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Trains Express Régionaux : les régions face à la SNCF

Le drame du client d'un monopole

Enseignement public, enseignement privé, enseignement agricole, les Français ont montré qu'ils aiment avoir le choix. Pareil pour les hôpitaux publics, hôpitaux privés et cliniques. Ils savent comme il est pénible de dépendre d'un seul fournisseur, surtout quand il s'agit d'un bien ou d'un service essentiel. Les entreprises aussi veillent à avoir plusieurs fournisseurs dans chaque secteur, même si cela complique leur travail et leur coûte plus cher. Depuis 10 ans qu'elles ont la responsabilité des Trains Express Régionaux, les régions recherchent la moins mauvaise façon de faire travailler leur fournisseur unique, la SNCF.

Dans les premiers contrats Région-SNCF de 2002, chaque Conseil régional se limitait à fixer des objectifs concernant le client : lignes desservies, arrêts, fréquences, qualité de service et prix exactement comme dans tout appel d'offres « normal ». Quand il s'agit d'une flotte de voitures ou d'un service de restauration, l'acheteur se détermine en fonction des caractéristiques et des prix des produits proposés par les entreprises, éventuellement de leur réputation, mais il ne cherche pas à s'impliquer dans le fonctionnement du fournisseur. Mais tout change quand l'acheteur est contraint de s'adresser à une entreprise en situation de monopole.

Le dilemme : déléguer ou gérer les détails

Les contestations ont débuté quand les utilisateurs ont été déçus par la qualité du service. Faute de pouvoir changer de fournisseur, les Conseils régionaux ont commencé à demander à la SNCF « Combien de cheminots sont-ils affectés à notre Région ? », « De quelles classifications ? » puis « Combien coûtent-ils ? ». Une fois sur cette pente, il n'y plus de limite : « Prix du fuel, consommation d'électricité, amortissement des matériels, frais financiers, entretien des voies, pourcentage des services centraux de la SNCF mis à la charge de la Région, etc. ».

Liberté en vue

Le rapport que le sénateur Grignon vient de remettre au ministre des Transports décrit très précisément comment ouvrir à la concurrence ce secteur des TER comme la France s'y est engagée à Bruxelles. »

Les Chambres régionales des comptes, plus expertes en contrôle de légalité que de performance, ont encouragé les régions dans cette voie. Par exemple : « La méconnaissance des effectifs SNCF affectés aux TER ne donne pas à la région Rhône- Alpes les moyens d'avoir une connaissance exacte des charges d'exploitation que son délégataire supporte. »

Sur quoi Jean-Jacques Queyranne, Président du Conseil régional région Rhône-Alpes a surenchéri : « Je saurai prendre appui, dans notre rapport à la SNCF, sur les observations de la Chambre concernant les progrès à réaliser par l'entreprise nationale en matière de comptabilité analytique. Vous savez tout l'attachement qui est le mien pour obtenir une pleine transparence financière, afin de permettre à la Région d'exercer, avec les meilleurs éclairages possibles, la responsabilité du service public régional, dans le souci du service aux voyageurs et de l'optimisation des deniers publics ». La même Chambre pense avoir obtenu des précisions, encore qu'elles soient au conditionnel : « La SNCF affecterait 813 agents à ses activités d'exploitation sur sites et 3.915 autres à ses activités sur le matériel roulant (traction, accompagnement, entretien). RFF disposerait d'un effectif de 80 agents ».

Que faire de toutes ces données ?

La région est bien incapable de pointer ces milliers de salariés et de savoir ce qu'ils font, surtout dans cette activité où de nombreux personnels se déplacent et vu la complexité du règlement intérieur qui gouverne leur travail. Au mieux, la région multipliera le nombre de salariés par le salaire moyen SNCF pour obtenir un ordre de grandeur du montant des frais de personnel.

Afficher le coût complet des billets SNCF

Quand un voyageur achète son billet de TER, il ne paie que le quart de son prix de revient direct, et encore beaucoup moins de son coût total. Tout se passe pourtant comme si une voiture de 10.000€ lui était vendue 2.500€, et une baguette de pain de 1€, seulement 25 centimes. Pour résoudre ce problème, les billets de la SNCF devraient comporter deux indications : le prix payé par le client et le coût total du service, en toute transparence.

Le problème est encore pire pour le pourcentage des frais généraux de la SNCF. Que peut espérer comprendre la région du financement des services centraux de la SNCF (direction, personnel, sécurité, stratégie, recherche …) qui lui sont facturés ? Au total, la SNCF n'a aucun mal à justifier à l'euro près qu'elle a bien dépensé tout son budget en faveur de la région, et même à fournir des détails montrant qu'elle est plutôt perdante. Cela prouve, au mieux, que l'argent a été dépensé, mais pas du tout qu'il a été bien dépensé.

A partir de 2007, pour la seconde vague de conventions avec la SNCF, les régions ont exigé encore plus de précisions sur le service fourni, ce qui est normal, mais aussi sur le fonctionnement interne de la SNCF, ce qui est stérile.

Une méthode perdant - perdant

Pour le client final des TER et le contribuable, la pénalité est double. Les services du fournisseur SNCF en situation de monopole coûtent plus cher qu'ils ne devraient : 30% d'après la SNCF et les comparaisons internationales. Et la région, consciente de cette situation, est tentée de se lancer dans le contrôle minutieux des activités de son fournisseur dans l'espoir de limiter les abus.

Alsace, Midi-Pyrénées : une position raisonnable

Les régions, souvent encouragées par les Chambres régionales des comptes, ont tendance à demander des informations de plus en plus détaillées à la SNCF : « le Conseil régional de la région Alsace regrette que la SNCF se refuse à communiquer ouvertement sur le nombre de journées de service de personnel de traction et/ou d'accompagnement nécessaire pour assurer le service régional de transport ». Mais poussée dans ses retranchements sur son action passée, le même a très justement répondu : « La pratique de forfaitisation des charges, courante en matière de délégation de service public, permet de s'inscrire dans une relation client/fournisseur et identifie la région comme autorité organisatrice et non pas comme un simple fournisseur qui déciderait directement du niveau de rémunération de l'entreprise et des moyens mis à disposition de cette dernière ».

Dans son rapport, la Chambre de Midi-Pyrénées conclut sagement « Si la région n'a probablement rien à gagner à trop s'immiscer dans les responsabilités de l'exploitant qui possède la compétence technique, elle renforcerait au contraire sa position d'autorité organisatrice des transports en se recentrant sur ses fonctions stratégiques et de contrôle ».

Le pire : « Contrôle des coûts a posteriori »

Quand il n'existe aucun moyen de mettre les fournisseurs en concurrence, certains secteurs se résignent à faire contrôler les coûts du producteur dans les moindres détails. C'est le cas de l'armée quand elle commande certains matériels très spécialisés, par exemple des missiles. Comme le montre l'extrait du texte officiel ci-dessous, cette pratique requiert de très nombreux vérificateurs et génère une bureaucratie coûteuse à la fois chez l'acheteur et chez le vendeur, sans compter le jeu du chat et de la souris que cela entraîne inévitablement. Quand l'acheteur se mêle de vérifier les notes de frais de son fournisseur, la situation est inquiétante.

Le terme officiel de « fournisseur imposé » indique bien l'aspect négatif de cette procédure : qui a envie de se voir imposer un fournisseur ? C'est pourtant la situation dans laquelle continueront à se trouver les régions tant que la France n'appliquera pas la réglementation européenne d'ouverture de ce marché à la concurrence.

La concurrence, vite !

Mais une fois le rapport Grignon mis en œuvre, chaque région sera face à ses responsabilités. Si elle n'a pas lancé d'appel d'offres, elle ne pourra plus rejeter la faute sur la SNCF quand les voyageurs se plaindront de la mauvaise qualité du service et les contribuables de son coût trop élevé : elle devra assumer ses choix, c'est bien le Conseil régional qui aura refusé de rechercher le meilleur fournisseur de TER.

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Portail de l'armement : contrôle des coûts a posteriori

"Placée, dans le cadre d'un marché public, en situation de fournisseur imposé, toute société (…) peut être soumise à un contrôle des coûts de revient a posteriori (article 54 de la loi de finances de 1963 et arrêtés d'application du 20 décembre 2000 et du 1er juillet 1986). (…) Ce contrôle s'appuie sur la comptabilité de l'entreprise qui doit à cet effet :
- fournir un descriptif de sa comptabilité et certifier que les méthodes d'enregistrement des charges et le suivi comptable de l'affaire permettent d'identifier les frais de production et les frais hors production, permettent l'évaluation des stocks, s'appuient sur des clés de répartition des charges raisonnables et constantes, ne conduisent pas à imputer des charges anormales sur les prestations réalisées pour le compte de l'État par rapport à celles réalisées pour les autres clients et sont bien mises en œuvre par l'industriel pour l'ensemble de ses affaires ;
- fournir aux agents habilités de l'État les documents généraux donnant tous renseignements nécessaires au calcul des coûts d'unités d'œuvre et des taux de frais. Cette fourniture sera systématique dès lors que la société est détentrice de contrats soumis au contrôle des coûts. Ces documents doivent être fournis dans le mois suivant l'Assemblée générale qui les a entérinés, et au plus tard 6 mois après la fin de l'exercice ;
- fournir dans les délais fixés par la demande, les renseignements particuliers au marché faisant l'objet du contrôle (bons de travaux, bons de magasins, feuilles d'attachement, gammes de fabrications, nomenclatures chiffrées, ordres de fabrication, etc.) ou documents d'information équivalents. »)]