Royaume-Uni

États-Unis

Japon

Allemagne

Belgique

France

Italie

5,2

5,6

7,0

9,4

10,2

10,5

13,6

15,6

Source : OCDE.

Age d’ouverture des droits à la retraite

 

États-Unis

France

Japon

Belgique

Allemagne

Pays-Bas

Royaume-Uni

Italie

2021

62

62

63

65

65,5

66

66

67

À terme

64

 

65

67

67

67

68

70

Source : Cour des comptes.

Taux de cotisation dans les régimes obligatoires en % du salaire moyen

 

États-Unis

Belgique

Japon

Allemagne

Pays-Bas

France

Italie

Part salariale

6,2

7,5

9,15

9,3

20,6

11,2

9,2

Part employeur

6,2

8,9

9,15

9,3

5

16,3

23,8

Source : OCDE 2020.

Pension moyenne relative en % du revenu d‘activité moyen

2015

2020

2025

2040

2060

52,1

52,2

48,7

41,5-44

34,1-38,8

Note : Rapport du Cor 2021. Pension et revenu d'activité bruts, les chiffres 2040 et 2060 sont une fourchette en fonction du scénario économique retenu.

Principaux régimes de retraite obligatoires en milliards € (2019)

Cnav

(base)

Agirc-Arrco

(complémentaire)

Agents de la Fonction publique

(intégré)

Contractuels FP (complémentaire)

Régimes spéciaux

(intégré)

Exploitants agricoles

(base)

CNAVPL, CNBF

(base)

132,7

81,6

76,2

3,4

15,6

6,8

2,1

Source : Annexe PLF 2022.

Pension moyenne par grands régimes (à titre principal)
Montant mensuel brut moyen en € (fin 2020)

Ensemble

Régime général1,2

État

Fonct. locaux et hospi.

Régimes spéciaux3

Non-salariés  agricoles

Professions libérales

1 510

1 380

2 270

1 600

2 500

800

2 340

Source : DREES ; Note : Y compris majoration pour 3 enfants. 1. Y compris indépendants SSI. 2. Pour les retraités polypensionnés, le régime principal représente plus de la moitié de la carrière. 3. Régimes spéciaux : FSPOEIE, SNCF, RATP, CNIEG, Enim, CANSSM, Cavimac, CRPCEN, Banque de France, Altadis, Retrep.

I. Retraite : 5 idées fausses à combattre d’urgence !

Idée fausse n°1 : pas de déficit ou si peu

L’équilibre du système de retraite

C’est un fait, la France a toujours réformé son système de retraite lorsque les déficits anticipés devenaient abyssaux : en 1991, le livre blanc sur les retraites de Michel Rocard annonçait 307 milliards FRF1 de besoins de financement en 2010 en l’absence de réforme. « De quoi faire sauter plusieurs gouvernements » disait-on. Deux ans plus tard, les réformes Balladur étaient mises en œuvre. En 1999, le rapport Charpin anticipait 380 milliards FRF de déficit en 2020. Ce constat marquait la première étape de la réforme de 2003 sur l’allongement de la durée de cotisation. Plus tard, la crise économique de 2008 a précipité la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy.

Les derniers rapports du Conseil d'orientation des retraites (Cor) étaient beaucoup moins alarmistes, même après la crise du Covid. Le dernier annonce un retour à l'équilibre mais anticipe un déficit de l’ordre de 20 milliards € en 2032. Pourtant, plusieurs leaders d’opinion affirment que la réforme des retraites est loin d’être nécessaire. Selon Laurent Berger, « rien ne justifie aujourd’hui une réforme des retraites dans un système pas loin d’être à l’équilibre2 ». Le chef de l’État a défendu une réforme dans son second quinquennat au nom d’autres priorités que la lutte contre les déficits : réaliser des économies qui donneront des marges de manœuvre pour financer d’autres politiques publiques (dépendance, santé, etc.), augmenter le taux d’emploi et donc la croissance…

Une présentation « conventionnelle » des déficits

Les derniers chiffres du Cor annoncent un retour temporaire à l'équilibre. Mais, comme aime à le rappeler le président du Cor, seules les dépenses de pensions peuvent faire l’objet d’une prévision. Le solde, déficit ou excédent, est largement conventionnel et dépend des ressources affectées.

Sauf que le constat actuel sur le solde est trompeur car basé uniquement sur les déficits qui ne sont pas couverts par des transferts de l’État, en clair sur les déficits des régimes du privé. C’est ce qu’a révélé un article de la revue Commentaire3 montrant que les déficits des régimes de retraite des fonctionnaires, des agents des entreprises publiques ainsi que le régime des exploitants agricoles, couverts par des subventions et des taxes affectées, sont volontairement mis de côté.

Pour les partisans du statu quo, le débat n’a pas lieu d’être : que le déficit de ces régimes apparaisse au niveau des caisses de retraite des agents publics ou qu’il soit porté par une subvention d’équilibre, c’est toujours le budget général – et donc le contribuable – qui le finance, il s’agirait au fond d’un faux problème. Mais comment convaincre de l’importance et de l’urgence d’une réforme si le déficit est enfoui dans les charges générales budgétaires ?

Comment calculer le vrai déficit ?

Pour l’estimer, il faut prendre en compte, au-delà des soldes publiés par le Cor, les concours publics servant à couvrir les déficits des 13 régimes spéciaux et d’exploitants agricoles. Pour 2020, ils représentent 12 milliards €4.

Reste le cas des deux principaux régimes spéciaux, celui des fonctionnaires de l’État (CAS Pensions) et celui des fonctionnaires locaux et hospitaliers (CNRACL). Ces caisses ne présentent pas de déficits puisqu’elles sont couvertes par une cotisation d’équilibre versée par les employeurs publics : la cotisation employeur est de 74,3 % sur le traitement des fonctionnaires civils de l’État, 30,6 % sur les traitements des fonctionnaires locaux et hospitaliers, très au-dessus des cotisations versées par les autres employeurs en France au niveau de 16,5 % du salaire. On notera au passage que ces cotisations dites imputées (2 % du PIB) ne figurent pas en tant que telles dans les comparaisons internationales de prélèvements sociaux. Ces cotisations très élevées, et en augmentation depuis les années 2000, financent trois dépenses différentes : d’abord, la part des retraites à la charge de tout employeur au taux de droit commun, puis la part des dépenses de solidarité de ces régimes (avantages famille ou retraites précoces par exemple), qui ne sont pas couverts par des cotisations des assurés et que l’État finance aussi pour tous les autres régimes, mais surtout les déficits de ces deux régimes.

30 milliards de déficit des régimes de l'État et des collectivités publiques

Pour les mettre en évidence, il faut identifier le surcoût de cotisations pour les budgets publics par rapport à des cotisations de droit commun : soit 45 milliards €. Cette surcotisation s’ajoute aux subventions et transferts d’impôts que l’État et les autres caisses de protection sociale apportent au financement du système de retraite, soit un total de 115 milliards € côté recettes. On sait que ces financements sont censés, d’une part couvrir la compensation des exonérations de cotisations afin de baisser le coût du travail, soit plus de 17 milliards € en 2020 pour les seules cotisations retraites. D’autre part, la compensation aux caisses de retraite des avantages « non contributifs » de solidarité estimés à 68 milliards € tous régimes confondus5. L’ensemble des dépenses mises à la charge de la puissance publique représentent donc 85 milliards €. Le solde, soit 30 milliards €, constitue la couverture nette des déficits de l’État et des autres collectivités publiques.

Identifier ce déficit lié aux retraites, c’est aussi prendre conscience du poids de la dette sociale. Les déficits cumulés des retraites des fonctionnaires peuvent être estimés à 100 milliards € (2017-2020) qui auraient dû être considérés comme de la dette sociale à amortir6.

Un déficit du régime des retraites qui prend une tout autre ampleur

Ajouté au besoin de financement publié par le Cor (-13 milliards €) cela porte le déficit réel en 2020 à -43 milliards € (-1,9 % du PIB). Et les 2/3 de ce déficit global en 2020 sont imputables aux deux régimes de fonctionnaires. Si la même estimation avait été faite pour 2019, année hors crise, cela aurait conduit à un déficit de -29 milliards € (-1,3 % du PIB). Cela représentait 40 % du déficit public de cette année-là ou encore 1/3 de l'impôt sur le revenu. Ce chiffre n’est pas exceptionnel, mais bien structurel. Cette situation pourrait d’ailleurs s’aggraver car la démographie des fonctionnaires locaux sera très défavorable dans les prochaines années avec de très nombreux départs à la retraite. Il y a donc bien urgence à réformer les retraites, en particulier les deux régimes de retraite des fonctionnaires.

Idée fausse n°2 : âge, taux de remplacement, cotisations… le public et le privé, c’est pareil

Non, les retraites du public ne sont pas déjà alignées sur les retraites du privé. Un mouvement de convergence a été entamé avec la réforme de 2003 (alignement des règles de durée d’assurance requise, de revalorisation des pensions et de décote/surcote) et celle de 2010 (alignement du taux de cotisation salarial, l’extinction du départ anticipé pour les parents de 3 enfants et la réforme du minimum garanti).

Pour autant, il reste du travail :

Taux de cotisations : si l’alignement prévu en 2010 concernait le taux de cotisation salarial, il ne concernait pas le taux de cotisation employeur qui auto-équilibre le régime. De plus, la mise en application du dernier accord Agirc-Arrco (2019) a conduit à une nouvelle augmentation des taux de cotisation pour les salariés du privé. Augmentation qui n’a pas été appliquée pour les fonctionnaires7.

La prise en compte de la pénibilité : celle-ci continue de se faire sous la forme de classement en catégories actives dans la fonction publique alors que le compte pénibilité est individuel dans le privé.

Les limites d’âge, le mode de calcul, les bonifications, le minimum garanti, les majorations de pensions pour 3 enfants, ou encore la pension de réversion continuent d’être mis en œuvre dans des conditions distinctes entre public et privé.

Mais surtout, le salaire de référence et le mode de calcul restent calculés selon des méthodes très différentes. Le salaire de référence est celui des six derniers mois dans la fonction publique au lieu des 25 meilleures années (retraite de base) et de toute la carrière (retraite complémentaire) dans le secteur privé ; ce salaire de référence, de même que l’assiette des cotisations sociales, excluent les primes. Mais elles sont prises en compte dans le régime de retraite par capitalisation.

Le taux plein appliqué à ce salaire de référence est de 75 % dans la fonction publique et de 50 % dans le régime général des salariés du secteur privé (retraite de base). Mais pour les salariés du privé s’y ajoutent les retraites complémentaires (Arrco-Agirc).

Quel taux de remplacement ?

La comparaison entre public et privé présente des difficultés mais des travaux sont régulièrement réalisés pour estimer l'impact des modes de calcul : l’égalité du taux moyen de remplacement, malgré des règles très différentes, résulte du hasard. Elle masque d’ailleurs d’importantes disparités, chez les fonctionnaires en fonction du taux de primes.

En 2018, la Fondation iFRAP a effectué, à partir d’un échantillon robuste de plus de 4 000 enregistrements, une microsimulation du mode de calcul du privé sur des carrières d’agents de la fonction publique. Nous sommes parvenus aux résultats suivants : l’application des règles du privé présente un différentiel de pension (moindre pension) de -21 % en moyenne sur les 3 générations étudiées. Alors que l’application des règles de la fonction publique conduit à une retraite de 27 847 € sur notre échantillon, elle ne serait que de 21 975 € par an avec les règles du privé8. Ce calcul s’entend sans tenir compte des primes perçues pendant la carrière de l’agent puisqu’elles ne sont pas soumises à cotisations. Cet écart doit conduire à remettre à plat le régime de pension de la fonction publique.

Idée fausse n°3 : l’allongement de la durée de cotisation est plus juste que la hausse de l’âge légal

« Pas question d’augmenter l’âge légal, prolonger la durée de cotisation est la mesure la plus juste ». C’était déjà le discours que l’on entendait en 2013 quand le gouvernement Ayrault préparait la dernière réforme des retraites qui a débouché sur un allongement de la durée de cotisation, passant de 167 à 172 trimestres pour les personnes nées en 19739.

Une réforme mieux acceptée dans l’opinion

Pour ceux qui jugent la réforme nécessaire, augmenter la durée de cotisation est, semble-t-il, mieux accepté par l’opinion qu’un recul de l’âge qui est un paramètre ultra-symbolique. De plus, le recul de l’âge légal ne laisse pas le choix aux futurs retraités tandis qu’avec la durée de cotisation, il reste possible de partir dès l’âge légal, sans avoir tous les trimestres requis, au prix d’une baisse des pensions.

Reculer l’âge est souvent perçu comme une injustice envers ceux qui ont commencé tôt et qui devront attendre, même s’ils ont tous leurs trimestres. C’est dans cet esprit qu’avait été créé le dispositif de retraite carrière longue. Il est cependant paradoxal de regretter le faible taux d’emploi des seniors et, en même temps, de les encourager à partir en retraite plus tôt. D’ailleurs, plusieurs études soulignent que les personnes cumulant emploi et retraite sont aussi des personnes ayant des durées de carrières longues10.

L’allongement de la durée de cotisation est aussi perçu comme plus pénalisant pour les femmes qui ont des carrières heurtées. De nombreuses femmes attendent déjà leurs 67 ans pour prendre leur retraite sans pénalité. Si le recul de l’âge légal s’accompagne d’un recul de l’âge du taux plein (mais ce recul de l’âge d’annulation de la décote n’est pas automatique), ces femmes seront défavorisées.

Mais un effet inégal sur le niveau des pensions

A contrario, une durée de cotisation plus longue pénalise ceux qui ont commencé à travailler tard, par exemple, ceux qui ont fait de longues études. En 2013, Danièle Karniewicz, syndicaliste, ancienne présidente de la CNAV, s’interrogeait : « La vraie solidarité serait de reculer l’âge. Ce n’est pas facile d’être étudiant aujourd’hui, c’est peut-être moins facile que de commencer à travailler tôt ! » Allongement de la durée d’études et insertion plus difficile sur le marché du travail signifie moins de trimestres en début de carrière : les hommes de la génération 1950 avaient validé plus de 45 trimestres avant leurs 30 ans, contre 31 pour ceux de 197811.

Quand l’âge légal recule, l’impact est souvent positif sur le niveau des pensions car cela implique plus de points de complémentaire et de trimestres. Dans l’hypothèse où les futurs retraités ne connaissent pas d’accidents de carrière. L’impact est en revanche négatif quand la durée d’assurance est allongée, pour ceux qui souhaiteront partir à l’âge légal sans leur compte de trimestres. Ils subiront une décote, justement faite pour les inciter à travailler plus longtemps, dont les règles sont assez sévères mais globalement méconnues compte tenu de leur complexité. Les Français ne se rendent pas toujours compte qu’en partant tôt, ils perdent en niveau de pension, ce qui sera leur revenu pendant 25 ans.

Un effet nettement plus significatif sur les comptes publics

Toutes les études confirment en outre que le recul de l’âge permet aux régimes de faire des économies plus rapidement. Le gain du passage de 60 à 62 ans a été évalué à 20 milliards € contre 10 milliards € pour un allongement de la durée de cotisation à l’horizon 2040 (même si dans un cas comme dans l’autre en cotisant plus longtemps, les actifs accroissent leurs droits aux régimes de base et surtout aux régimes complémentaires12). Plus récemment le Cor a demandé aux services du Trésor de modéliser le passage d’un âge d'ouverture des droits de 62 à 64 ans au rythme de 3 mois par an. Le résultat à long terme sur le solde du système de retraites serait de 12,5 milliards € et l’effet sur les soldes des administrations publiques serait de +22 milliards €13. La situation dégradée de nos finances publiques ne nous permet plus de reporter ce choix.

Idée fausse n°4 : la moitié des retraités sont au chômage au moment où ils prennent leur retraite

Pour ses détracteurs, les réformes des retraites sont inefficaces puisqu’elles conduisent à un déport des seniors au mieux vers l’assurance chômage ou les minima sociaux. Pour les syndicats, une telle réforme est un repoussoir : « une personne sur deux à 55 ans n’est plus en activité » (CGT).

Les seniors et le chômage

La question n’a pas échappé aux économistes qui ont montré que la réforme aurait un effet sur l’activité d’autant plus favorable que le report de l’âge d’ouverture des droits est important, et ces effets positifs se matérialiseraient d’autant plus que la montée en charge est rapide.

L’effet à long terme serait de l’ordre de 1,4 point de PIB et près de 390 000 emplois créés. Mais, à court-moyen terme, cela entraîne une hausse de la population active plus rapide que celle de l’emploi, qui entraîne une augmentation du chômage.

La période actuelle pourrait justement être propice à un tel changement : en effet, le rythme de croissance de la population active a fortement ralenti, passant de +110 000 personnes par an entre 2011 et 2016 puis +70 000 personnes par an entre 2016 et 2021. Les projections de l’Insee prévoient un « pic » de population active en 2040 avec 30,5 millions de personnes occupées avant une décroissance. De plus, les tensions actuelles sur le marché du travail pourraient renforcer l’intérêt pour les employeurs d’un maintien dans l’emploi.

Les effets sur le statut à 60 ans suite au report de l'âge de la retraite en 2010 (DG Trésor)

 

Emploi

Chômage

Inactivité

Retraite

Évolution en points

+16

+7

+2

-25

D’un point de vue concret, reculer l’âge de la retraite permet de garder des expertises en pénurie et envoie un signal aux actifs (et à leurs employeurs) qu’ils doivent se préparer à travailler plus longtemps. C’est ce qu’on appelle l’effet horizon : une conséquence directe de la législation des retraites sur le marché du travail. Un effet que l'on observe clairement avec la réforme de 2010 avec un décalage de 2 ans du taux d'activité des seniors et du pic des fins de CDI (étude du Trésor).

Les enseignements de la réforme de 2010

Pour évaluer les effets du système de retraite sur les seniors, la Direction statistique du ministère des Affaires sociales (Drees) suit les trajectoires de fin de carrière. Ainsi, à 59 ans, 72 % des femmes et 73 % des hommes de la génération 1958 étaient en emploi contre 47 % pour la génération 1942. Une amélioration spectaculaire.

Depuis la réforme des retraites de 2010, le marché du travail pour les seniors s'est amélioré : le taux d’activité des 55-64 ans est passé de 41 % à 59,7 % en 2021. Dans le détail, il se décompose ainsi : 79,9 % d’activité pour les 55-59 ans et 38,2 % pour les 60-64 ans. Le taux d’emploi a progressé également dans des proportions moins soutenues : passant d’un peu moins de 40 % en 2009-2010 à 56 %14.

Mettre fin à la "culture" du retrait précoce du marché du travail

Pour améliorer les choses, il faut s’interroger sur les différents dispositifs de départs anticipés avant l’âge légal : on ne peut pas vouloir augmenter le taux d’emploi des seniors et multiplier les dispositifs. La Cour des comptes avait appelé à en « hiérarchiser » les priorités car leur multiplication ces dernières années a eu un coût proche des 15 milliards € pour 400 000 assurés concernés, soit 1 retraité sur 2 en 201715. Leur nombre devrait toutefois baisser (pic en 2017).

Les catégories actives dans la fonction publique sont également concernées : elles représentent selon la Cour 33 000 départs annuels pour un coût de 3 milliards, majoritairement dans l'hospitalière. S’agissant du compte pénibilité, le dispositif est trop récent pour que des départs en retraite aient été effectués à ce titre.

Pour une vraie politique de l’emploi des seniors

Une analyse élargie des trajectoires entre 50 et 67 ans confirme que 60 % des trajectoires se font directement de l’emploi à la retraite. Il est donc exact de dire que 40 % des trajectoires de fin de carrière passent par des périodes de « non-emploi » : ces périodes peuvent comprendre du chômage, de l’invalidité, de la maladie, ou de l’absence du marché du travail (halo)16.

La Drees suit en particulier les « Nerp », personnes « ni en emploi, ni en retraite, ni en préretraite ». Leur part parmi les 53-69 ans est de 16 %. La durée passée en dehors de l’emploi ou de la retraite est de 2,5 années durant lesquelles leurs revenus sont constitués aux 2/3 d’indemnités chômage, d'invalidité ou de minima sociaux. La crainte est donc d’alourdir mécaniquement les comptes de l’Unedic et des autres régimes de prestations sociales en repoussant l’âge légal.

Le Cor a évalué les effets de bord d’une augmentation de l’âge de la retraite. Le résultat ? 3,6 milliards € de dépenses supplémentaires annuelles au titre notamment des pensions d’invalidité, des indemnités journalières pour maladie et des minima sociaux, en se fondant sur les données 2019 ; 1,3 milliard pour les allocations de retour à l’emploi. Soit un quart des gains liés au report de l'âge de 62 à 64ans. Mais le Cor reconnaît que le chiffrage n’a pas tenu compte des effets sur les recettes, notamment via les cotisations chômage ou la CSG.

Améliorer le taux d'emploi des seniors

Plusieurs pistes existent pour une politique active de suivi des seniors éloignés de l’emploi : revoir les dispositifs d’inaptitude/invalidité grâce auxquels environ 95 000 assurés  sont partis à la retraite en 2017 et qui sont décrits comme de plus en plus complexes. Autre sujet : une remise à plat des dispositifs carrières longues et catégories actives pour lesquelles il n'y a pas d'écarts significatifs d'espérance de vie, contre un dispositif vraiment ciblé sur la pénibilité.

Autre sujet d’importance : avec le vieillissement de la population active, le poids des arrêts maladie va croissant. Leur montant est passé à près de 8 milliards et le poids des personnes de 60 ans et plus dans les arrêts maladie a doublé, passant de 4 à 8 %. Le corollaire, c’est que l’absentéisme des seniors coûte plus cher puisque directement calculé sur le salaire, qui augmente avec l’ancienneté et donc l’âge du salarié.

C’est l’autre frein à l’emploi des seniors : repousser l’âge de la retraite alourdit l’effort financier demandé aux entreprises qui préfèrent se séparer des salariés âgés et surtout ne pas les recruter. Inversement, baisser le salaire en fin de carrière peut conduire les salariés à se retirer du marché du travail17. D’où la nécessité d’accroître l’effort de formation en 2e partie de carrière pour que l’offre de travail des salariés seniors soit plus en adéquation avec les attentes des entreprises et les prétentions salariales.

Pourtant, on constate que le recours à la formation professionnelle décroît avec l’âge. La part des personnes ayant suivi au moins une formation approchait de 60 % en 2016 pour les 25-44 ans, mais tombe à 35 % pour les 55-64 ans18.

Les règles de l’Unedic

De son côté, le Sénat déplore que notre système d’assurance-chômage « continue d’alimenter un dispositif implicite de préretraite qui gonfle le nombre de chômeurs indemnisés trois années avant l’âge légal de la retraite ». Les règles d’indemnisation prolongée pour les salariés âgés et les dispenses de recherche d’emploi, conduisent à des effets de substitution entre les régimes de retraite et les régimes du chômage. Pour les sénateurs, Pôle Emploi doit accentuer son accompagnement sur les seniors. On pourrait aussi recourir à des prestataires spécialisés sur ces publics. Il faut aussi favoriser le cumul emploi retraite en se penchant sur toutes les conditions qui découragent les salariés et les employeurs d’y avoir recours. Cela passe par la réforme du cumul emploi-retraite en faisant en sorte que les cotisations des retraités salariés soient créatrices de droits. Ou symétriquement, pour ceux qui le souhaiteraient, permettre une exonération de cotisations retraite. De nombreux pays ont mis en œuvre des politiques actives pour l'emploi des seniors. Le vieillissement de la population active ne peut pas être le prétexte au statu quo.

Idée fausse n°5 : le niveau de vie des retraités restera préservé

Le retour de l’inflation et le débat sur la réindexation des retraites a remis en lumière la question du pouvoir d’achat des retraités. La mesure de revalorisation de 4 % concerne uniquement la retraite de base. En ce qui concerne les régimes complémentaires Agirc-Arrco (81 milliards € de pensions versées en 2020), ce sont les organisations syndicales et patronales gestionnaires des retraites qui décideront de l’évolution de la valeur du point (2,9 % prévus). Rappelons que pour un salarié non-cadre, la complémentaire représentera généralement entre un quart et un tiers de la pension totale. Pour les cadres, ce sera souvent entre la moitié et les deux tiers.

Revalorisation annuelle moyenne des pensions brutes %

 

2005-2010

2010-2015

2015-2020

2020-2021

Indice des prix à la consommation

1,56

0,95

1

2,8

Régime de base19

1,48

1,12

0,4

0,4

AGIRC

1,37

0,64

0,3

1

ARRCO20

1,37

1,04

0,3

1

Un engagement en 2019 : celui de ne plus utiliser la désindexation des retraites

Pour les retraités, le terme de réindexation a une connotation toute particulière puisque la règle veut que les pensions suivent les prix. Mais ce paramètre fixé par la réforme Balladur de 1993 avait subi de nombreuses entorses ces dernières années pour maîtriser l’évolution des dépenses de retraite.

Emmanuel Macron s’était engagé en 2019 à ne plus y toucher. La revalorisation votée à l’été 2022 représente un rattrapage de 5 milliards € soit l’équivalent d’une demi-année ; la revalorisation aurait dû de toute façon avoir lieu en janvier prochain.

Dévalorisation des retraites : une réforme silencieuse

Il n’en reste pas moins que le ressenti des retraités est celui d’une stagnation de leurs revenus par rapport à ceux des actifs. Il existe deux moyens d’en juger : par l’évolution du pouvoir d’achat et par le niveau de vie.

Pour détailler l’érosion du pouvoir d’achat subie par les retraités ces 25 dernières années, le Cor a étudié dans son dernier rapport deux cas types : un salarié et un cadre du privé21. Entre l’année de son départ à la retraite et 2020, le pouvoir d’achat du non-cadre du privé aura diminué d’environ 4 % pour les 4 générations étudiées22. En cause, la non-revalorisation Arrco (2014, 2018) et la non-revalorisation Cnav (2018). Pour le cadre, la situation est encore plus défavorable : la perte de pouvoir d’achat représente entre 8 % et 15 %. Les 15 % concernent la génération 1932 qui a été affectée par la hausse de la CSG (1993, 1997, 2018) et la sous-indexation du point Agirc (1994, 2004).

À un niveau plus macroéconomique, et en reprenant une période plus longue, l'Insee a montré que la réforme de 1993 avec le passage d’une indexation sur les salaires à une indexation sur les prix a eu un impact considérable : sans réforme, les dépenses de retraite étaient projetées pour atteindre 20 % en 2040, avec l’indexation sur les prix, cela a ramené la part à 15,7 % du PIB23.

Pour Didier Blanchet, actuel président du Comité de suivi des retraites, les mesures portant sur l’âge de liquidation ont eu le plus de visibilité et ont suscité le plus de résistance. Pourtant, cette augmentation reste très en deçà de celle qu’il aurait fallu si l’âge avait été la seule variable d’ajustement : ce sont huit ou neuf années de report qu’il fallait envisager car le report de l’âge permet de limiter les déficits futurs mais ne règle pas les acquis du vieillissement (accroissement de l’espérance de vie).

Ainsi, deux autres leviers ont été mis en œuvre en 1993 : la moindre revalorisation des salaires pris en compte dans le calcul de la pension qui fait baisser le taux de remplacement et la moindre revalorisation de cette pension après sa liquidation, les deux revalorisations se faisant désormais sur les prix24. Autrement dit, on aurait tort de réduire les réformes passées à des mesures d’âge au seul détriment des actifs. Les mesures d’indexation ont aussi pris leur part au redressement des comptes.

Le niveau de vie des retraités pourrait bientôt être plus faible que celui des actifs

Si la comparaison internationale du niveau de vie des seniors rapporté à celui de l’ensemble de la population est en faveur de la France, il faut bien comprendre que ce niveau de vie est la somme des pensions et des autres revenus (revenus du patrimoine, transferts sociaux) et tient compte de la composition du ménage25. Le niveau de vie des retraités est comparable à celui de l’ensemble de la population (99,8 % en 2018), il existe cependant des disparités : à 65 ans, le niveau de vie s’améliore (enfants à charge qui quittent le foyer), les retraités de plus de 75 ans voient leurs charges augmenter, notamment sous le poids de la dépendance.

Niveau de vie des seniors rapporté au niveau de vie de l'ensemble de la population en 2018

 

Plus de 65 ans

De 66 à 75 ans

Plus de 75 ans

Belgique

80

85

73

Royaume-Uni

81

86

74

Japon

85

92

78

Suède

86

97

71

Pays-Bas

86

91

77

Allemagne

89

92

85

Canada

91

95

84

États-Unis

94

102

81

Espagne

96

102

88

Italie

100

109

81

France

100

104

94

Source OCDE.

La baisse du taux de remplacement

L’amélioration du niveau de vie des retraités était liée au fait que depuis plusieurs années, le niveau des pensions versées augmentait de façon régulière. C’est ce que l’on appelle l’effet noria : les nouveaux retraités ont en moyenne des pensions plus élevées que les générations les plus anciennes, car ils ont des revenus plus importants. Or on constate depuis quelques années que cet effet ralentit. Pour le Cor, le niveau de vie relatif des retraités qui « avait fortement progressé depuis 1970, devrait diminuer à long terme ». La parité actuellement observée en France est l’exception plutôt que la règle en comparaison internationale, mais les projections anticipent pour les années 2040 un retour vers un ratio de 90 et 94 % et entre 77 et 86 % en 2070.

Plus précisément, la pension moyenne brute (1 600 € en 2020), qui représente plus de la moitié de la rémunération brute par tête aujourd’hui (taux de remplacement), n’en représenterait plus que 40 à 45 % à horizon 2070. Cela ne signifie pas que le niveau réel des pensions va baisser, mais leur niveau relatif par rapport aux revenus d’activité est appelé à décrocher significativement.

Si cette méthode de contrôle des dépenses des retraites est efficace pour maintenir les dépenses des retraites et fait dire à certains que « le problème est réglé », elle conduit à un sentiment de déclassement inacceptable parmi les retraités. Cette baisse tendancielle du niveau des pensions est l’équivalent d’une réforme des retraites silencieuse.

La baisse du niveau des pensions doit-elle être la seule réforme des retraites ?

La baisse du niveau relatif des pensions doit-elle être l’antidote du vieillissement dans les comptes de la Sécurité sociale, ou faut-il la contrecarrer ? Faut-il faire les économies sur les retraites pour financer d’autres pans de l’État-providence, tels que l’autonomie ou la santé ? Jusqu’à présent, on n’entend pas un discours de vérité : dire que faute d’économies, le système de retraite risque de demeurer déficitaire pendant trente ans, même si certains estiment que l’on peut s’accommoder du niveau de dépenses actuel, dans la mesure où leur trajectoire est « maîtrisée ». Inciter à travailler plus longtemps est une nécessité pour maintenir un taux de remplacement plus élevé.

À quoi bon garantir par la loi des objectifs de taux de remplacement (66 % minimum) si celui-ci s’érode au fil des non-revalorisations.

D’après Didier Blanchet : « Avec une croissance des salaires réels de 1,5 % par an, le pouvoir d’achat relatif du retraité enregistre un recul cumulé de 14 % au bout de 10 ans de retraite, de 26 % au bout de vingt années, de 36 % s’il survit jusqu’à ses 90 ans... Rappeler cela n’est pas plaider pour un retour aux règles d’indexation plus favorables qui ont prévalu jusqu’aux années 1980. Il s’agit juste de rappeler que ce levier de l’évolution des droits après liquidation a déjà été beaucoup utilisé26. » En Suède, l’indexation des retraites reste « accrochée » à la croissance avec une indexation basée sur la croissance du PIB -1,6 point. Un moyen efficace de créer un pacte entre actifs et retraités sur le partage de la croissance. En contrepartie le taux de remplacement est plus faible.

II. Les 4 leviers de la future réforme

Levier n°1 : reporter l’âge

Une fois admis qu’il y a un déséquilibre lié à une masse des prestations supérieure à la masse des cotisations, la question se pose de comment réformer les retraites. Pour ce faire, il n’existe que 3 solutions : augmenter le taux de prélèvement, baisser le taux de remplacement ou redresser le ratio démographique.

Concernant le taux de cotisation, la France dispose déjà des cotisations retraite parmi les plus élevées d’Europe. D’ailleurs, depuis la réforme de 2014, la soutenabilité du système implique que le taux de cotisation global se maintienne en dessous de 28 % du salaire brut. Or, on y est quasiment. On voit difficilement comment des hausses de cotisation pourraient être envisagées, d’autant que le gouvernement a fortement développé les exonérations de charge et les a même étendues en 2019 en incluant les cotisations patronales aux retraites complémentaires. Il entend poursuivre cette politique en baissant les impôts de production.

Le taux de prélèvement global (la somme des ressources du système de retraite rapporté à la masse des revenus d’activité bruts) inclut d’autres impôts et taxes affectées au financement du système de retraite, en plus des cotisations spécifiques à l’assurance vieillesse. Des prélèvements type CSG ou TVA doivent-ils abonder le système de retraite ? En cette période de défense du pouvoir d’achat, cela ne semble pas être un bon levier. Quant à une hausse éventuelle de la CSG, elle est déjà intervenue en 2018 sur les pensions (en partie modulée selon le niveau de pensions) et elle remettrait en cause la politique de stabilisation de la fiscalité du capital mise en œuvre également depuis 2018.

Concernant le taux de remplacement, les réformes ont déjà entraîné de puissants effets. Reste le ratio démographique qui améliore automatiquement les recettes puisqu’une plus grande part de la population reste en activité.

La proposition de la Fondation iFRAP

Un report de l’âge de l’ouverture des droits progressifs de 4 mois par an à partir de 2023 porterait l’âge de la retraite à 65 ans en 2031. Les rapports publics montrent que l’âge d’ouverture des droits se situe déjà à 65 ans dans une majeure partie des pays industrialisés et nombre d’entre eux projettent un report de cet âge au-delà de 65 ans d’ici 2030.

Cette proposition reviendrait à une économie estimée entre 12 et 14 milliards € en 2027, 20 milliards à terme. Les effets de la réforme sur le PIB ont été estimés récemment par la DG Trésor (sur la base d’un report à 64 ans de l’âge légal) : à long terme, elles permettent d’améliorer le solde des administrations publiques de 0,9 point de PIB dont 0,5 point de PIB pour le système des retraites (0,1 point par la hausse des cotisations et 0,4 point par la baisse des prestations versées).

Levier n°2 : réformer les retraites du secteur public et (re)poser la question du statut

Le chef de l’État s’est à plusieurs reprises exprimé sur son souhait de supprimer les régimes spéciaux de retraite. Il serait bon de savoir de quel périmètre il s’agit : on entend surtout parler des régimes des entreprises publiques SNCF, EDF ou RATP. Mais ces régimes sont loin derrière celui des agents de l’État et celui des collectivités et des agents hospitaliers.

Les quatre régimes de retraite par répartition « dédiés » aux agents publics ont versé 81,5 milliards € de prestations vieillesse en 2020, soit 24,3 % des dépenses de l’ensemble. Les pensionnés du public représentent 28 % des retraités de droit direct (DREES) mais les actifs cotisants publics sont bien moins nombreux, seulement 20 % de l’emploi total. Entre 2010 et 2019, les régimes des agents publics ont connu une augmentation de leurs prestations de +29 %, un rythme supérieur à l’ensemble des régimes de retraite. Et les déficits des régimes de retraite de la fonction publique continueront de représenter près d'un tiers des prestations versées. Une réforme est indispensable.

Réforme des retraites du public = réforme du statut de la fonction publique

Dans une interview pour le média Acteurs Publics27, Marcel Pochard, ex-directeur de la DGAFP, explique que le devenir du régime de retraite des fonctionnaires est un enjeu central car ce régime est « consubstantiel » à leur régime statutaire. « On ne peut modifier le premier sans affecter profondément le second ». Il cite la question du mode de calcul de la retraite, actuellement sur la rémunération indiciaire des 6 derniers mois, qui focalise l’organisation et la gestion des carrières des agents. Rapprocher le régime de retraite des fonctionnaires de celui du privé mettrait fin à l’objectif n°1 des négociations statutaires, à savoir permettre au plus grand nombre d'atteindre l'indice terminal de carrière au détriment d'une reconnaissance plus significative du mérite. C’est aussi questionner la politique de rémunération des fonctionnaires qui continue à être conduite dans l’idée que, à compétence équivalente, tous les fonctionnaires, où qu’ils soient, perçoivent le même traitement alors que les différences de primes sont nombreuses. Une révolution qui pourrait utilement être mise à profit pour favoriser l’attractivité et la mobilité.

L’argument de la rémunération différée

Un argument régulièrement avancé en faveur du statu quo est que la faiblesse de la rémunération des agents est la contrepartie de meilleures retraites. Autrement dit, les rémunérations plus faibles dans le public sont compensées par une politique de retraite plus généreuse, sorte de rémunération différée. En réalité, cet argument n’est pas du tout vérifié car les études de l’Insee et les publications des administrations montrent qu’en moyenne (sauf exception), les agents publics ne sont pas moins payés que les salariés du privé.

L’une des conséquences est que ces cotisations retraite employeurs exorbitantes de droit commun majorent le coût total pour l’État d’un fonctionnaire en activité, ce qui alourdit les missions budgétaires d’un surcoût sans relation avec la qualité du service rendu. Ce coût s’élève à 70 000 € par an pour 34 000 € nets de rémunération d’activité. Le coût des retraites représente par exemple 27 % des crédits totaux alloués à l’Éducation nationale en 2020.

Privilégier la retraite (revenu futur) sur le salaire des actifs d’aujourd’hui a tout d’une politique salariale qui démobilise les jeunes moins bien payés pour permettre aux plus anciens de liquider leurs retraites sur les 6 derniers mois, les plus élevés de fin de carrière. On en mesure les conséquences sur l’attractivité des postes dans l’enseignement ou à l’hôpital.

Emplois publics, la montée en puissance des contractuels

Les employeurs publics n’ont d’ailleurs pas attendu pour contourner le coût élevé de la rémunération totale et la rigidité du statut. Sur les trois versants de la fonction publique, si l’emploi public se stabilise en moyenne entre 2016 et 2020, la montée en puissance des effectifs des contractuels est nette (+177 500). Fin 2020, la part des contractuels atteint 21 % de l'emploi public (+1 point par rapport à fin 2019).

Par versant, la hausse est plus marquée dans la fonction publique hospitalière (FPH, +9,6 %) que dans la fonction publique d'État (FPE, +7,7 %) et dans la fonction publique territoriale (FPT, +3,0 %). Mais fin 2017, un quart des territoriaux étaient déjà contractuels. Parmi eux, 42 % étaient sur un emploi permanent, c’est-à-dire des postes dont la vocation est d’être occupés par des fonctionnaires, relève la direction générale des collectivités locales (DGCL)28. Une étude de la Caisse des dépôts indique, qu’en 2016, les personnes employées comme contractuelles sont majoritaires parmi les agents de catégorie B (55 %)25. De la même façon, des données récentes indiquent que dans la FPH, les contractuels représentent 40 % du personnel (+6,5 % entre 2019 et 2020). L’âge moyen est nettement plus faible chez les contractuels.

Les nuages s’amoncellent sur les régimes de retraite des fonctionnaires locaux et hospitaliers

42 % des contractuels dans la FPT ont moins de 30 ans contre seulement 5 % des fonctionnaires, ce qui n’est pas sans conséquence sur la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui contrairement à ce que son nom indique, couvre les agents de la fonction publique territoriale et hospitalière30.

La CNRACL a connu pendant une très longue période un rapport démographique très favorable (décentralisation, dynamisme du recrutement hospitalier). Combiné avec un taux de cotisation employeur élevé (supérieur à 20 %), la CNRACL a ainsi pu se constituer de fortes réserves et sa situation financière aurait dû être soutenable. Or, ces réserves ont été utilisées dans le cadre de la compensation entre régimes spéciaux, pour financer les déficits d’autres régimes. C’est en quelque sorte un « pompage des ressources » de la CNRACL. L’arrêt du versement au titre de la surcompensation et le relèvement du taux de contribution employeur (ceux-ci sont passés de 25 % en 2000 à 30,65 % aujourd’hui) ont permis de redresser la situation.

Mais l’arrivée à la retraite des générations liées à la vague de la décentralisation et les départs nombreux au titre des catégories actives dans la FPH (17 %) vont rapidement rendre intenable la situation de la CNRACL : le ratio démographique est passé de 2,5 en 2000 à 1,2 en 2020. Les prestations augmentent en rythme annuel de 3,9 % tandis que les cotisations progressent de 1,4 %. Le déficit projeté pour 2030 est estimé à 7,5 milliards € par le Cor, en plus du déficit de 8 milliards € résultant de la surcotisation des employeurs territoriaux et hospitaliers, masqué dans les chiffres du Cor.

L’urgence d’agir

Tout cela concourt à un acte ambitieux en faveur de la réforme des retraites des agents publics.

Le chef de l’État avait bien tenté de mettre en place un régime universel de retraites durant son premier mandat, cette réforme a échoué après une longue concertation. Fort de cela, à la veille des élections 2022, il a semblé vouloir proposer un autre schéma, estimant nécessaire d’aller « vers une sortie des régimes spéciaux, avec une réduction à trois régimes » ; un pour les salariés du privé, un pour les fonctionnaires et un pour les indépendants.

Si cette organisation se retrouve dans les comparaisons internationales, il n’empêche que les règles en vigueur sont le plus souvent très proches entre agents du public et salariés du privé ailleurs en Europe31. Le candidat Macron n’a d’ailleurs pas indiqué si le régime des fonctionnaires comporterait deux niveaux, celui de la Sécurité sociale par annuités, et celui des complémentaires par points. Le maintien de cette organisation aurait l’avantage politique de ne pas remettre en cause pour les salariés du privé les organismes de gestion existants, mais l’inconvénient de conserver la complexité actuelle et les coûts de gestion élevés. Pour les fonctionnaires, il existe une opportunité de rapprocher la gestion des droits de retraite sur celle des salariés du privé puisque c’est justement celle en vigueur pour les contractuels avec la Cnav pour régime de base et pour régime complémentaire, l’Ircantec.

À quoi sert l’Ircantec ?

Avec 2,23 millions d'allocataires pour 2,9 milliards €, l’Ircantec est considéré comme un régime important même s’il est loin de l’Arrco/Agirc. Il couvre une population variée de cotisants : non-titulaires (contractuels de droit public) des trois fonctions publiques, de la Banque de France, mais aussi des élus locaux, titulaires de la FPH et la FPT à temps non complet (moins de 28 heures)… Longtemps, les adhérents à l’Ircantec n’ont fait que passer avant de rejoindre le régime du privé ou celui de la fonction publique. En moyenne, la durée de cotisation à l’Ircantec n’est que de 10 ans. Cette institution est donc une source de poly-pensionnés importante32. Elle a, au fil du temps, perdu plusieurs catégories de cotisants avec le changement de statut de La Poste, de GDF et d’EDF.

Les employeurs et les salariés du secteur public sont attachés à ce régime complémentaire parce que les taux de cotisation salarié et employeur à l’Ircantec sont inférieurs à ceux de l’Arrco/Agirc, tandis que les niveaux de retraite sont plus élevés. Une situation qui n’est évidemment pas durable. Le gestionnaire de l’Ircantec, la Caisse des dépôts, est également très favorable au maintien de cette activité qui complète sa branche retraites et représente un produit d’appel pour justifier la reprise en main des retraites des titulaires de la fonction publique. Pour les syndicats et les employeurs du secteur public, les 33 postes d’administrateurs et de suppléants constituent également une source de postes et de financement attractifs. La gouvernance de l’Ircantec vient d’ailleurs de faire l’objet d’un rapport très critique de l’Igas33.

La proposition de la Fondation iFRAP

L’intégration des régimes spéciaux de la fonction publique dans le régime général était une des caractéristiques de la réforme des retraites Macron version 2017. On a vu qu’elle a échoué. Une alternative serait une harmonisation des règles de cotisations et de prestations des agents publics et des salariés du privé. Cela suppose plusieurs étapes :

D’une part, la constitution d’une caisse de retraite pour les fonctionnaires d’État faisant apparaître clairement les charges : prestations versées de droit direct et de droit dérivé en distinguant clairement les dépenses de solidarité et surtout les coûts de gestion qui ne sont pas connus actuellement. Pour les produits : cotisations en distinguant les cotisations sur la base des taux appliqués aux salariés du privé et, au-delà, la subvention d'équilibre.

Les nouvelles règles de cotisations et d'acquisition des droits seraient applicables aux nouveaux entrants de la fonction publique et pas seulement aux contractuels. Elles concerneraient les trois fonctions publiques.

Cette harmonisation devrait concerner non seulement les nouveaux entrants mais aussi les fonctionnaires récemment recrutés, depuis moins de 10 ou 15 ans.

Le mode de calcul serait aligné sur celui en vigueur dans le privé en changeant les paramètres de liquidation (en remplaçant la règle des 6 derniers mois par la moyenne des 5, puis 10 dernières années jusqu'à converger avec le taux de remplacement du privé).

Les cotisations seraient étendues aux primes sauf celles entrant dans le périmètre de la RAFP (voir plus loin).

Levier n°3 : introduction d’une dose de capitalisation

La prochaine réforme des retraites ne doit pas retarder davantage la mise en place d’une part de retraite par capitalisation additionnelle à notre système de répartition. Il ne s’agit pas de remplacer l’un par l’autre mais de renforcer notre système de retraite en veillant à ce qu’il contribue au développement économique de notre pays.

Ce serait aussi une mesure d’équité puisque des régimes par capitalisation obligatoire ont déjà été mis en place : pharmaciens, fonctionnaires, Banque de France, sénateurs, etc. Pourquoi ne pas franchir le pas et généraliser ce système ? Même Jean-Claude Mailly, s’exprimant récemment dans Le Figaro, ouvrait cette voie : « Je ne suis pas hostile à la généralisation d'une part complémentaire de capitalisation pour que tout le monde y ait accès. Ce serait même une mesure d'équité, à condition de la rendre obligatoire, sinon ceux qui n'épargnent pas connaîtront des difficultés34. »

Cotisations, prestations et provisions mathématiques au titre de la retraite supplémentaire en 2020 (en milliards €)

 

Cotisations

Prestations

Provisions mathématiques

Souscriptions individuelles

8,6

2,9

110,0

PER individuel

4,1

0,4

13,9

PERP

1,9

0,4

20,3

Produits destinés aux fonctionnaires et aux élus locaux (Préfon, Corem, Fonpel, etc.)

0,2

0,8

22,9

Loi Madelin

2,1

0,6

40,8

Autres*

0,3

0,6

12

Souscriptions collectives

6,4

2,9

107,4

PER d’entreprise collectif et Perco

3,0

0,6

22,6

PER d’entreprise obligatoire et articles 82 et 83

3,5

2,3

84,8

Article 39

1,4

1,2

33,1

Ensemble

16,4

7

250,6

Source DREES

*retraite mutualiste du combattant, exploitants agricoles, autres.

Pour Philippe Desfossés, ancien directeur du régime additionnel de la fonction publique, plus grand régime en capitalisation en France, l'intérêt serait aussi d'assurer notre souveraineté : financer notre dette, financer nos actifs, affronter la transition démographique en permettant de profiter du rendement du capital actuellement réservé aux fonctionnaires. Enfin, ce serait un moyen de mobiliser des fonds pour investir dans la transition énergétique et environnementale et ainsi d’associer les jeunes très sensibles à cette question au fur et à mesure de la constitution de leur épargne. L'existence de fonds de pension serait aussi un moyen de financer et d'augmenter la maturité de notre dette publique, à l'instar du Royaume-Uni.

Quels sont les produits d'épargne retraite ?

D'ores et déjà des systèmes de retraite supplémentaire existent. Un certain nombre de lois ont jalonné son développement même si les règles juridiques et fiscales applicables restent très spécifiques selon les produits.

La loi Pacte a donné un coup d’accélérateur, avec le développement du PER individuel qui remplace le PERP. Les dispositifs individuels représentent 50 % du total des cotisations (8,6 milliards). 14,3 millions de personnes détiennent un contrat de retraite supplémentaire en cours de constitution. Les adhérents à un produit de retraite supplémentaire sont sensiblement plus âgés : 74 % ont 40 ans ou plus. C’est surtout vrai pour les produits souscrits à titre individuel. Cela marque une préoccupation croissante avec l’âge pour le revenu de remplacement une fois à la retraite.

On peut éventuellement intégrer dans ce panorama l’intéressement et la participation qui s’élèvent à 16,1 milliards € nets de versements en 2020. Mais la diffusion est en majorité dans les moyennes et grandes entreprises. Elle reste à développer dans les petites entreprises. Un bon moyen de le faire serait de diminuer le forfait social (recettes de 5 milliards € environ au profit de la CNAV).

En 2020, le montant des prestations servies au titre des contrats de retraite supplémentaire s’élève à 7 milliards €. La part de la retraite supplémentaire reste cependant marginale, rapportée à l’ensemble des régimes de retraite : 5,1 % des cotisations et 2,1 % des prestations. L’ensemble des dispositifs représente en 2020, 250 milliards € d’encours. La France est loin derrière la moyenne OCDE ou les grands pays industrialisés en matière de retraite par capitalisation. Le montant des actifs sur des plans d’épargne retraite représente en France 12,2 % du PIB en 201935 contre 99 % pour la moyenne OCDE, et même 167 % pour la Suisse, 109 % pour la Suède, 212 % pour les Pays-Bas.

Mettre en place un étage de retraite obligatoire collectif par capitalisation : l’exemple de la RAFP

Il faut que des versements réguliers abondent tout au long de la carrière l’épargne retraite des salariés. C’est par exemple ce qui a été mis en place avec la RAFP : retraite additionnelle de la fonction publique pour les agents des trois fonctions publiques. Il s’agit d’une retraite obligatoire par capitalisation. Les cotisations sont calculées sur les primes et indemnités dans la limite de 20 % du total du traitement brut annuel. Le taux de cotisation est de 10 % : 5 % à la charge du fonctionnaire ; 5 % à la charge de l’employeur public. La RAFP a été mise en place par la réforme des retraites de 2003 et représente, après seulement 17 ans, 37 milliards € d’actifs sous gestion. 385 millions € de prestations ont été versées en 2021 pour 1,9 milliard € de cotisations encaissées.

Mettre en place un étage de retraite obligatoire capitalisation : quid du privé ?

La difficulté pour les salariés du privé est que le taux de cotisation retraite est déjà très élevé. Il est donc impossible d’ajouter une cotisation supplémentaire au profit d’une retraite par capitalisation. La seule solution est d’affecter une partie des cotisations actuelles. En 2017, nous avions proposé de transférer la cotisation AGFF qui avait été mise en place pour assurer le financement de la retraite à 60 ans en 1981. Elle représentait 2 % de l’assiette salariale (comparable à la cotisation RAFP pour le public). Cependant, la réforme de l’Agirc-Arrco en 2019 l’a intégré dans la Contribution d’Équilibre Général (CEG). Une autre solution serait d'y affecter des cotisations finançant d'autres régimes sociaux (logement, transport...)

La proposition de la Fondation iFRAP

Le report de l'âge de la retraite pourrait permettre de dégager des ressources pour les régimes de retraite de base et complémentaires permettant d'amorcer cette épargne par capitalisation : affectation de la CEG, fléchage de la différence entre taux d'appel et taux de cotisation Arrco-Agirc (127 % du taux théorique depuis 2019), affectation d'autres cotisations. Les cotisations pourraient être fixées à 1 % puis monter graduellement vers 2 % et ne seraient pas financées par le contribuable. Par ailleurs, il est essentiel que le bénéficiaire futur du capital ait la capacité de décider dans quelles valeurs son compte sera investi ou de déléguer cette décision à des gestionnaires agréés.

Modélisation de l’impact d’une retraite complémentaire obligatoire par capitalisation

Nous reprenons ici un calcul sur ce que pourrait être l’impact d’une cotisation de 2 % affectée à un fonds de capitalisation obligatoire. Les chiffrages montrent l’impact d’un financement par capitalisation sur le niveau de retraite eu égard au dernier salaire : +4 points de niveau de remplacement pour une cotisation de 2 % par an. Et plus de 5 points pour un cadre et 6 points pour un non-cadre en passant la cotisation à 5 % du salaire.

L’effort d’épargne demandé n’est pas excessif si l’on considère un financement partagé entre les entreprises et les salariés. Ce financement pourrait en outre être assorti d’une exclusion de l’assiette de l’impôt sur le revenu pour les salariés. Le financement par l’entreprise pourrait être déductible pour celles qui souhaiteraient financer au-delà des 2 % ou 5 %. Sur la base du salaire moyen français (3 000 € bruts moyen), ce fonds pourrait être alimenté avec 13 milliards € par an dès la première année. Ces fonds investis dans l’économie productive au travers d’entreprises françaises cotées en Bourse, pourront contribuer à la compétitivité de l’économie française et par là même à la croissance.

La priorité nous semble de développer l’épargne retraite collective qui bénéficie aux salariés modestes et/ou qui commencent leur vie active et qui n’accompliraient pas autrement un acte d’épargne, ce qui permet de mutualiser au sein des entreprises l’effort entre les hauts et bas salaires, et qui peut constituer un argument en faveur du recrutement ou de la fidélisation des salariés de l’entreprise.

Coûts de gestion : poursuivre le virage numérique

Cette question reste un des points noirs de notre système de retraite qui, en raison de son morcellement, engendre des coûts de gestion supérieurs à ce qui est observé dans d’autres pays. Une étude un peu ancienne du cabinet Accenture estimait qu’ils se situaient à un niveau double de la moyenne européenne (2 % contre 1 % dans les pays de l'OCDE). Ils peuvent être estimés aujourd'hui entre 4 et 6 milliards €. Pour les réduire, plusieurs initiatives en faveur de la digitalisation et de la mutualisation de données ont été entreprises : la montée en puissance des demandes en ligne durant le confinement, le travail considérable qui a été fait dans les entreprises avec la mise en œuvre de la DSN, déclaration informatique des données salariales. Plus récemment, la Cnav a basculé l’ensemble de ses données dans le répertoire de gestion des carrières uniques (RGCU) qui doit permettre de compiler l’ensemble des informations relatives aux carrières de chacun pour calculer la liquidation de la retraite. Les derniers régimes à être intégrés au RGCU le seront d’ici 2025, notamment le régime de la fonction publique d’État. Une bascule qui permettra d’écarter désormais l’argument selon lequel l’alignement public-privé est difficile en raison de l’impossibilité de reconstituer les carrières dans le secteur public… Les gains de productivité liés au numérique ne sont plus à prouver. Le numérique peut aussi permettre de réduire le risque d’erreurs : selon la Cour des comptes, en 2020, une pension sur six attribuée était entachée d’erreurs, et dans les trois quarts des cas en défaveur du salarié, le taux d’erreur a grimpé. Une nouvelle étape qui concerne le système de retraite est de savoir s’il faut poursuivre l’unification du recouvrement confiée aux Urssaf : un rapport récent du Sénat réclame une pause dans cette unification pour éviter une catastrophe dans la constitution des droits. Cela ne doit pas être un prétexte à remettre en cause le virage numérique de notre système social. Les caisses de retraite se caractérisent encore par une forte proportion d’effectifs et par une gestion « sociale » des services dans le cadre d’une gouvernance paritaire, au détriment de leur productivité.

Levier n°4 : promouvoir le travail des seniors

La Fondation iFRAP est convaincue que dans cette période de sortie de crise, il faut réformer les retraites et s’attaquer au marché du travail des seniors. La France peut s’inspirer des expériences conduites dans deux pays : les Pays-Bas et la Finlande36. Comme en France, ces pays ont fait le constat d’une culture du retrait précoce du marché du travail.

Les Pays-Bas ont fixé un objectif chiffré (+0,75 % de taux d’emploi par an pour les salariés de plus de 55 ans). Ils l’ont complété par un vaste programme faisant de cette question une grande cause nationale, amplifiant les efforts de formation dès 40 ans. Ils ont également réexaminé leurs dispositifs de retraite anticipée et, pour ceux qui ont été maintenus, en ont confié la responsabilité de l’équilibre financier aux partenaires sociaux. Enfin, ils ont favorisé les dispositifs de cumul emploi retraite. La Finlande a mis en œuvre les mêmes leviers en complétant par deux mesures courageuses : une réforme des règles d’indemnisation chômage et une réforme du dispositif de départ anticipé.

La proposition de la Fondation iFRAP

  • Fixer un objectif chiffré de progression du taux d'emploi des seniors ;
  • Encourager à la formation des salariés seniors et ce dès 40 ans ;
  • Supprimer progressivement le dispositif carrières longues qui est un dispositif automatique tout comme les catégories actives dans la fonction publique (remonter progressivement l'âge de départ anticipé), au profit d’un dispositif axé sur la pénibilité réelle ;
  • Revoir les conditions d'indemnisation et d'accompagnement des salariés seniors au chômage ;
  • Confier l’équilibre financier du régime de pénibilité aux partenaires sociaux ;
  • Promouvoir le cumul emploi retraite : actuellement les retraités qui continuent de travailler payent des cotisations qui ne sont pas créatrices de droits. Deux solutions : rendre les cotisations créatrices de droits ou permettre à ces salariés d'être exonérés de nouvelles cotisations vieillesse.

Maintenir la contributivité du système de retraites et mettre en place des mécanismes d'ajustement automatique : deux leviers complémentaires, indispensables à la future réforme

Les retraites, qui représentent une grande part de nos dépenses sociales, sont majoritairement contributives, tout comme le sont les prestations chômage. Toutefois, les régimes de retraite comportent des exceptions couvrant des dispositifs de solidarité qui diminuent leur caractère contributif : cotisations vieillesse déplafonnées (alors que le salaire de référence est plafonné), exonérations de charges sur les bas salaires, salaire de référence qui n’est calculé que sur les 25 meilleures années, validation gratuite de trimestres, cotisations non génératrices de droits (Arrco-Agirc). La multiplication de ce genre de dispositif risque de rompre le caractère contributif : Combien je touche de retraite si je travaille une année de plus ? Combien je touche de retraite si mon salaire progresse de 5 % ?

Pour rétablir de la clarté, il semble préférable d’unifier et d’isoler les dispositifs de solidarité du système de retraite qui représentent 60 milliards € en 2016. Pour la Fondation iFRAP, il est nécessaire de les fusionner tous, ceux des régimes publics comme privés, au sein de Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui en assure déjà le financement d’une grande partie et qui est financé par l’impôt.

L'autre difficulté de la France tient au pilotage du système de retraite avec ses 42 régimes obligatoires. La réforme de 2019 en créant un système universel devait remédier à cette difficulté mais elle a échoué. Le système actuel est pourtant loin d'être performant : si le Cor remet chaque année un rapport sur les projections du système de retraite, ce bilan, on l'a dit, manque de transparence. Le Comité de suivi des retraites (CSR) formule des recommandations en cas d'écarts à une trajectoire soutenable du notre système de retraite, mais il ne s’est jamais hasardé à formuler des pistes concrètes de réforme. Les ajustements relèvent de la bonne volonté politique et peuvent être soumis à l'agenda électoral. Dans son dernier rapport, l'OCDE montre que plusieurs pays ont mis en place des mécanismes d'ajustement automatique (MAA) plutôt que de s'en tenir à des mesures discrétionnaires qui peuvent s'enliser dans de longs débats.

Ces mécanismes sont des règles prédéfinies qui modifient automatiquement les paramètres du système en fonction de l’évolution d’indicateurs démographiques, économiques ou financiers. Environ deux tiers des pays de l’OCDE ont au moins un MAA en place, notamment une indexation de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie. La France n'a pas de mécanisme global mais plutôt un "patchwork" de règles. En 2003, la réforme Fillon avait indexé l'allongement de la durée de cotisation sur l’espérance de vie mais cette règle a depuis été abandonnée. Dans les retraites complémentaires Agirc-Arrco, depuis 2019, les paramètres du régime sont fixés en référence au salaire moyen dans le privé -1,16 % pour tenir compte de l'évolution démographique. Une première étape serait d'expliciter les règles en vigueur dans les différents régimes puis de les rapprocher. Cela pourrait se faire à l'occasion d'un débat annuel au Parlement sur l'ensemble du système de retraite (alors qu'aujourd'hui son examen est découpé en plusieurs textes, PLF, PLFSS...)


1 : Les chiffres annoncés sont en monnaie constante sur l’année de réalisation de la projection.

2 : Libération, 6 juillet 2022.

3 : Le système de retraites, Équilibre conventionnel et déficit public, Sophie Bouverin - Revue Commentaire, printemps 2022.

4 : Y compris le régime des ouvriers de l’État.

5 : Les dispositifs de solidarité, les cahiers de la Drees, février 2020.

6 : Au même titre que la reprise de 136 milliards € de "dette Covid" par la Cades en 2020, dont le gouvernement a prolongé l'existence jusqu'en 2033.

7 : Le taux de cotisation salarial est donc inférieur de 0,21 point à celui des salariés du privé. Et même de 1 point avec les cotisations CNRACL.

8 : "Aligner les retraites public-privé, Société Civile 186, janvier 2018.

9 : Au rythme d’un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035.

10 : Voir notamment le rapport des sénateurs Lubin et Savary sur l'emploi des seniors (2019) "sur le cumul emploi-retraite, je note que sur les 500 000 assurés en bénéficiant, une part importante est constituée de retraités partis de façon anticipée".

11 : Rapport de la Dress sur les retraites 2020.

12 : Cercle de l'épargne : report ou allongement de la durée de cotisation, que choisir ? 5 juillet 2021.

13 : Effets d'une mesure d'âge sur le solde des administrations publiques, DG-Trésors, Cor janvier 2022.

14 : 75,1 % pour les 55-59 ans et 35,5 % pour les 60-64 ans. Source Dares, tableau de bord emploi des seniors.

15 : Les départs anticipés à la retraite, rapport sur le financement de la Sécurité sociale 2019, Cour des comptes.

16 : La situation des assurés en fin de carrière, Drees, rapport sur les retraites 2022.

17 : Le vieillissement de la population active, ampleur et incidence, Didier Blanchet, Insee, 2002.

18 : Rapport sur l'emploi des seniors, France Stratégie, 2018.

19 : CNAV, MSA, SRE, RSI=>SSI, CNRACL

20 : Indexation de 1 % en 2020 mais de 0 % en 2021
en raison des répercussions de la crise contrairement aux engagements tenus fin 2019 qui prévoyaient une indexation à 1 % jusqu’en 2022.

21 : Pour le salarié, la pension n’est pas soumise à la CSG ou la CRDS. Pour le cadre, il est soumis au taux normal de CSG. Sa pension Agirc représente 49 % du montant total de sa retraite et la pension CNAV 36 %.

22 : 1932, 1937, 1942 et 1947.

23 : Vingt ans de réformes des retraites : quelle contribution des règles d'indexation ? Anthony Marino, Insee, 2014.

24 : Dans une étude de 2016, la Drees montre que la série d’accords de 2011, 2013 et 2015 de l’Agirc-Arrco (sous indexation, revalorisation du prix d’achat du point…) ont également eu un effet significatif sur la baisse des dépenses de pension.

25 : cela tient aussi au niveau très élevé du chômage en France, les revenus des personnes sans emploi étant plus faibles.

26 : Redéployer les transferts sociaux en direction de la jeunesse : quelles marges de manœuvre ? Didier Blanchet, France Stratégie 2016.

27 : Marcel Porchard : "Le devenir du régime de retraite des fonctionnaires est un enjeu central du prochain quinquennat", Acteurs Publics, 5 novembre 2021.

28 : Bulletin d'information statistique DGCL n°138, septembre 2019.

29 : Des différences existent toutefois : les départements et les régions usent moins du recours à ce type de contrat, respectivement 28 % et 24 % de leurs emplois.

30 : Même si les territoriaux représentent les 2/3 des cotisants.

31 : Voir la note "Que vaut la proposition d'Emmanuel Macron de passer à un régime de retraite à 3 piliers ?" site Internet Fondation iFRAP, 9 mars 2022. 

32 : Rapport d'activité 2021, Ircantec.

33 : Évaluation de la convention d'objectifs et de gestion de l'Ircantec 2017-2021, rapport IGAS novembre 2021.

34 : Le Figaro Magazine, 3 juin 2022.

35 : Pour la France le chiffre comprend les rares régimes obligatoires par capitalisation : RAFP, CAVP, Sénat…

36 : « Emploi des seniors : les leçons des pays de réussite », Revue de l'OFCE, 2008/3 (n° 106).