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Les régimes spéciaux de retraite et la gestion de leurs déficits

Trois méthodes pour transférer leurs déficits au contribuable et au consommateur

Pour les retraites de leurs salariés, trois grands groupes publics, la SNCF, La Poste et EDF/GDF, se sont trouvés dans la même impasse.

Incapables de provisionner leurs engagements retraite comme l'exigent les règles élémentaires de sécurité financière, ils auraient été mis immédiatement en faillite.

Et incapables de verser chaque année les retraites à leurs anciens salariés, ils auraient été en déficit permanent. En 1945, plutôt que d'adhérer au régime général, ces entreprises avaient cru pouvoir jouer seules et avaient créé des régimes de retraite « maison ». Exactement comme Enron.

Pour résoudre leurs problèmes, ces trois entreprises ont recouru à trois techniques différentes, mais qui reviennent toutes à transférer leurs déficits aux autres Français.

La transition la plus naturelle a été celle pratiquée par La Poste qui a cessé d'embaucher des fonctionnaires et recrute tous ses nouveaux salariés sous régime de droit privé. Cette méthode aurait été acceptable à deux conditions : d'une part que La Poste continue à financer la totalité des retraites de ses fonctionnaires (ce qu'elle refuse de faire), d'autre part que le début de la transition n'ait pas été abusivement repoussé pendant des décennies jusqu'à 2003. À La Poste, il y aura des retraités fonctionnaires jusque dans les années 2080. Actuellement, l'État subventionne les retraites de La Poste pour environ 1 milliard d'euros par an.

À la SNCF, le statut particulier, et notamment le régime de retraite, est maintenu pour tous les nouveaux embauchés. Le déficit du régime de retraite SNCF est actuellement de 3 Mds par an et sera encore de 1,5 Md en 2050. En plus d'être injuste vis-à-vis des autres Français et de faire financer par l'État des sommes insupportables, le maintien du statut actuel conduit la SNCF dans une impasse. C'est déjà le cas pour sa branche fret en déficit, avant même la crise actuelle, de 300 à 400 millions d'euros par an. Exposée désormais à la concurrence, elle devra changer le statut de ses salariés ou disparaître.

À EDF/GDF aussi les avantages retraite sont maintenus pour tous les nouveaux embauchés et même étendus à tous les salariés du secteur, y compris aux nouveaux entrants français ou étrangers. Pour les financer, EDF, GDF/Suez et les autres fournisseurs ne font pas directement appel à l'État, mais au consommateur final. La loi impose le même statut pour tous les salariés des fournisseurs de gaz et d'électricité et a créé une taxe « Avantages retraites » prélevée sur chaque facture d'électricité et de gaz. Cette solution organise une sorte de cartel au profit des salariés de ces entreprises, une attitude pénalisante et choquante pour les consommateurs.

Les avantages retraite exceptionnels de ces trois entreprises nécessitent des taux de cotisations trois à quatre fois supérieurs à ceux du secteur privé. Ces surcoûts sont payés par les consommateurs et par les contribuables ; le financement par l'impôt étant la pire des solutions. Elle pénalise même ceux qui ne consomment pas ces produits, dissimule leur véritable coût et fausse la concurrence. Ni ces entreprises ni leurs salariés n'ont pris à leur charge la moindre partie des conséquences des erreurs, commises pendant des décennies et en toute connaissance de cause, par leurs directions et leurs syndicats : sureffectifs, avantages retraite injustes par rapport au privé et insupportables pour les finances des entreprises, refus des réformes. À la SNCF et à EDF/GDF, même la solution minimale - recruter tous les nouveaux salariés sur des contrats de droit privé - n'a pas été appliquée. Cette situation ne peut pas durer.

Retraites SNCF : les consommateurs et les contribuables mis à contribution

Même après la réforme de 2007, les différences entre les retraites obligatoires du régime général et celle de la SNCF restent importantes. Pour les évaluer, la méthode la plus objective consiste à mesurer les écarts de taux de cotisation exprimés en pourcentage des salaires des actifs.

Les cotisations du privé incluent les trois régimes obligatoires : Sécurité sociale (CNAV) et les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC [1].

Exprimé en pourcentage, le taux de cotisation nécessaire à la SNCF pour financer les retraites est donc quatre fois plus élevé que dans le secteur privé. En valeur absolue, le montant des surcoûts pour la SNCF et de la subvention de l'État atteint plus de 3 milliards d'euros.

La contribution de l'État (2,9 Md € par an) est supposée compenser uniquement la situation de déséquilibre démographique de la SNCF. Il est exact que la SNCF comptait 430 000 salariés dans les années 1950, et n'en compte plus que 162 000 pour 300 000 retraités. La subvention de l'État va rester à peu près stable jusqu'en 2020, et en 2050 elle représentera encore 41% du montant des retraites SNCF alors que le nombre de cheminots aura été stabilisé depuis longtemps. Sans véritable réforme, cette subvention sera permanente.

Jusqu'en 2007, la SNCF versait elle-même les retraites à ses cheminots. En 2007, une caisse de retraite SNCF (la CPRPSNCF) a été créée pour éviter à la SNCF de devoir provisionner les acquis retraite de ses salariés et de ses retraités. Les engagements de retraite de la SNCF se montaient à 111 Md €, pour un bilan de 39 Md € et 10 Md € de capitaux propres. Le changement est de pure forme, pour ne pas faire apparaître la SNCF en faillite, mais reporte cette dette sur l'État.

Financement des retraites SNCF 2008
SalariésSNCFÉtatAutres Compensations
En millions € 355 1 519 2 935 273
Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale de septembre 2008.
Les perspectives à long terme du régime de retraite de la SNCF
2015202520352050
Cotisations salariées et employeurs 1 602 1 586 1 732 2 141
Subvention de l'État 3 218 2 735 2 285 1 468
Ressources propres 33 % 37 % 43 % 59 %
Subvention de l'État 67 % 63 % 57 % 41 %
Source : Sénat, Projet de Loi de Finances 2008.
Cotisations 2008
SalariéEmployeurÉtatTotal
SNCF 7,85 % 33,58 % 64,9 % 106,33 %
Secteur privé 10 % 15 % - 25 %

Avant la réforme de 2007, les salariés de la SNCF bénéficiaient de 5 avantages principaux :

- 1- indexation automatique des retraites sur l'évolution des salaires,
- 2- 37,5 années de cotisation (et non pas 40 ou 41),
- 3- départ à la retraite à 50 et 55 ans,
- 4- calcul de la retraite sur le salaire des 6 derniers mois, y compris les primes de fin d'année et de travail,
- 5- versement automatique de la retraite de réversion (sans condition de ressource du survivant).

En 2007, seul le point 1 a été clairement changé : les retraites sont désormais indexées sur les prix. Les modifications des points 2 et 3 sont ambiguës. La durée de cotisation va bien passer à 40 puis 41 ans, mais les « bonifications » pour travail pénible et les comptes épargne temps qui ont été négociés en interne après la réforme, de façon opaque, risquent d'atténuer considérablement les nouvelles règles. Les points 4 et 5 sont inchangés.

Dans l'immédiat, les divers avantages obtenus dans le cadre de la réforme de 2007 (augmentation des salaires et grade supplémentaire en fin de carrière) ont encore augmenté les coûts pour la SNCF.

Retraites de La Poste : les contribuables mis à contribution

La Poste était une administration et ses salariés, en principe, fonctionnaires. Mais La Poste employait aussi de nombreux non titulaires en CDD de type privé, principalement pour des missions de courte durée. En 2008, La Poste comptait 163 000 fonctionnaires et 137 000 contractuels.

Depuis 2003, La Poste n'embauchant plus aucun fonctionnaire, le nombre de fonctionnaires en activité a baissé régulièrement tandis que le nombre de retraités fonctionnaires augmentait.

Même après la réforme Fillon des retraites de 2003, les différences entre les retraites obligatoires du régime général et celles de la fonction publique restent importantes. Pour les évaluer, les écarts de taux de cotisation constituent une mesure impartiale et frappante.

Au moment de l'ouverture à la concurrence des services postaux et de sa transformation en EPIC, La Poste a demandé à être soulagée du surcoût des retraites de ses fonctionnaires. Son raisonnement était basé sur « l'équité concurrentielle » [2].

Taux de Cotisations 2006
SalariéEmployeurÉtatTotal
La Poste 7,85 % 45,75 % 18 % 71,6 %
Secteur privé 10 % 15 % - 25 %
Source : La Poste, rapport annuel 2007.
200520062007200820092010
Pensions versées aux fonctionnaires de La Poste (A) 2916 3050 3076 3086 3131 3158
Contribution versée par La Poste
(libératoire à partir de 2006) (B)
2502 2535 2523 2379 2224 2122
Prise en charge par l'État (A)-(B) 414 515 553 707 907 1036
Source : ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique.
Chiffres en millions d'euros

Le gouvernement a accepté cette demande et a gelé la contribution de La Poste au financement des retraites de ses fonctionnaires au niveau de 1997, soit environ 2 milliards € par an indexés sur l'inflation. Le surplus, en croissance très rapide, est financé par l'État.

Cette situation est illustrée dans le tableau ci-dessous, exprimé en millions d'euros.

En 2006, La Poste a estimé que la réforme de 1997 était insuffisante pour lui assurer « l'égalisation des conditions de concurrence avec les nouveaux entrants ».

La « contribution libératoire » versée par La Poste à l'État sera progressivement abaissée pour la ramener en 4 ans à un taux identique aux taux appliqués dans le secteur postal et le secteur bancaire privés. En contrepartie, la charge pour l'État augmentera très fortement, elle aura été multipliée par 2,5 de 2005 à 2010. Grâce à cette mesure, la charge retraite de La Poste a diminué de 522 millions d'euros entre 2006 et 2007, lui permettant de faire apparaître un résultat net progressant de 811 M€ en 2006 à 943 M€ en 2007, en augmentation de 16%. Sans ce rabais, le résultat net aurait baissé de 35%.

Retraites EDF/GDF/IEG : les consommateurs mis à contribution

Les salariés d'EDF et GDF et des quelques régies municipales bénéficiaient du statut très particulier des Industries électriques et gazières (IEG). Pour les retraites, il est très proche de celui des cheminots, une grande partie des salariés étant classée en service actif peut partir à 50 ou 55 ans et le montant étant calculé à partir de leur salaire des 6 derniers mois. Ces entreprises financent elles-mêmes la totalité des retraites de leurs salariés, sans subvention de l'État.

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Malgré les exigences minimales de sécurité financière et des « observations renouvelées » de la part de la Cour des Comptes, EDF/ GDF n'avaient jamais provisionné les retraites de leurs salariés.

En 2004, la situation était devenue intenable. Le problème devenu urgent était d'éviter d'avoir à provisionner 72 Md €, soit 3 fois leurs fonds propres. Le régime EDF/GDF a donc été « adossé » aux régimes Sécurité sociale (CNAV), ARRCO et AGIRC.

Malgré le versement d'une soulte, cet adossement est largement fictif, les retraites IEG sont en réalité gérées par une caisse dédiée, la CNIEG. Mais en l'adossant à des régimes de retraite par répartition très vastes, il évite à ces entreprises de devoir provisionner la totalité des retraites qu'elles auront à servir à l'avenir. C'est une sorte de contrat d'assurance, mais dont la complexité et l'opacité masquent mal l'objectif de perpétuer et de dissimuler des avantages exceptionnels.

En 2007, le régime EDF/GDF a été faiblement modifié par la réforme générale des régimes spéciaux, même si le passage progressif à 41 ans de cotisation et l'indexation des retraites sur les prix et non plus sur les salaires sont des réformes utiles à long terme.

Financement des retraites IEG 2008
SalariésEmployeursConsommateurTotal
En millions € 606 1 840 997 3 443
Source : Commission des comptes de la Sécurité Sociale 9/2008
Taux de Cotisations 2006
SalariéEmployeurConsommateur
(CTA)
Total
EDF 12,13 %1 48,4 % 25,4 % 85,93 %
Secteur privé 10 % 15 % - 25 %
1 Ce taux semble supérieur à celui du secteur privé, mais seulement parce qu'il ne s'applique qu'à la rémunération principale.
Source Document du COR du 12 juillet 2006

Même après cette réforme, les différences entre les retraites obligatoires du régime général et celles des Industries électriques et gazières sont considérables. Au total, la contribution financée par l'employeur et le consommateur (73,8%) est cinq fois supérieure à celle de l'employeur privé (15%).

C'est évidemment le client qui finance cet écart de 60% entre les taux de la cotisation du privé et celle des entreprises IEG.

Face à une véritable concurrence, ces taux de cotisation seraient insupportables. Pour protéger EDF et GDF, le statut IEG a été imposé à toutes les entreprises du secteur, même les nouveaux entrants comme Direct Énergie ou Poweo. Et pour financer une partie du surcoût des retraites IEG, une taxe spéciale dite Contribution tarifaire d'acheminement (CTA) a été créée sur le transport d'énergie.

[1] Total des taux de cotisation salariée et employeur : pour les noncadres 26,15% en dessous du plafond de la Sécurité sociale et de 23,90% au-dessus, pour les cadres de 26,5% et 24,55%.

[2] En principe, les avantages dont bénéficiaient ces personnels (sécurité d'emploi, salaires plus élevés pour les emplois des catégories B et C, avantages retraites…) étaient censés traduire une motivation et une productivité supérieures compensant largement ces surcoûts.