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Licenciements chez Arena : un dialogue de sourds

Le Conseil de Prud'hommes de Libourne vient de condamner le fabricant de maillots de bain Arena à verser 50.000 euros de dommages-intérêts à chacun des 96 salariés plaignants (sur 161) visés par la délocalisation, en Chine notamment, de son usine de Libourne. La société avait perdu 23% de son chiffre d'affaires en une année, mais cela n'a pas ému les juges qui ont noté que « s'il est évident que le transfert d'activité dans des pays à protection sociale inférieure aux normes françaises est susceptible d'entraîner une diminution des coûts de production ainsi qu'une augmentation des marges, cette circonstance ne saurait à elle seule constituer un motif économique de licenciement suffisant ».

Cette décision est hélas conforme à la jurisprudence de la Cour de Cassation que nous avons déjà analysée, selon laquelle le but premier d'une entreprise est de créer ou maintenir l'emploi et non la recherche du profit. Comme si cette la loi elle-même n'affirmait pas que cette recherche était l'objet d'une entreprise commerciale. Comme si en tout état de cause le profit n'était pas la condition de l'emploi, et qu'il fallait attendre pour réagir que la société ait encore perdu un quart de son chiffre d'affaires, voire soit au bord du dépôt de bilan avec la perspective de la mise en jeu, cette fois par le tribunal de commerce, de la responsabilité des dirigeants pour ne pas avoir réagi à temps…On pourrait aussi rappeler, s'agissant des délocalisations, que leurs détracteurs sont souvent les premiers à acheter en France des produits provenant des « pays à protection sociale inférieure » au grand dam des fabricants français : l'économie est mondiale ou elle n'est pas.

Le dialogue de sourds s'affirme plus que jamais, mais la décision Arena a aussi l'intérêt de souligner que les réactions peuvent se durcir et que la pratique des licenciements réputés juridiquement abusifs peuvent aboutir à des condamnations dépassant les six mois d'indemnité auxquels on est habitué. Dans le cas Arena le tribunal a accordé 50.000 euros à chacun des demandeurs. Cette somme excède certainement de beaucoup les six mois de salaire. D'autre part, accorder uniformément la même somme à 96 personnes démontre suffisamment que le tribunal n'avait pas comme objectif de réparer un préjudice individuel, dont l'estimation est nécessairement différente pour chaque personne, mais de prononcer une condamnation à des dommages-intérêts « punitifs » à la mode anglo-saxonne, c'est-à-dire sans rapport avec le préjudice subi. C'est une dérive inconnue en droit français, et qui devrait assurer la réformation du jugement en appel, mais non moins inquiétante et à surveiller.

Enfin on signalera certains commentaires selon lesquels la loi est insuffisante puisqu'elle ne parvient pas à empêcher les licenciements. On entend ainsi demander que les tribunaux soient saisis avant licenciement pour se prononcer sur l'existence d'une cause économique réelle et sérieuse, et encore que la reconnaissance en justice du caractère abusif d'un licenciement déjà intervenu contraigne l'employeur à réintégrer le salarié dans l'entreprise. On notera que la première suggestion dépasse nettement ce qu'était autrefois l'autorisation administrative de licenciement, puisqu'il s'agit maintenant d'obtenir que le juge, et non plus l'administration, se prononce sur le bien fondé de la cause du licenciement avant et indépendamment de tout litige. C'est heureusement une quasi-impossibilité juridique, et serait sans effet pratique car une action individuelle pourrait toujours être engagée après le licenciement.

Les conflits, qu'on les appelle lutte des classes ou autrement, ne sont pas près de s'apaiser…