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Réforme des finances locales : fin du gonflement des chiffres

Une évolution du mode de calcul de la population des communes - qui prendra effet à partir du 1er janvier 2009 - fait naître des sueurs froides aux maires et aux responsables intercommunaux. En effet, l'ancienne clé de calcul [1] permettait de « gonfler » artificiellement les effectifs des populations, et à la clé de récolter des dotations majorées, mais aussi une majoration du nombre de conseillers municipaux, des indemnités versées aux maires et aux adjoints etc… Explications.

Une part importante des concours de l'Etat aux communes et aux intercommunalités, première ressource financière des collectivités locales, est indexée sur une évaluation de la « population » locale. Or cette évaluation, prise en charge par l'INSEE, se fera à partir du 1er janvier 2009 sur une base quinquennale et servira de référent unique pour une part importante de la dotation générale de fonctionnement communale, la dotation forfaitaire « de base ».
L'évolution technique programmée permettra un pilotage fin avec une mise à jour annuelle de la population communale, et risque donc de troubler la croissance régulière des budgets municipaux gonflés artificiellement par des conseillers municipaux bien heureux de pouvoir toucher des émoluments plus élevés…

Des habitants qui comptent double :

La dotation forfaitaire représente la pierre angulaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes et intercommunalités. Nous nous intéresserons plus particulièrement à son mode de calcul et précisément à celui de la dotation de base. Cette dotation utilise la « population DGF » qui se fonde sur la population INSEE incluant des majorations artificielles. Ce que l'on peut dire, c'est que l'Etat se révèle particulièrement prodigue. Qu'on en juge :

La population INSEE inclut en effet :
- La population municipale au sens strict (recensement de 1999)
- La population « comptée à part » dont les élèves en internat, les militaires, les personnes hospitalisées, les aliénés, les travailleurs logés sur des chantiers temporaires, les détenus…

En clair, sont comptabilisés les prisonniers alors même que le fonctionnement de la prison ne repose pas sur le budget municipal, mais sur celui de la Justice… ou les pensionnaires des hôpitaux alors que le maire qui préside de droit le conseil d'administration de l'établissement n'intervient que très peu dans le financement de son activité. Mais il y a plus, car si l'on peut débattre de l'intérêt de cette comptabilisation de population « surnuméraire », on doit également relever qu'elle est comptée deux fois : en effet par exemple, les élèves en internat dans une autre commune, sont toujours comptabilisés dans leur commune d'origine parce qu'ils continuent à « entretenir un lien avec la commune », les professeurs exerçant leur activité à l'extérieur également, mais aussi les enfants avec garde alternée, les aliénés, les ouvriers sur chantiers éloignés etc…

Au final la population comptée INSEE totale sur laquelle se base le calcul de la dotation forfaitaire aux communes est supérieure de 1 à 2 % aux effectifs réels. En additionnant le nombre d'étudiants internes, le nombre de places de casernes de gendarmerie, le nombre de prisonniers et l'approximation du nombre d'étudiants non internes vivant hors du foyer de leurs parents, on estime à environ 1,4 million le nombre d'habitants comptés en double pour évaluer la dotation de fonctionnement.

Des logements vides qui augmentent également le nombre d'habitants

La population totale gonflée par l'Insee n'est pas la seule subtilité statistique à effet « dopant » des ressources des communes. On doit également y ajouter :
- La population fictive, attribuée lors d'un recensement complémentaire qui prend en compte par anticipation
- « les logements en chantier » par destination ou par transformation, avec attribution d'un montant fictif de 4 personnes par logement (art.D.2151-3 du CGCT), voire 6 personnes lorsque la communauté est membre d'un syndicat d'agglomération nouvelle.
- les résidences secondaires, avec attribution d'une personne par logement
- les places des aires d'accueil à destination des gens du voyages, à raison d'une personne par place de caravane. [2]

Une population virtuelle de 6 millions d'habitants

Le deuxième niveau de retraitement grossit artificiellement les populations des communes françaises de 4,6 millions de personnes environ [3]. Au bilan l'iFRAP évalue à 6 millions environ le nombre de personnes virtuelles venant grossir la population des communes et augmentant leur dotation globale de fonctionnement.

L'utilisation de telles bases de calcul majorées conduit en conséquence à accroître de façon très importante la dotation de base et partant de la dotation forfaitaire. Et concrètement, cela aboutit à fausser l'enveloppe allouée aux communes en les « majorant » virtuellement en dotations. Comme le montre le tableau n°1, une commune a tout intérêt à autoriser la construction d'une aire d'accueil pour les gens du voyage ou d'un nouveau lotissement puisque la dotation par habitant augmente (de façon continue) avec la taille de la population.

Tableau 1 : valeur arrondie de la dotation de base par habitant en fonction de la taille de la commune
Taille de la communeDotation de base (en euros par habitant)
<500 habitants 60
1.000 habitants 67
10.000 habitants 90
50.000 habitants 113
>200.000 habitants 120
Source : calcul iFRAP d'après Bercy
Note : La dotation globale de fonctionnement (13,6 milliards € base 2005) comprend une dotation forfaitaire et des composantes liées à la péréquation. La dotation forfaitaire est définie par le calcul d'une dotation de base, revalorisée de 2 ou 3 % grâce au coefficient de revalorisation annuel fixé par le comité des finances locales à partir du taux fixé par la direction générale des finances…

Un gonflement des populations qui contribue à augmenter les indemnités des élus

L'augmentation « virtuelle » de la population n'influe pas seulement sur le montant de la dotation globale, mais aussi sur le nombre et les indemnités des élus ! En effet, ils dépendent également de la population « virtuelle » totale ! le tableau 2, simplifié, donne un aperçu de l'intérêt qu'ont les élus à voir augmenter la population pour augmenter leurs émoluments.

Tableau 2 : Indemnités brutes maximales des maires et adjoints en fonction de la taille de la commune
Taille de la communeAdjoint au maire - Indemnité brute mensuelle (en euros)Maire - Indemnité brute mensuelle (en euros)
<500 habitants 245 632
1.000 habitants 615 1600
10.000 habitants 1023 2419
50.000 habitants 1637 4094
>200.000 habitants 2698 5397
Source : Code général des collectivités territoriales
Note : le montant de l'indemnité brute mensuelle est un maximum à ne pas dépasser.

Ensuite, les communes disposant de ZFU et de ZUS (zones franches urbaines et zones urbaines sensibles) ont droit à un « sur-classement démographique », aboutissant à une population artificiellement augmentée ce qui impacte à la hausse les effectifs à pourvoir en matière de recrutement de fonctionnaires locaux et de majoration des indemnités perçues par les élus.

Les réveils seront durs, mais l'égalitarisme empêche des économies par anticipation :

Cependant, à compter du 1er janvier 2009 [4] et en liaison avec le recensement général entamé en 2006, le système basculera enfin vers un décompte réel des populations par l'INSEE (bien que l'on conserve encore le décompte « population municipale/population comptée à part). Le réveil risque donc d'être dur pour les communes habituées à ces perfusions sur-dosées d'argent public. En effet, certaines communes n'ont pas hésité à procéder à des recensements complémentaires en 2007 et 2008 pour accroître encore leur « population DGF ». Or à compter du premier janvier 2009 seules les populations base 2006 seront comptabilisables. D'où d'importantes baisses dans les dotations d'Etat.

Inversement, pour les communes vertueuses ayant été déjà enquêtées depuis 2006, et désireuses de basculer sur la nouvelle norme par anticipation afin de moins solliciter les finances publiques nationales, elles ne pourront pas le faire avant le 1er janvier 2009 au nom de l'égalité des communes devant les dotations publiques ! Un comble lorsque l'on songe à l'importance de la responsabilisation des acteurs locaux en la matière !

Conclusion :

Il faut bien avoir à l'esprit que l'ampleur des concours de l'Etat aux collectivités territoriales, conduit à faire du citoyen national le premier contributeur aux budgets locaux : en 2006 les impôts locaux ont représenté 60,2 milliards € tandis que les concours de l'Etat s'élevaient à hauteur de 64,6 milliards, ce qui veut dire que le contribuable national a été sollicité pour 51,7% du total.
C'est donc à lui de s'intéresser particulièrement aux mécanismes qui gouvernent les concours de l'Etat : les transferts fiscaux (TIPP et taxe sur les conventions d'assurance (TSCA)) mais aussi les mécanismes des dotations de l'Etat (sous forme de dotations budgétaires ou de prélèvements sur recette).
Avec la réforme du recensement INSEE c'est donc la remise à plat de certaines pratiques, mais aussi de certains revenus à commencer par celui des édiles municipaux… Une explication plausible de certains cris d'orfraies ?

[1] le recensement INSEE dit « légal » est retraité pour aboutir à la « population relative à la dotation globale de fonctionnement » (ou « population DGF »)

[2] Les aires d'accueil des gens du voyage peuvent voir leur gestion transférée par les communes vers des EPCI (établissements publics de coopération intercommunales) en leur déléguant leurs compétences en la matière. Mais en conséquence, curieusement, la population DGF de la commune restera majorée alors même qu'elle ne supportera plus désormais la charge de la gestion de ces tâches. Dans le même temps, les EPCI verront leur propre « population DGF » majorée dans les mêmes proportions. On les compte donc 2 fois !

[3] soit 1,72 million de personnes pour les logements en construction, 2,9 millions de personnes pour les résidences secondaires et 12.000 personnes pour les gens du voyage

[4] Avec la nouvelle base de calcul applicable en 2009 (loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité), les communes de plus de 10 000 habitants seront recensées par sondage annuel par l'intermédiaire d'un répertoire des immeubles localisés dans chaque commune et mis à jour en continu. Les nouveaux logements étant recensés au cours d'un cycle de 5 ans. Les communes de moins de 10 000 habitants continueront à faire l'objet d'une enquête exhaustive à raison de 1/5ème des communes concernées par an.