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Le contrôle aérien espagnol en exemple pour la DGAC

Le contrôle aérien espagnol, c'était jusqu'à récemment le modèle français inversé en pire. Les salaires y sont mirobolants, la convention collective de travail des contrôleurs étant particulièrement léonine sur leurs avantages acquis.
Qu'on en juge : sur les 10 929 emplois d'AENA (Aeropuertos Españoles y Navegación Aérea) l'homologue espagnol de la DGAC, les contrôleurs aériens au nombre de 2 335 [1] bénéficient d'un salaire moyen annuel de 350000 €.

La mécanique infernale de la hausse des rémunérations espagnoles

La raison en est simple, les pouvoirs publics ont autorisé en 1999 [2], les heures supplémentaires afin, pensaient-ils, de maîtriser l'évolution de la masse salariale. La tarification des heures supplémentaires s'est faite avec une majoration de 2,65 fois celle du salaire horaire de base. Ainsi, avec un volume légal de 1200 heures annuelles travaillées, se sont greffées 600 heures supplémentaires pour aboutir à un total en 2008 de pratiquement 1800 heures (en réalité 1802 heures en 2008, mais 1750 heures en 2009) [3], leur permettant de majorer ainsi leur salaire de près de 210 000 € !

L'effet boule de neige des rémunérations des contrôleurs espagnols

Entrer dans la dynamique d'une forte rémunération des heures supplémentaires fut en Espagne comme ouvrir la boîte de Pandore. En effet, les personnels ont immédiatement mis en place des pratiques permettant d'auto-entretenir le système à leur plus grand profit. En décidant de maintenir des cadences forcées, les 600 heures supplémentaires accordées théoriquement pour permettre la continuité du service [4] en cas de hausse soudaine du trafic sont, dans la pratique, toujours consommées dans leur intégralité. Mieux, afin de forcer leur autorité de tutelle à ouvrir des vacations supplémentaires, les contrôleurs liquident leurs heures supplémentaires généralement avec trois mois d'avance sur la programmation prévue. Concrètement pour parvenir à ce résultat, ils groupent leurs heures travaillées au maximum en les prenant même pendant leurs jours théoriquement incompressibles de repos. Ces heures travaillées illégales représentent entre 33 et 50% des heures supplémentaires effectuées.

Sans surprise le coût du contrôle de la navigation aérienne explose dans la péninsule : 780 millions d'€. En fin de carrière, les avantages sont encore là, ainsi à partir de 52 ans, les contrôleurs peuvent-ils bénéficier de la « prime spéciale rétribuée » c'est-à-dire de la faculté de jouir d'une préretraite, pendant laquelle ces derniers peuvent continuer de percevoir leur salaire fixe de base jusqu'à l'âge de la retraite effective. Ce système particulièrement délétère aboutit à de nombreux abus (dont le fait que les contrôleurs concernés puissent exercer un second emploi, le plus légalement du monde), contribue également à plomber les comptes sociaux de l'AENA au bord de la faillite.

La réforme libérale du gouvernement Zapatero

La convention collective de 1999 arrivant à échéance en 2004, les pouvoirs publics ont organisé pas moins de 63 rencontres sans aucun succès. C'est la raison pour laquelle le gouvernement s'est décidé à agir unilatéralement. Par le décret loi royal du 5 février 2010 [5], après avoir fait le constat accablant du transport aérien ibérique, le gouvernement espagnol tire toutes les conséquences des dispositions offertes par le règlement européen du 21 octobre 2009 [6]. En conséquence, il impose une réduction des salaires de 40%, un objectif de réduction des taxes aéroportuaires de 15% pour une économie générée de 200 millions d'€ et surtout une rationalisation du contrôle aérien. Désormais, les petits aéroports seront soumis à un système de contrôle semi-automatisé (système AFIS, sans recours à des contrôleurs de plein exercice) tandis que, pour les aéroports de plus forte capacité, le contrôle aérien sera ouvert à la concurrence. Les futurs opérateurs candidats devront être certifiés par le ministère des transports et l'AESA, l'Agence étatique de sécurité aérienne.

On l'aura compris, le nouveau modèle espagnol du contrôle aérien risque de « révolutionner » l'organisation du transport aérien en Europe. Il est tout à fait vraisemblable que les zones situées plus à l'Est et au Nord avec les nouveaux pays membres de l'Union, verront d'un très bon œil l'initiative ibérique. Fera-t-il tache d'huile en France ? Concernant la zone FABEC (qui inclut la France), si les états convergent pour le moment sur l'idée d'un opérateur supranational unique, ils s'opposent aux contrôleurs français qui soutiennent le projet de coopérations renforcées entre opérateurs historiques, une ouverture du contrôle à la concurrence semble donc pour le moment écartée. Quoi qu'il en soit, l'exemple espagnol permettra au moins de fournir un étalon de référence en définissant in fine le coût optimal du contrôle aérien, celui du marché face à un modèle de prix administrés.

[1] Voir, le rapport annuel 2008 de l'AENEA tome 2, p.142 disponible à l'adresse suivante : http://www.aena.es/csee/ccurl/746/7...

[2] La convention collective publiée au BOE le 18 mars 1999 (www.boe.es/boe/dias/1999/03/...) ainsi que la correction des erreurs grevant le premier texte dans le BOE du 20 juillet 1999 (www.boe.es/boe/dias/1999/07/...).

[3] Par rapport à l'heure théorique travaillée, cela veut donc dire que les contrôleurs espagnols ont travaillé « virtuellement » à tarif horaire constant, l'équivalent de 2 790 heures, alors même qu'ils étaient censés ne dépasser leur contingentement de 1200 heures qu'à titre exceptionnel et sur la base du volontariat.

[4] Notons par ailleurs que certains contrôleurs décident en toute illégalité de faire encore des heures supplémentaires au-delà même de la limite des 1 800 heures annuelles.

[5] Voir, http://81.89.32.200/boe/dias/2010/02/05-2/pdfs/BOE-A-2010-1916.pdf pour une lecture exhaustive de la réforme espagnole.

[6] Voir règlement (CE) n°1070/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, afin d'accroître les performances et la viabilité du système aéronautique européen, JOUE 14/11/2009, p.L300/34 et suivantes… disponible à l'adresse suivante : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ...