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SNCF/RFF | Réforme Cuvillier, quel avenir pour le rail ?

La réunification de la SNCF et de RFF a fait couler beaucoup d'encre depuis une semaine. Cette nouvelle organisation sous forme de "pôle public ferroviaire intégré" comme l'a annoncé le ministre, avec d'une part un "gestionnaire d'infrastructure unifié" (GIU) regroupant les personnels de RFF de SNCF Infra et de la DCF, et d'autre part, la SNCF, exploitant ferroviaire, à laquelle le GIU sera rattaché, devrait être proposée en 2013. Guillaume Pépy s'est lamenté qu'à peine annoncée la réforme soit "flinguée" par les observateurs. Procès d'intention ou véritable occasion manquée ?

Certes la réforme simplifie l'organisation complexe mise en place en 1997 par manque de courage politique. Cette situation avait pourtant duré pendant 15 ans, et même si tout le monde s'accorde à dire que la répartition des rôles était inefficace et source de gaspillages, elle avait été le préalable à l'ouverture à la concurrence du réseau français et à l'arrivée de nouveaux entrants progressivement dans le fret ferroviaire, puis dans le transport international de voyageurs. La SNCF reconnaît d'ailleurs sur son site "une concurrence ferroviaire très dynamique" puisqu'en 2011 les nouveaux entrants en matière de fret détiennent tout de même 29% des parts de marché (en trains.km). C'est sans doute pourquoi de nombreux observateurs redoutent que la réforme ressemble à un grand bond en arrière en limitant la concurrence et le développement du rail.

D'abord, parce que cette réforme semble avoir été faite au seul bénéfice de la SNCF qui sort renforcée de cette nouvelle gouvernance et l'assurance donnée par le ministre que l'ouverture à la concurrence sur le trafic voyageurs domestique sera reportée le plus tard possible, c'est-à-dire en 2019 dernière limite. Par ailleurs, le ministre veut donner des gages à la famille cheminote à qui il veut offrir un nouveau pacte social. Une configuration qui fait craindre un possible abus de position dominante de la part de l'opérateur historique.

En théorie cette crainte est infondée si l'on en croit la Cour de justice européenne qui a donné son aval à cette organisation, assez fréquente en Europe et dans le monde. De toute façon des garanties devraient être données grâce à des pouvoirs étendus donnés à l'ARAF – autorité de régulation des activités ferroviaires - et la création d'un Haut-comité. Mais le président de l'ARAF, Pierre Cardo, reste dubitatif : "je ne sais pas si j'aurai toutes les informations dans mon viseur puisqu'elles me parviendront d'une seule entité unifiée". A Bruxellesi, cette organisation ne passe pas auprès du Commissaire européen aux transports Sam Kallas qui a déclaré : "le retour aux structures intégrées d'il y a 20 ans n'est pas la voie d'avenir". La Commission doit dévoiler les grandes lignes du 4e paquet ferroviaire européen d'ici la fin de l'année, qui prévoit de renforcer la concurrence pour développer le ferroviaire en rendant obligatoires les appels d'offres pour les transports régionaux et en ouvrant le transport domestique, notamment les TGV, à la concurrence. La France semble donc à contre-courant avec sa nouvelle organisation institutionnelle.

Mais surtout, la réforme Cuvillier ne dit pas comment elle entend relancer le transport ferroviaire alors que celui-ci recule en France comme en Europe. Si le ministre dit vouloir s'attaquer au désendettement du secteur, on ne sait pas encore ce que vont devenir les 30 milliards d'euros de dette et la seule perspective de les rembourser par plus de productivité ne paraît pas réaliste. Dans un article pour la Tribune, R. Prud'homme, économiste spécialiste des transports, estimait à 1 à 2 milliards les perspectives d'économies pouvant être escomptées par plus de productivité dans le secteur ferroviaire alors que chaque année le système génère 1 milliard de dette supplémentaire. Le remboursement de la dette paraît encore bien loin ! Standard and Poor's a d'ailleurs mis sous perspective négative la SNCF qui avait déjà été déclassée de AAA à AA avec la dette de l'État français.

Aujourd'hui, la SNCF est confrontée à des défis économiques considérables : Fret SNCF accumule les pertes, les régions qui financent les TER vont devoir affronter des coupes dans leurs ressources. Le TGV qui était le moteur économique du groupe ferroviaire est aujourd'hui remis en question. Pour conserver ses marges, la SNCF réclame des péages en baisse, alors qu'ils se situent à un niveau inférieur à ceux de l'Allemagne ou de l'Angleterre. Pour investir dans le ferroviaire et développer le secteur, c'est toute la gestion du réseau qu'il faudrait revoir : un réseau intégré en Europe et plus performant, ce qui impliquerait de refinancer l'activité par des péages plus élevés pour assurer l'entretien et la rénovation d'un réseau vieillissant. Mais qui oserait mettre en œuvre une telle révolution ? Du coup, la politique actuelle conduit le ferroviaire français à l'isolement, souffrant plus de la concurrence de la route que des opérateurs privés : ce n'est pas un hasard si la SNCF parie sur Id Bus et Géodis (transport routier de marchandises) ou Keolis (transport urbain). Et ce n'est pas la mise en place de l'écotaxe poids lourds qui suffira à effacer le différentiel de prix à l'avantage du camion.

A l'heure où paraît le rapport Gallois sur la compétitivité, qui prône la baisse des charges mais surtout la compétitivité hors coût, celle qui repose sur la recherche et l'innovation, il serait bon que la SNCF se penche sur ses capacités à renouveler son offre. Et c'est bien là tout le mérite de l'ouverture à la concurrence : à l'instar de ce qui s'est passé dans les télécommunications (offre triple play) ou dans l'aérien (low cost), toutes les entreprises – privées ou publiques, opérateur historique ou non – se sont renouvelées et ont inventé de nouveaux services pour leurs clients sous la pression de la compétition. Guillaume Pépy ne doit pas s'étonner que la réforme annoncée soit l'objet de toutes les critiques : c'est parce que les propositions du ministre ne donnent pas de perspectives pour ce secteur en pleine restructuration, à part attendre imperturbablement 2019. A moins que cette réforme ne soit faite justement pour faire réagir Bruxelles... et provoquer une injonction aux acteurs français du rail à se réveiller.