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Préfon : une gouvernance pas si transparente

Dans le numéro 69 de Société Civile, nous avions décrit la Préfon, cet avantage « oublié » des fonctionnaires qui leur permet d'épargner pour leur retraite par capitalisation dans ce fonds de pension « à la française » géré et dirigé par les syndicats. Mais les adhérents ne sont pas tous – loin s'en faut – satisfaits de cette gestion. C'est ce qu'ils dénoncent au sein de l'Arcaf, association nationale des fonctionnaires épargnant pour la retraite.

L'Arcaf a pour objectif de défendre et promouvoir les intérêts des souscripteurs de produits d'épargne retraite plus particulièrement destinés aux fonctionnaires. Pour cela, l'association souhaite moderniser l'épargne retraite des fonctionnaires. Qui en a bien besoin… Première bataille : la gouvernance. À l'occasion de la réforme des retraites de 2003, le gouvernement Raffarin a lancé un nouveau produit d'épargne, le Perp (plan d'épargne retraite populaire) fonctionnant selon de nouveaux principes de gouvernance autorisant notamment les souscripteurs à prendre part aux assemblées générales pour y voter. À la demande de plusieurs associations d'épargnants dont la Faider (Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite), un amendement a été déposé pour étendre ce principe à tous les produits d'épargne retraite et d'assurance vie et ne plus laisser la bride sur le cou aux gestionnaires (banques, compagnies d'assurance). Cette extension a été introduite devant le Sénat et adoptée sauf… pour la Préfon, que le gouvernement a dispensé de convoquer les adhérents en assemblée générale. Une décision surprenante quand on sait que le Cref (complémentaire de retraite de l'éducation et de la fonction publique), autre produit d'épargne des fonctionnaires, a été dissous suite à de graves malversations que l'Arcaf n'hésite pas à qualifier de « plus grand scandale de l'épargne en France ».

Pourquoi une telle décision ?

Voici la réponse de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée, lors des débats au Sénat : « L'amendement n° 10 vise à améliorer l'information sur la Préfon et à rendre plus transparent son fonctionnement. (…) Il prévoit en particulier qu'un adhérent à la Préfon puisse assister aux assemblées générales et y déposer une résolution (…). Le gouvernement est favorable à l'amélioration de la transparence de la gouvernance de la Préfon à l'égard des adhérents qui ont choisi ce régime à gouvernance paritaire. S'il juge utile cette amélioration, il n'estime pas nécessaire de modifier les équilibres internes qui président actuellement au fonctionnement de ce régime. (…) Pour cette raison, il suggère que l'article 12 de la loi du 15 décembre 2005 ne s'applique pas au régime de la Préfon, mais prévoie que les adhérents seront informés individuellement, trente jours au moins avant la date fixée pour la réunion de l'assemblée générale, de son ordre du jour et qu'ils pourront, sur leur demande, obtenir la communication de son procès-verbal. » Un autre amendement demandant que les adhérents de la Préfon puissent disposer comme les souscripteurs de Perp du droit de « voter avec leurs pieds » – c'est-àdire pouvoir transférer les sommes épargnées vers un autre type de contrat – n'a pas plus été voté [1]. Pourquoi ce régime d'exception ? Il faut croire que le gouvernement n'a pas voulu toucher à la gestion des syndicats de fonctionnaires ! Pourtant celle-ci n'est pas irréprochable. Dans son bulletin de juillet 2007, l'Arcaf titre « Préfon résultats annuels 2005 : toujours des pertes de pouvoir d'achat pour les adhérents alors que les dépenses de promotion explosent ». L'association souligne tout d'abord la publication tardive des comptes, ceux de 2005 n'ayant été publiés qu'en mars 2007, malgré de nombreuses réclamations [2]. Elle rappelle que la présentation des résultats de Préfon reste toujours obscure et réduite à une part minimale. Ainsi, les « informations clés » comme le montant de la rémunération des gestionnaires financiers et le montant de la provision pour gestion administrative ont disparu. De plus, les termes employés pour décrire les résultats sont incompréhensibles pour le profane (ex. « charges des sinistres » sont en fait les retraites versées, les « ristournes sur chargements à la CNP », les frais administratifs).

La complaisance des pouvoirs publics

Les informations sur les performances administratives et financières sont parcellaires et insuffisantes pour un tel produit d'épargne. Ainsi, s'agissant de la gestion dite « technique », c'est-à-dire comment les engagements futurs du régime sont couverts par les réserves, il n'y a pas de commentaires, l'information du taux de couverture – 100,45 % – n'est donnée que très exceptionnellement, mais sans expliquer les hypothèses retenues pour le calculer. Les renseignements sur les résultats financiers ne sont pas plus explicites, notamment sur le faible rendement au regard des performances des marchés financiers. La stratégie de placement semble inadaptée à un produit d'épargne à long terme. Pourtant, les syndicats qui gèrent la Préfon sont également ceux qui participent au fonds de réserve des retraites pour lequel ils ont accepté une tout autre stratégie de placement privilégiant l'investissement en actions adapté à un placement d'épargne-retraite (répartition de 60 % en actions et 40 % en obligations). En plus, souligne l'association, même avec l'allocation choisie par Préfon (24 % en actions seulement), les résultats sont inférieurs aux performances du marché. Mais pour comprendre le rendement réel de son placement, l'épargnant doit intégrer le calcul de revalorisation du point où, là encore, les explications de la Préfon sont très obscures. Ainsi, la « valeur d'acquisition » du point a augmenté d'environ 50 % de 2004 à 2008. Ce n'est pas l'allongement de l'espérance de vie qui peut expliquer seul toute cette hausse. Dans le même temps, la « valeur de service » du point a, elle, été peu ou pas revalorisée, entraînant des pertes de pouvoir d'achat importantes pour les 350 000 adhérents.

Régime d'exception

Enfin, l'association dénonce les frais de gestion financière beaucoup trop élevés qu'une mise en concurrence permettrait certainement de faire baisser et pour lesquels les adhérents ne peuvent avoir aucune information n'étant pas autorisés à participer aux assemblées générales. Ainsi, les commissions à taux fixe de la CNP ont triplé en six ans, alors même que la convention entre la Préfon et la CNP prévoit que cette dernière ne fait pas de bénéfices sur cette opération. Quant au montant des frais de rémunération des gestionnaires financiers, ils ont triplé en 1997 et une nouvelle et forte augmentation est annoncée pour 2008, sans que leur montant soit d'ailleurs communiqué. Malgré ces critiques sévères, il semble que Préfon bénéficie d'une attitude bienveillante, voire complaisante, des pouvoirs publics et en particulier du gouvernement qui ne pousse ni à la transparence ni à la concurrence. Peut-être ne veut-il pas risquer de mettre les syndicats gestionnaires de la Préfon dans une situation difficile en devant rendre des comptes. La défense de ce régime d'exception n'est en tout cas pas de nature à faire taire les critiques contre les avantages de certains représentants du secteur public. Alors pourquoi le gouvernement fait-il preuve d'une telle clémence ? En avril dernier, Nicolas Sarkozy s'est engagé par écrit, s'il était élu, à mettre fin à l'exception aux règles démocratiques octroyée à Préfon. À ce jour, les épargnants attendent toujours.

[1] En fait il a été voté mais pour application à partir de 2010 seulement.

[2] Préfon a pour la première fois sorti ses comptes 2006 en septembre 2007, soit au bout de 9 mois au lieu de 13 à 15 par le passé).