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Quelques questions sur la crise financière

La crise financière actuelle est au départ une crise de la règlementation du risque pris par les établissements bancaires. Nous avons interviewé Maître Benjamin Mojuyé, diplômé de Columbia, expert en droit bancaire et financier auprès d'une grande banque française et auteur d'un livre sur les produits dérivés financiers.

iFRAP : Maître Mojuyé Bonjour, comment expliquez-vous la prise excessive de risques par les banques américaines ?

Maître Mojuyé : C'est le plus grand défi du marché américain qui s'explique en particulier par l'histoire socio-économique et politique des Etats-Unis. Les réformes des années 30, destinées essentiellement à remédier aux conséquences de la crise boursière de 1929 et à la grande dépression qui s'ensuivit, aboutirent à créer un marché bancaire très segmenté. Cette segmentation était à la fois géographique et matérielle. Géographique parce que les banques d'un état ne pouvaient pas acquérir les banques d'un autre état ou encore établir une succursale (« branch ») sur le territoire d'un autre état. Matérielle parce que des restrictions importantes étaient placées sur les activités des banques. Elles ne pouvaient par exemple pas rémunérer les dépôts à vue ou accorder certains prêts. En outre, elles ne pouvaient pas acheter ou vendre des titres, ni ne pouvaient détenir ou être détenues à plus de 10% par les sociétés de bourse. L'objectif de ces réformes n'était nullement de nuire aux banques, mais de les protéger des errements de la concurrence qui causèrent tant de faillites bancaires à la fin des années 20. En protégeant les banques l'on mettait à l'abri le système financier dont elles constituent le poumon.

Sur le plan géographique, l'Interstate Banking and Branching Efficiency Act de 1994 consacre l'ouverture des portes de toute la nation américaine aux banques, qui avait déjà été bien enclenchée implicitement ou explicitement par les régulateurs des états et ceux situés au niveau fédéral tels que l'OCC (Office of Comptroller of the Currency, régulateur des banques dites « nationales »), la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation, régulateur des banques adhérant au système de la garantie des dépôts), et la Fed (régulateur des compagnies holding bancaires).

Sur le plan matériel, les restrictions pesant sur l'activité bancaire sont également levées. Les deux derniers textes en la matière signalent l'ouverture d'une nouvelle ère. Le Glam-Leach-Bliley Act (GLBA) de 1999 autorise notamment les banques à s'allier librement aux sociétés de bourse et à se lancer directement dans les activités financières tandis que le Commodities Futures Modernization Act de 2000 rend plus aisé l'accès aux marchés dérivés.

Au cours des années 70 et 80, ces barrières sont progressivement tombées, sous la pression de la mondialisation, des progrès technologiques et tout simplement des réalités du marché. La vague de dérégulation bancaire n'a fait qu'accompagner ce mouvement aux Etats-Unis. Dès la fin des années 1970, les banques subissent une vive concurrence de la part des « mutual funds », « pension funds » et « money market mutual funds » (MMMFs) qui offrent aux épargnants des produits de placement plus intéressants et mieux rémunérés. Les banques en conséquence perdirent leur position privilégiée dans le marché du crédit dès lors que les entreprises ont pu emprunter directement auprès du public en émettant des papiers commerciaux. Considérons les papiers commerciaux. Alors que les papiers commerciaux émis par les entreprises se chiffraient à environ 28 milliards de dollars US en 1980, soit 6% des prêts bancaires accordés aux entreprises commerciales et industrielles, ils atteignent 139 milliards en 1994, soit 16,7%. La conséquence bien sûr fut une profonde érosion de la profitabilité des banques. En réaction, les banques décidèrent, d'une part, de diversifier leurs activités en accordant par exemple des prêts très risqués mais à plus grand rendement, notamment dans l'immobilier commercial et, d'autre part, de se lancer dans des activités hors-bilan, plus risquées, telles que les produits dérivés et structurés. Et depuis lors, la solvabilité des banques n'est plus vraiment garantie, à cause de leurs prises excessives de risques. Dans un tel contexte, vous voyez que le système de Bâle, auquel sont également soumises les banques américaines, est clairement insuffisant et inadapté.

iFRAP : quelles perspectives voyez-vous pour un encadrement des agences de notation ?

Maître Mojuyé : La crise des « subprimes » a de nouveau mis en exergue les faiblesses du système de notation des instruments financiers. D'ailleurs, plusieurs procès sont en cours aux Etats-Unis sur la responsabilité des agences de notation (telles que Standart & Poor's, Moody's et Fitch) eu égard aux pertes subies par les investisseurs. Les agences de notation sont en effet accusées d'avoir minimisé les risques des produits structurés basés sur les hypothèques du « subprime », et d'avoir ainsi causé les pertes colossales écopées par les investisseurs.

Ce qui intéresse les régulateurs, c'est de savoir si les agences de notation ont agi avec complaisance ou si elles ont suivi les procédures adéquates pour émettre leurs notations.

Ce qui est troublant, c'est que les produits structurés en cause ont très souvent reçu d'excellentes notations de la part des agences de notation, qui ont été obligées de les dévaluer plusieurs semaines après le début de la crise des « subprimes ». Les agences de notation arguent souvent que les critères d'évaluation des sociétés et actifs financiers varient très souvent, ce qui peut expliquer les différences entre les notations pendant deux ou plusieurs périodes de temps. Les procès et les auditions parlementaires en cours permettront peut-être d'y voir plus clair.

La manière dont les agences de notation sont rémunérées est source d'un conflit d'intérêt potentiel. Elles sont rémunérées généralement par les émetteurs (« issuers ») et preneurs (« underwriters ») de titres et/ou instruments financiers. Autrement dit, les agences de notation sont payées par ceux qu'elles notent ; dans un marché où la concurrence est féroce, des pressions commerciales fortes peuvent incliner à des notations de complaisance.

Une autre difficulté vient du fait qu'il n'existe pas de réels indicateurs ou critères pour évaluer les performances des agences de notation.

Ce sont des défis qui ne se posent pas que sur le marché américain. Il serait bon que, non seulement la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine, mais encore l'Organisation internationale des bourses des valeurs (« International Organization of Securities Commissions » ou « IOSCO »), réfléchissent et fassent des propositions sur ces questions fondamentales.