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Obligation d'accueil des élèves et droit de grève

Nous avons reçu un nombre inhabituel de réactions à l'information que nous donnions sur la valeur constitutionnelle du droit de grève. Ceci nous surprend mais montre les dégâts que peut faire dans l'inconscient collectif le rabâchage d'idées simplistes, et la nécessité de les redresser. Certes tout le monde n'est pas censé lire les décisions du Conseil Constitutionnel, mais rares sont les médias à prendre la peine d'en parler.

Pour ceux que la question intéresse, voici quelques informations complémentaires d'ordre juridique.

Tout d'abord, la solution donnée dans la décision que nous avons citée n'est pas nouvelle : une décision du 25 juillet 1979 se prononce déjà dans les mêmes termes, qui ont donc été repris à l'identique 29 ans plus tard, à propos de la grève dans le service public de la radio et de la télévision. Le Conseil y affirme que “les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public… peuvent aller jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays”. Le Conseil avait toutefois invalidé partiellement la loi dans la mesure où celle-ci ouvrait le droit de réquisition du personnel pour assurer le “service normal” et pas seulement “le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays”.

Plus près de nous (16 août 2007), le Conseil s'est prononcé sur la constitutionnalité de l'obligation de recourir à une négociation préalable avant le dépôt d'un préavis de grève, en rejetant l'objection des parlementaires qui estimaient que cette obligation portait une “atteinte excessive à l'exercice du droit de grève” : « Considérant qu'aux termes du septième alinéa du Préambule de 1946 : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » ; qu'en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu'il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. »

En ce qui concerne le service d'accueil des élèves, il faut noter que la loi ne porte nullement atteinte au droit de grève des enseignants eux-mêmes puisque le service minimal ne touche que cet accueil et non l'enseignement. Le Conseil s'exprime à ce propos ainsi : "Considérant qu'en instituant un droit d'accueil des enfants scolarisés dans les écoles maternelles ou élémentaires publiques ou privées sous contrat, le législateur a entendu créer un service public ; que, si ce dernier est distinct du service public de l'enseignement, il lui est directement associé et contribue à sa continuité en permettant, le cas échéant, aux personnels enseignants présents dans les circonstances envisagées de continuer à assurer leur enseignement sans avoir à s'en détourner pour assurer l'accueil des enfants dont les enseignants sont absents ; que, dès lors, doit être écarté le grief tiré de ce que les limitations apportées par la présente loi au droit de grève des personnels enseignants ne trouveraient pas leur fondement dans la continuité du service public".

On voit donc que la conciliation entre le droit de grève et le principe de continuité du service public est un exercice subtil et délicat. Le Conseil n'a pas été jusqu'à décider que le second permettait de faire échec au droit de grève des enseignants, par exemple en ouvrant la possibilité d'user de la réquisition, mais seulement que le service d'accueil des élèves, distinct du service de l'enseignement, ne limitait pas abusivement l'exercice de ce droit de grève. Il est d'autant plus inadmissible de voir prendre argument du droit de grève dans un tel contexte.

Enfin, pour répondre à la réaction d'un lecteur, nous signalons que l'Etat accorde une compensation financière aux écoles accueillant les élèves au titre du service minimum. Elle a été fixée à 110 € par jour et par groupe de quinze élèves, aux termes du décret 2008-901 du 4 septembre 2008. L'Etat prend donc bien en charge la conséquence de ses décisions.