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Les pigeons de guerre

Une garnison militaire inactive depuis 45 ans !

Résistance ! Telle pourrait être la devise d'un irréductible groupe de militaires toujours en service. Après avoir vaillamment combattu pour la gloire de la France, ce groupe d'invincibles est aujourd'hui retranché au sein du fort du Mont Valérien à Suresnes. Il ne s'agit pas de n'importe quels soldats. Cette garnison n'a pas été appelée depuis la fin de la guerre d'Algérie. Autrement dit, l'Armée conserve le bataillon depuis 45 ans pour la mémoire, la gloire et l'honneur. On les appelle des "agents de transmissions par excellence dans les situations difficiles".

Il faut dire que ces militaires possèdent des vertus tout à fait exceptionnelles. Le plus célèbre d'entre eux a vu un blockbuster américain portant son nom. L'adjudant chef Ouvrard, en charge de ce bataillon, a même servi de consultant pour la production du film. Pigeon voyageur a forte poigne, il a été cité à l'ordre de la Nation. Le 6 juin 1916, le vaillant pigeon transporte un ultime message depuis le fort de Vaux qui subit une offensive des Allemands qui tirent plus de 8000 obus par jour contre lui. Le pigeon Vaillant est célébré.

A l'heure des nouvelles technologies ultra-performantes, l'armée possède encore plus de 280 pigeons voyageurs. Ultimes vestiges d'une époque révolue, ces pigeons qui ont servi la France (30.000 en pleine première guerre mondiale) sont aujourd'hui entretenus par deux militaires passionnés par les pigeons voyageurs. Ces colombophiles prennent soin des volatiles qui sont installés depuis 1983 au sein du 8e régiment des transmissions au Mont Valérien. Ces vétérans, ou plutôt fils de vétérans, n'ont jamais servi la France. Les pigeons se reproduisent entre eux et le cycle éternel de la vie se produit. C'est pourquoi, ce sont tous des descendants de pigeons voyageurs. Tous sont nés sur le Mont Valérien et y resteront. Leur premier vol détermine l'endroit qu'ils tenteront toujours de rejoindre où qu'ils se trouvent sur la terre. Aujourd'hui au nombre de 280, ils peuvent être jusqu'à 400. Au delà, on les tue ! Faute de place ! Doté d'un budget réduit au strict minimum, la marge budgétaire du dernier colombier militaire est extrêmement faible. Ils ne peuvent ni acheter des pigeons, ni les vendre. Recevoir des aides de mécènes extérieurs leur est impossible, mais ils acceptent les dons non-financiers. Du coup, au milieu du budget du 8e régiment se trouve une ligne de compte qui correspond aux dépenses du colombier militaire. Dans le budget il faut compter les vaccins et la nourriture des pigeons. La somme annuelle qui est allouée au colombier n'atteint pas les 5000 €.

"Les pigeons pourraient porter des clés USB" !

Et pourtant il en faut de l'énergie pour nourrir ce corps de combat. Animaux ayant un sens très élevé de l'orientation, ils se repèrent grâce au champ magnétique terrestre. Les scientifiques n'ont jamais découvert tous les mystères de cet animal, qui sert les armées du monde depuis au moins 2 000 ans. Tout juste savons-nous que les pigeons voyageurs ne peuvent voir au delà de 70 km et qu'ils ne volent pas de nuit. Leur vitesse de vol varie selon les vents, mais ils peuvent faire des pointes jusqu'à 120 km/h. Pour ce qui est du record, un pigeon a parcouru 11.590 km en 24 jours entre Saigon et le nord de la France.

Alors, désuet le pigeon voyageur au sein de l'Armée française ? Pas si sûr que cela. L'adjudant Beck, colombophile de 27 ans, ne veut pas que l'on range ses champions au rang des médailles poussiéreuses et autres antiquités auxquelles on ne fait plus attention. "Personnellement, je pense que ça peut toujours servir. Aujourd'hui la technologie est efficace mais qui sait si tout ne peut pas être détruit lors d'un conflit. Comment fait-on alors ? Le pigeon est discret, rapide et efficace". Mais quelles applications pour aujourd'hui ? L'adjudant Beck, 2e colombophile militaire et passionné depuis ses 14 ans, répond avec une certitude absolue "Pourquoi ne pas imaginer un pigeon qui porte une clé USB, contenant des rapports de missions, à sa patte pour la porter à des militaires qui n'ont pas encore pu lire le rapport". Pourquoi pas ! L'application est plausible même si elle est difficilement envisageable. Les pigeons de l'adjudant Beck, qui "reste militaire avant tout", ne sont pas inactifs. Ils participent à des concours de colombophiles. Plus d'une centaine de récompenses leur ont été attribuées depuis leurs débuts en compétition en 1989. Dernier concours en date, à Saran, un pigeon militaire est arrivé 2e à une épreuve de vitesse. Plus de 1000 pigeons se disputaient le podium. "Ils se défendent pas trop mal" affirme l'adjudant avec fierté.

Pourtant du haut du Mont Valérien, qui a été un acteur central de nombreuses guerres, on a du mal à identifier avec certitude l'utilité réelle de ces derniers "agents de transmissions par excellence dans les situations difficiles". La Défense a décidé de les conserver pour la Mémoire. Mais en fin de compte a-telle eu le choix ? Car qu'on le veuille ou non, ces pigeons voyageurs ne partiront pas du Mont. Ils y reviendront toujours car c'est sur ce site qu'ils ont fait leur premier vol ! C'est peut être la grande défaite méconnue de la Grande Muette !