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Un agent public témoigne : Oui, au contrat de droit privé dans la fonction publique

Élu d’une commune de montagne et ancien vice-président national d’une fédération de la fonction publique territoriale, Paul-Mathieu Le Gal-Ottaviani est un observateur perspicace et averti des réformes de la fonction publique passées et en cours.

En tant qu’élu local, pensez-vous qu’il faille plus de souplesse dans la gestion de la fonction publique territoriale ?

À titre liminaire il faut commencer par rappeler que la situation qui est faite aux agents contractuels de la fonction publique, tous versants confondus, n’est pas digne d’un grand service public comme le nôtre.

Précisons les choses : le conseiller d’État Jean-Ludovic Silicani, rapporteur général du Livre blanc sur l’avenir de la Fonction publique en 2008, écrivait avec courage et véracité : « le contractuel de droit public, c’est un sous-fonctionnaire, c’est un sous contractuel de droit privé, c’est un précaire, il n’a que des dénominations négatives ». Un ancien ministre de la Fonction publique affirmait lui aussi que : « Quand vous êtes agent contractuel de la Fonction publique à un poste qui peut être occupé par un titulaire - vous êtes dans une situation qui est peut-être la pire que l’on puisse connaître en droit français - vous n'êtes ni protégé par le statut de la Fonction publique, ni protégé par les dispositions concernant les salariés du privé. Vous faites partie de la catégorie de travailleurs français la moins bien protégée. ».

En conséquence, il faut résolument s’orienter vers l’ouverture de la Fonction publique à des agents contractuels de droit privé. En effet, les agents contractuels de droit public ne peuvent pas, en cas de licenciement abusif, saisir le Conseil des Prud’hommes où les indemnités de rupture de contrat sont souvent conséquentes, mais doivent plaider devant le tribunal administratif avec des procédures interminables et des indemnités quasi inexistantes. Qui plus est, le Code du travail et les principes généraux du droit du travail leur seraient alors applicables, avec une intervention possible de l’inspection du travail dans le cadre de toutes ses missions.

Avec des contrats de droit privé, les agents contractuels auraient droit, en principe, à un CDI automatique au bout de 18 mois. En revanche, avec des contrats de droit public, ils doivent attendre 6 ans avant de pouvoir espérer un CDI, non automatique qui plus est car à la discrétion de l’employeur !

Les syndicats de la Fonction publique, qui sont malheureusement d’abord des organisations représentant les agents publics statutaires, adoptent sur ces sujets une position défensive qui ne favorise pas la conjugaison harmonieuse de l’efficacité et de la souplesse de gestion. Les organisations syndicales de fonctionnaires adoptent systématiquement le point de vue implicite de la « titularisation » et demandent à ce titre la reprise des vagues de « déprécarisation » « Sauvadet » qui se sont achevées au 1er janvier 2018. Cela consiste donc à dire que le statut est la règle et le contrat l’exception…

Si plus de souplesse doit être accordée à la Fonction publique territoriale en termes de gouvernance et de modes de gestion, cela ne peut être assorti que d’un recours accru au contrat. C’est d’ailleurs ce qui avait été laissé à la discussion dans le premier rapport intermédiaire de la commission Bur/Richard. Ce document envisageait « l’ouverture du chantier relatif à l’assouplissement de certaines règles qui régissent la fonction publique territoriale - l’objectif visé devant être d’offrir une plus grande liberté aux collectivités employeuses - notamment en matière indemnitaire ou de recours aux contrats de droit public » comme contrepartie au processus de contractualisation.

Or ces propositions semblent d’ores et déjà écartées du débat public : au nom de la « mobilité » et de la transversalité, le débat sur une réforme du statut et sur la question de la nature des contrats est confisqué. 

Enfin, au sein de la Fonction publique territoriale, quelles sont aujourd’hui les prérogatives de puissance publique justifiant un recours verrouillé autour du statut au niveau local ? A bien y regarder les éléments sont très maigres : on peut citer la police municipale comme prolongation des pouvoirs de police du maire. On peut citer également la tenue de l’État civil et les services d’incendie et de secours (SDIS), missions de service local. Mais pas beaucoup plus (peut-être certaines missions liées à la cohésion sociale). En particulier, il faut s'étonner de la distinction qui est aujourd’hui faite (par la circulaire du 29 avril 2011 Ndlr) entre les fonctions appartenant au fonctionnement interne des collectivités et celles qui relèvent de missions au bénéfice direct des administrés. En principe toutes devraient pouvoir être réalisées par contrat. La structure de la Fonction publique territoriale se prête donc particulièrement bien à une ouverture plus large aux agents contractuels.

En effet, l’organisation statutaire (hors fonction publique des administrations parisiennes) n’y est pas répartie en corps, mais en filières et cadres d’emplois, ce qui permet parfaitement de faire coexister une fonction publique de carrière (sous statut) et une fonction publique d’emploi (sous contrat). À terme la nouvelle organisation statutaire de la Fonction publique devrait dépasser les frontières des cadres d’emploi au profit d’une logique de métier assumée.

Enfin, les espaces envisagés en matière de rémunération, notamment en ce qui concerne la fin de la revalorisation du point de la Fonction publique, semblent aujourd’hui en passe d’être abandonnés. Rappelons qu’un contrat de droit privé pourrait être préféré par de nombreux agents publics à un statut de droit public, car les mérites professionnels y sont reconnus par des augmentations de salaire. Une gestion par des contrats de droit privé est plus efficace et moins coûteuse que sous statut de droit public : aucun des dirigeants des banques, d’Orange et de Pôle emploi ne propose le retour au statut de droit public, et même le personnel n’y est pas, en très grande majorité, favorable. Tous nos voisins européens suppriment peu à peu, pour les fonctions publiques non régaliennes, le statut et sa garantie d’emploi à vie de leurs agents publics, et ont donc compris que la Fonction publique du futur sera une Fonction publique avec principalement des agents contractuels.

Mis bout-à-bout, les avancées actuelles du Gouvernement telles qu’annoncées aujourd’hui ne devraient pas permettre d’accorder plus de souplesse aux exécutifs locaux dans la gestion de leurs ressources humaines. Et c’est bien dommage, car la transition démographique de notre Fonction publique territoriale est devant nous, le pic étant attendu entre 2020 et 2028 environ.

Vous proposez un recours accru au contrat de droit privé ; il s’agirait d’une véritable révolution copernicienne ?

Il faut rompre nécessairement le cordon ombilical entre la FPE et les exécutifs territoriaux, municipaux. Ces exécutifs doivent pouvoir être en mesure de recruter aux prix du marché, leurs cadres, qui plus est dans les collectivités territoriales de moindre envergure, et donc notamment par des contrats de gré à gré.

Pendant la campagne, le président Emmanuel Macron disait : « Les collectivités territoriales pourraient recourir plus largement à des recrutements de droit privé, dans un premier temps pour les postes d’encadrement. » Il avait déjà compris les enjeux d’une ouverture progressive au contrat et significativement aux contrats de droit privé. Cette idée ne doit pas rester sans lendemain.

Les syndicats de fonctionnaires statutaires se trompent lorsqu’ils pourfendent le contrat pour mieux défendre le statut, le recours aux contrats de droit privé auraient également d’autres avantages. En particulier, le fait de protéger les salariés du secteur public des conditions de travail parfois dégradées dont ils sont l’objet, en impliquant de facto et pas seulement au niveau des CHSCT, le contrôle de l’inspection du travail. Les employeurs locaux seraient alors tenus aux mêmes normes d’exigence en matière de conditions de travail et de qualité du management que celles qu’ils imposent aujourd’hui aux employeurs privés. Cela mettrait fin à une certaine forme d’exceptionnalité souvent subie qui perdure malheureusement dans nombre de services.

Cette ouverture aboutirait nécessairement à un éloignement du principe de parité, qui impose d’envisager au mieux un alignement des rémunérations et des régimes indemnitaires de la Fonction publique territoriale (FPT) sur ceux de la Fonction publique d’État. Dans la mesure où le contrat deviendrait progressivement la norme dans la FPT, les rémunérations devraient tenir compte de l’absence de sécurité liée au statut et être relevées d’autant, les agents contractuels n’étant pas propriétaires de leur grade. Une telle ouverture pourrait en tout cas avoir le mérite de créer les conditions d’un déplacement de fonctionnaires titulaires d’un statut vers un contrat librement choisi, car mieux rémunéré et plus attractif, mais aussi porteur de véritables droits sociaux. Il serait alors possible d’obtenir un « effet stock » et un « effet flux » en direction du recours au contrat : droit d’option aux fonctionnaires et agents contractuels de droit public, pour accepter un contrat de droit privé. Donner aux fonctionnaires le choix entre un statut de droit public figé et un contrat de droit privé évolutif sera également un moyen d’accélérer leur passage du public au privé.

Enfin, une ouverture progressive aux contrats de droit privé aurait le mérite de faciliter la convergence des systèmes de retraites pour plus d’équité.

Quant aux employeurs publics, ils devraient « payer » pour mettre fin à un contrat, faire donc attention aux conditions d’emploi et au respect de la législation commune du travail, ainsi qu’au formalisme du droit privé, siéger aux conseils des Prud’hommes et améliorer leur stratégie RH en développant de façon beaucoup plus fine qu’aujourd’hui la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences).

Le recours au contrat de droit privé permettrait également aux salariés de disposer d’une assurance chômage et des opportunités de reclassement identiques aux salariés du privé, et non se retrouver gérés en auto-assurance par les employeurs publics comme à l’heure actuelle.

Normaliser le recours aux contractuels devra-t-elle passer par une rénovation des instances représentatives au sein de l’administration ?

Soyons clairs. Aujourd’hui les instances représentatives des agents contractuels ne sont pas suffisamment développées. Par ailleurs, les instances nationales comme les Conseils supérieurs de chaque fonction publique et le Conseil commun des trois fonctions publiques, ne laissent pas de place aux représentants des agents contractuels. Ce sont les représentants des titulaires qui sont théoriquement chargés de représenter les contractuels et généralement pas en leur faveur. Ces premiers s’abritent d’ailleurs sur le fait que pour l’élection des comités techniques tout le monde vote (titulaires et contractuels) si bien qu’aux niveaux supérieurs qui en sont les émanations, les agents contractuels ne sont plus représentés que par des titulaires, vous avançant qu’ils représentent les uns et les autres.

Les processus dits de « titularisation » ne se font généralement pas au plus grand bénéfice des heureux élus. Les « titularisés » doivent souvent attendre 5 ou 6 ans, voire plus, avant de pouvoir progresser dans leurs nouveaux emplois ; ils vivent leur arrivée dans le statut comme des titulaires de seconde zone, parce qu’ils n’ont pas eu l’onction du concours.

Pour en revenir aux instances représentatives, le renforcement du recours au contrat devrait déboucher sur une alternative : un recours accru aux Commissions Consultatives Paritaires avec une meilleure représentation au niveau national par versant pour les agents contractuels de droit public et, dans le cas du recours aux contrats de droit privé, la mise en place au besoin de CE spécifiques (comités d’établissement et de comités centraux au niveau des ministères, des collectivités, des centres de gestion territoriaux), etc.

Il existe donc deux options : les agents contractuels de droit privé, dont il faudrait généraliser le recrutement au sein des trois versants, devraient soit pouvoir disposer d’instances de représentation propres au niveau local et au niveau national, soit bénéficier d’un élargissement des compétences des Commissions Consultatives Paritaires des agents contractuels de droit public (actuelles à la FPE et futures à la FPT).

Concernant la Fonction publique territoriale, le gouvernement projette, réglementairement, de confier aux mêmes instances disciplinaires de recours, les dossiers d’appel des fonctionnaires et des agents contractuels de droit public. Ce sont donc les fonctionnaires titulaires, quasiment majoritaires au sein de ces instances, qui se prononceront sur l’avenir des agents contractuels.

Pour conclure, plus largement que souhaitez-vous pour la fonction publique territoriale de demain ?

Il faut refuser la démarche caricaturale et stérile qui consiste à opposer les fonctionnaires et ceux qui ne le sont pas. Au contraire, il faut développer la mise en place de véritables passerelles entre les collectivités territoriales et le « privé ». Bref, un nouveau paradigme culturel dans la gestion des ressources humaines des administrations !

La majorité des syndicats ne pourraient ainsi plus faire montre d’un affligeant psittacisme en se complaisant à dénoncer l’existence d’un « statut bis », et en arguant que les contrats de droit public actuels « dévorent » le statut, puisque ces derniers laisseraient la place à de véritables contrats de droit privé beaucoup plus protecteurs pour leurs détenteurs... Cela aurait le double avantage de faire garder son autonomie de gestion à la Fonction publique territoriale, liée au régime juridique de sa libre administration, et d’intégrer plus fortement les principes généraux du droit « commun » du travail européen et national dans ce qui deviendrait un véritable droit public du travail.

Il faut dépasser les calculs politiciens et les spéculations sur le nombre de voix que rapporterait ou ne rapporterait pas telle ou telle décision, et impérativement refondre l’action publique avec un meilleur service au citoyen à moindre coût. À force d’atermoiements, de demi-mesures, de compromissions, de promesses de campagne électorale non tenues, le train de la reprise pourrait ne jamais repartir…

Rappelons cette remarque très juste du ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire alors candidat à la primaire des Républicains : « Que le responsable des espaces verts de la ville de Nevers ou celui des services culturels de Calais bénéficient du statut de fonctionnaire et de l’emploi à vie n’a aucun sens. ». On peut y rajouter : « idem pour un cantonnier d’une commune de montagne de moins de 100 habitants ».

L'idée principale est que « le statut n’est pas une statue », et ne doit être ni gravé dans le marbre, ni être un obstacle à une gestion innovante du personnel. Nous ne pouvons plus rester focalisés sur une vision dogmatique du statut. La Fonction publique doit nécessairement se réarmer intellectuellement, afin d’être en mesure de relever les défis du 21ème siècle et pour faire des services publics et de la Fonction publique des atouts pour la France. La réforme de la Fonction publique doit passer au mode turbo, un très grand nombre de citoyens le réclament. La fonction publique territoriale en particulier, présente les caractéristiques qui la rendent plus apte qu’une autre pour initier cette réforme.