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"Le système de retraite est devenu inégalitaire et injuste"

Interview de Dominique Leclerc, sénateur UMP d'Indre-et-Loire de 1992 à 2011

La remise officielle du rapport sur les retraites du comité des sages devrait donner le coup d'envoi à la réforme de 2013. C'est la semaine prochaine que Madame Moreau remettra au Premier ministre son diagnostic et ses propositions pour sauver notre système de retraites. Cette réforme devrait ensuite être discutée et votée au Parlement à la rentrée. Elle interviendra seulement 3 ans après celle mise en oeuvre par le gouvernement Fillon. L'ancien Sénateur Dominique Leclerc, un des meilleurs spécialistes de notre système des retraites, revient en exclusivité pour la Fondation iFRAP sur les dernières réformes des retraites dont il a été rapporteur au Sénat et sur la prochaine réforme.

Fondation iFRAP : Vous avez été rapporteur au Sénat des lois sur les retraites de 2003, 2007 et 2010, donc au cœur de ces réformes. Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer à nouveau dans la réforme de 2013 ?

Sénateur Dominique Leclerc : En dépit des réformes successives notre système de retraite est à bout de souffle. Non seulement l'équilibre financier, aggravé par la crise, n'est pas assuré mais ce système est devenu profondément inégalitaire et injuste entre les différents régimes et entre les générations créant des tensions entre les Français.

Fondation iFRAP : Pour le gouvernement comme pour Bruxelles, c'est pourtant le déficit des régimes de retraite qui rend cette nouvelle réforme indispensable.

Sénateur Dominique Leclerc : Bien sûr, équilibrer les comptes de notre système de retraite est indispensable, c'est l'évidence. L'espérance de vie s'allonge et si en 1960, il y avait 4 cotisants pour 1 retraité, en 2013 il n'y a plus que 1,3 actif cotisant pour 1 retraité. Mais ce qui est moins visible par tous c'est la nécessité de rétablir l'équité dans deux directions : entre Français de la même génération et entre Français des différentes générations. Entre générations l'injustice est évidente puisqu'on emprunte actuellement sur les marchés financiers pour payer 10% des retraites, et que les actifs des générations à venir devront, en plus de leurs cotisations retraites, rembourser ces centaines de milliards d'euros de dette constituée par la génération d'aujourd'hui. Entre Français de la même génération, l'injustice est tout aussi choquante vu les écarts sur le calcul et sur les conditions de départ entre les différents régimes de retraite.

Fondation iFRAP : Quelles sont vos propositions pour sortir des déficits ?

Sénateur Dominique Leclerc : La masse des retraites et pensions versées progresse beaucoup plus vite que les cotisations. L'importance du chômage aggrave considérablement ce déséquilibre et aucune solution ne sera viable sans une forte amélioration de l'emploi, de la productivité et du solde démographique. Dans l'urgence, il n'est possible d'agir que sur les paramètres. L'allongement de la durée de cotisation et le recul de l'âge légal de départ en retraite sont inévitables. Une certaine désindexation des retraites aussi. Mais augmenter les taux de cotisation est exclu, vu le niveau des prélèvements obligatoires. Nous sommes très proches des limites de ces paramètres qui ne règlent ni les injustices entre les différents régimes ni l'équilibre financier à long terme comme on peut le constater avec les précédentes réformes. La multiplicité des régimes est une source de dépenses inutiles ; cette complexité est défendue par les partenaires sociaux auxquels elle profite. Mais simplifier la gestion des systèmes est un impératif. De plus, il est indispensable d'étudier pour le moyen terme un nouveau système de calcul des retraites plus équitable, plus simple et plus transparent. Un système qui assure dans le temps un équilibre financier et l'équité entre les Français. Comme dans d'autres pays européens, une réforme systémique où les cotisations permettent l'acquisition de points retraite doit être étudiée. Il s'agit de permettre à chacun de constituer une retraite « à la carte » reflétant le montant de ses cotisations passées.

Fondation iFRAP : La pénibilité, les écarts d'espérance de vie à la retraite constituent des problèmes très délicats.

Sénateur Dominique Leclerc : La réforme de 2010, dans la continuité de celle de 2003, a conforté le dispositif des carrières longues. De plus elle a créé un nouveau droit, la prise en compte de la pénibilité, ce qui représente une avancée sociale importante. La pénibilité ne peut être prise en compte que individuellement sur des critères stricts dans un processus bien défini, sinon ce serait la mise en place de nouveaux régimes spéciaux. Dans le cadre d'une réforme systémique, il est possible de tenir compte de manière fine de l'espérance de vie de chaque catégorie socioprofessionnelle. Certains pays le font déjà.

Fondation iFRAP : Les réformes des retraites ont été faites alors que le parti dont vous êtes membre avait la majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat. La persistance de la crise économique était sans doute difficile à prévoir, et donc ses conséquences sur les déficits des régimes de retraite. Mais comment avez-vous toléré la persistance des inégalités des régimes de retraite ?

Sénateur Dominique Leclerc : Les rapports successifs dont déjà celui présenté par M Rocard en 1990 prévoyaient une dégradation rapide et inéluctable des régimes de retraite. Les réformes de 2003, 2007 et 2010 ont été courageuses dans un contexte social et politique très houleux. L'opposition et les partenaires sociaux niaient des réalités qu'ils sont obligés de prendre en compte aujourd'hui. Toute nouvelle réforme doit concerner l'ensemble des régimes. J'étais très conscient des sérieuses inégalités entre le régime général et les divers régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF/GDF, Fonction publique, Parlementaires …). Mais l'action politique se heurte aux réalités et est faite de compromis entre le souhaitable et le possible. La majorité a mis en œuvre des réformes qui étaient probablement les plus audacieuses faisables à ce moment. Pour être certain que ces problèmes seraient néanmoins traités, le Sénat a fait inclure, dans la loi de 2010, un amendement qui imposait pour 2013 un large débat national afin d'envisager une réforme systémique dont les contours sont à préciser et à négocier. Je suis convaincu qu'il faudra arriver à cette solution le plus rapidement possible. Elle permettra de fédérer les Français autour d'un système solidaire par répartition. Cette réforme permettra en outre, de restaurer une meilleure justice et une équité entre les Français devant la retraite.