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L'Etat est-il un bon locataire ?

La période estivale est propice à la communication de rapports sensibles. Celui sur «  L'Etat locataire », déposé à la Présidence du Sénat en juillet 2009 par la sénateur Nicole Bricq ne fait pas exception à la règle.

Il n'a d'ailleurs été rendu public qu'au cours du mois d'août et révèle un certain nombre de dysfonctionnements importants dans la façon dont l'Etat se comporte lorsqu'il devient locataire.

Etat-Locataire : France Domaine aux abonnés absents

En théorie, tout ce qui relève de la politique immobilière de l'Etat devrait aboutir au service spécialisé dans les questions immobilières et domaniales, France Domaine. Rappelons que celui-ci ne manque pas de personnel, puisqu'il comportait 1815 personnes équivalent temps-plein travaillé au 1er janvier 2008 [1]. En outre, lorsque les administrations prennent à bail un immeuble situé dans le parc locatif privé, l'avis de ce service est toujours requis afin de valider le contrat [2]. Théoriquement donc, France Domaine contrôle, informe et conseille les ministères sur leur politique locative. En réalité il n'en est rien. La sénatrice Nicole Bricq fait un constat lucide et sans concession : «  Le service France Domaine, aujourd'hui, se trouve dans la complète incapacité d'estimer le coût global que représentent les loyers supportés par l'Etat, pour des immeubles de bureaux, sur l'ensemble du territoire. » Point de chiffres globaux donc, ni même d'estimation fiable à fournir… les contribuables apprécieront…

Pour aboutir à une situation aussi dégradée, il faut savoir que dans les faits, les agents de France Domaine à de rares exceptions près, délivrent toujours un avis conforme et se contentent d'archiver les documents transmis. L'inventaire exhaustif des baux conclus pour Paris et l'Ile-de-France, n'existe d'ailleurs pas, et Nicole Bricq n'a pu obtenir qu'une recension partielle des surfaces locatives des ministères dont les baux étaient d'une valeur supérieure à 500 000 € (hors taxes et hors charges) et encore, uniquement pour Paris et sa proche banlieue. A la suite de cette enquête, c'est 88 baux en Ile-de-France et 72 baux souscrits dans la capitale qui ont pu être identifiés ; l'ensemble représentant une charge pour l'Etat de près de 429,5 millions d'€ pour une surface totale de 927 080 m².

Le palmarès Parisien des services locataires les plus dispendieux

Afin de se faire une idée partielle des surcoûts occasionnés par ces locaux loués sans expertise sérieuse préalable, nous avons dressé une liste synthétique classant les bâtiments en fonction de la surface occupée par fonctionnaire [3] et en y faisant figurer également la surface louée totale et le montant du loyer. Les résultats sont édifiants :

Extraits du classement des organismes dont les baux sont supérieurs à 500.000€/an
Institutionsratio d'occupation m²/agentsurface louéeMontant du loyer annuelCoût du m²classement du plus au moins onéreux
Cour de justice de la République 53 805 inconnu inconnu inconnu
Agence d'évaluation et de recherche de l'enseignement supérieur (AERES) 43 3 003 2,1 millions 695,6 6
Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT) 36 2 124 2,1 millions 998,6 1
Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) 27 2 126 1,5 millions 706,3 5

La Cour de justice de la République [4] arrive en premier pour la surface allouée par fonctionnaire. Cette juridiction d'exception où siègent les parlementaires, offre ainsi une surface par fonctionnaire de 53 m²/agent. Du jamais vu, sachant que ces locaux ne sont pas adaptés pour les sessions de la juridiction. Celles-ci ont lieu généralement au Centre de conférence de l'avenue Kléber ou sous l'esplanade des Invalides. Le montant des loyers et le coût par m² évalués par les services compétents de l'Assemblée nationale n'ont pas été communiqués. Retenons toutefois que les surfaces représentent près de 4 fois l'espace normalement dévolu par fonctionnaire.

En seconde, troisième et quatrième position du classement par ratio d'occupation arrivent des autorités administratives indépendantes. Celles-ci ont pu louer dans des quartiers parisiens très onéreux des locaux dont les prix oscillent entre 695,6 € à 998,6 € du m², sans se soucier des coûts induits pour la collectivité. Là encore, les standards définis dans le cadre de la RGPP pour l'Etat propriétaire (12m²/fonctionnaire), sont largement dépassés : les surfaces s'échelonnent de 43m²/agent pour l'Agence d'évaluation et de recherche de l'enseignement supérieur (AERES) à 27m²/agent pour la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE). Comme le relève le rapport pour cette dernière : «  les 27 m²/agent dont dispose la HALDE, qui n'a pas vocation à recevoir du public sauf, ponctuellement quelques associations, s'avèrent disproportionnés par rapport aux besoins réels ».

Concrètement, il n'existe pas de véritable pilotage de l'Etat locataire, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une autorité indépendante ou d'un organisme parlementaire. D'ailleurs la plupart de ces services pourraient facilement être déplacés en périphérie de l'agglomération parisienne, sans altérer sensiblement leur fonctionnement et avec à la clé de sensibles économies. Il existe en effet à la fois un effet géographique et un effet surface. Les entités administratives épinglées par le rapport présentent, d'une part une localisation dispendieuse, mais aussi des surfaces parfois extravagantes par rapport à la taille des services.

Vers une politique de l'Etat-locataire

Cet état de fait est alarmant. Il relativise en effet sensiblement la profondeur de la rationalisation opérée par la RGPP au sein de l'administration publique, et tout particulièrement en matière immobilière. Comment expliquer sinon que, sous prétexte que la Révision générale ne prévoyait pas expressément le volet de l'Etat locataire, ni France Domaine, ni les ministères et opérateurs concernés ne l'aient pris en compte par extension dans le cadre de la réforme de l'Etat propriétaire ? En matière de loyers, ce sont toujours les directions immobilières des ministères qui tiennent la haute main sur la passation et le renouvellement des baux, sur le choix des emplacements, en toute indépendance, sans véritable intervention de France Domaine.

La situation est d'ailleurs pire que celle de l'Etat propriétaire à ses débuts. Ainsi que le relève le rapport, «  le parc de bureaux loués par l'Etat pour ses services demeure mal connu faute de recensement ». Il faut dire qu'il n'existe pas d'équivalent au Tableau général des propriétés de l'Etat (TGPE) pour les baux des administrations. Il est donc urgent d'agir suivant quatre étapes :

- Une recension exhaustive des locaux loués par l'ensemble des administrations d'Etat, incluant les opérateurs de l'Etat.

- Greffer une extension à l'application Chorus-RE (Real Estate) qui va remplacer le TGPE, sous la forme d'un tableau de bord de l'Etat locataire [5].

- Réinvestir France Domaine dans sa mission de suivi et de conseil à la négociation ou à la renégociation des baux, avec un système d'alerte permettant aux administrations de réagir au moins 18 mois avant l'échéance.

- Enfin, il faudra s'interroger sérieusement sur l'arbitrage éventuel entre achat et location. En la matière il n'est pas sûr que la doctrine esquissée par la rapporteur soit la meilleure. Ce n'est pas tant en fonction du caractère permanent ou transitoire du service qu'il faudra se décider pour l'une ou l'autre option. Il semble au contraire que cela soit plutôt en fonction des coûts d'entretien courant et de gros œuvre anticipés. Rappelons que l'entretien courant relève des obligations du locataire tandis que le gros œuvre dépend du propriétaire bailleur. En la matière, les travaux à réaliser sur l'immobilier de l'Etat sont colossaux : les mises aux normes HQE (haute qualité environnementale) représenteraient un coût de 1,4 milliard/an sur dix ans auquel devraient être rajoutés l'entretien et le gros œuvre pour 2,6 milliards d'€/an supplémentaires.

Dans un souci de bonne gestion, il serait légitime de céder les bâtiments les plus exposés et de les remplacer par des surfaces de bureau rationalisées, localisées dans des zones moins chères prises à bail. Ce système souple conviendrait sans doute mieux à une administration en constant remaniement qui doit adapter tant le volume de ses services que le déplacement incessant de ses structures.

Comme l'évoquait à un colloque sur l'immobilier de l'Etat en juin dernier Olivier Piani, Président d'AGF Immobilier Allianz Dresner : « Pourquoi acheter (…) ce n'est pas forcément le plus important d'être propriétaire. Il ne faut pas brader l'argent des contribuables ».

[1] Voir « Immobilier de l'Etat, anarchie dans l'administration française », Société Civile, n°87, janvier 2009 p.19

[2] Le rapport précise que « Toute prise à bail envisagée par un service de l'Etat fait l'objet d'un avis formel des services déconcentrés de France Domaine dont la signature conditionne la validité du bail ». Voir rapport Bricq p.11. Voir circulaire du Premier ministre du 16 janvier 2009, relative à la politique immobilière de l'Etat.

[3] dont la norme pour l'administration est désormais de 12 m²/agent

[4] La Cour de justice de la République est une juridiction chargée de juger les infractions commises par les membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions. Elle se compose de douze parlementaires (six députés et six sénateurs) et de trois juges du siège de la Cour de cassation.

[5] Or cette mission risque de s'avérer difficile étant donné la rigidité du système Chorus et surtout du fait qu'il n'apporte aucune fonctionnalité nouvelle par rapport à l'ancien TGPE. Voir, Société Civile, n°93, p.24.