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Mobilité des fonctionnaires : un pas minuscule, une contestation ridicule

L'Assemblée nationale s'apprête à discuter en lecture unique du projet de loi tendant à améliorer la mobilité des fonctionnaires. Euphémisme pour signifier que l'on tente de remédier à leur quasi-totale immobilité.

Le rapport présenté aux députés dresse le tableau suivant de cette immobilité au sein de la fonction publique, qui montre aussi que ça ne va pas en s'arrangeant [1] :

199620002004
Mise à disposition 0,3 % 0,3 % 0,3 %
Détachement 1,6 % 2,3 % 2,4 %
Position hors cadre 0,1 % 0,1 % 0,1 %
Disponibilité 1,9 % 1,6 % 1,6 %
Congé parental 0,4 % 0,5 % 0,5 %
Total 4,2 % 4,8 % 4,9 %

Une partie du projet de loi tend à améliorer la mobilité lorsque celle-ci est demandée par le fonctionnaire lui-même : dorénavant l'administration d'origine ne pourra plus s'opposer à cette demande.

Cette réforme va de pair avec le problème causé par l'étanchéité des différents corps administratifs et la diminution du nombre ce ces corps. Mais les syndicats partent en guerre contre une modification de la loi dont voici la synthèse : le texte (article 6) envisage désormais le cas d'une « restructuration » conduisant à une suppression de l'emploi occupé par le fonctionnaire, auquel cas celui-ci est « placé en situation de réorientation professionnelle ». L'administration établit alors un « projet personnalisé d'évolution professionnelle », et garantit une formation, un suivi « individualisé et régulier », ainsi qu'un appui dans le cadre de sa réintégration. Si à l'expiration de cette réorientation, le fonctionnaire refuse trois offres d'emploi, il peut être mis en disponibilité.

Cette dernière disposition, avec la référence faite à une possible « restructuration » dans l'administration, met le feu aux poudres. Précisons quand même qu'il faut que les offres soient « fermes et précises », qu'elles correspondent au « grade » et au « projet personnalisé d'évolution professionnelle » de l'intéressé, et qu'elles tiennent compte tant de « sa situation de famille » que de son « lieu de résidence habituel ». Précisons encore que la mise en disponibilité n'est pas un licenciement car à tout moment l'intéressé peut retrouver son statut et son salaire.

Que voilà un grand pas de fait ! On attend avec impatience les nouvelles statistiques qui permettront de mesurer l'amélioration de la mobilité. Et pourtant voici les syndicats rugir à la « casse du service public », et celle du « statut de la fonction publique », et appeler (apparemment en confidence cette fois) à la grève ce jeudi 2 juillet.

La réaction la plus frappante - et la plus parlante -, est l'intervention du député (PS) Bernard Derosier, qui est aussi président du Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale (CSFPT) et président du Conseil Général du Nord, lors de la discussion en Commission des lois : « L'article 6 fait partie des dispositions inacceptables du texte. La mobilité, qu'il tend légitimement à encourager, doit profiter aux agents et surtout à la qualité du service rendu. Or, ici, manifestement, elle n'est prise en compte que comme outil de restructuration pour l'État ». Jean-Claude Mailly, interrogé sur France-Inter le 2 juillet, reprend exactement la même argumentation, en pensant condamner définitivement la réforme du seul fait que l'on parle de restructuration de l'Etat.

Donc, pour ces responsables, la mobilité doit profiter d'abord aux agents. D'autre part, restructurer l'Etat, c'est l'opposé de l'amélioration du service rendu, cela ne se discute même pas. Pas une seconde on ne reconnaît que le devoir de l'administration, c'est de s'adapter pour répondre aux exigences du monde moderne. Pas une seconde on ne parle de l'intérêt général. Tout est donc dit dans ces quelques mots désolants qui émanent quand même du président du CSFPT. C'est d'ailleurs le même reproche de « casse du service public » que l'on retrouve par exemple à propos des tentatives de modernisation de La Poste, qui n'a pas su, jusqu'à très récemment, tenir compte du phénomène d'urbanisation pour adapter ses structures d'accueil.

L'immobilisme est donc bien la tare essentielle dont souffre l'administration. Le projet de loi constitue une avancée, mais malheureusement minuscule tant est politiquement redoutable la pression qu'exercent ceux qui sont censés représenter nos 5,2 millions de fonctionnaires. Nous disons bien « censés représenter », car il n'est pas vrai qu'il existe 5,2 millions d'opposants à une politique de modernisation et de mobilité. Pas plus que lorsqu'on remarque que 16 fonctionnaires seulement sur 2,2 millions de la Fonction Publique d'Etat sont licenciés par an pour insuffisance professionnelle, on ne fera croire que l'immense majorité des fonctionnaires ne s'en offusque pas. Ce serait faire injure à ces derniers, et finalement à leur intérêt bien compris. Les Français ne sont pas différents des Italiens, qui ont aboli le statut de la fonction publique et, à en croire les sondages effectués, ne le regrettent absolument pas. A quand une expression de la majorité silencieuse des fonctionnaires français eux-mêmes qui nous fera découvrir que « le roi est nu » ? A quand une nuit du 4 août pour abroger le statut de la fonction publique ?

[1] Dans le même ordre de considérations sur l'immobilité, on peut rapprocher cette statistique du nombre de fonctionnaires licenciés chaque année pour insuffisance professionnelle : 16 personnes sur un total de 2,2 millions de fonctionnaires de la Fonction Publique d'Etat, et encore après deux ou trois ans de procédure. Une seule personne sur 137.500 serait donc professionnellement insuffisante…