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Le jour de carence en question

La publication d’une note de l’Insee a relancé le débat autour de l’efficacité du jour de carence, dans un contexte politique où le gouvernement a décidé de réintroduire le mécanisme pour lutter contre le « micro-absentéisme ». La note de l’Insee est pourtant loin d’être concluante à l’inverse d’autres études, dont celles de la Fondation iFRAP. Elle ne pose pas non plus la question du processus de prise en charge des arrêts maladie qui mériterait pourtant d’être réformé.

Un sujet sensible

L’Insee a publié le 10 novembre une étude intitulée « le jour de carence dans la fonction publique d’Etat : moins d’absences courtes, plus d’absences longues ». Une étude qui tombe à point nommé en plein débat budgétaire autour de sa réintroduction (adoptée à l’Assemblée nationale).

Rappelons que le jour de carence a eu un parcours mouvementé dans la fonction publique : introduit par la loi de finances pour 2012 (gouvernement Fillon), il a été mis en place à partir du 1er janvier 2012 par « souci d’équité » entre fonction publique et secteur privé. Puis, présenté par Marylise Lebranchu comme n’ayant pas fait la preuve de son efficacité, il avait été supprimé au 1er janvier 2014.

Dans le secteur privé, les salariés sont soumis à trois jours de carence en cas d’arrêt maladie avant que la sécurité sociale ne leur verse des indemnités journalières. Mais les deux tiers des salariés (64%) sont néanmoins pris en charge pour leurs jours de carence par leurs entreprisesSource Irdes, L’enquête Protection sociale complémentaire d’entreprise 2009, publiée en juillet 2012. Cette enquête mériterait tout de même d'être réactualisée..

La principale conclusion de l’étude de l’Insee est que la mise en place du jour de carence n’a pas eu d’incidence sur l’absentéisme en général : l’Insee estime à 2,91% la part d’agents de l’État absents “au moins une partie de la semaine” en 2014 (première année pleine après la suppression), contre 2,78% en 2013 et 2,75% en 2012. Mais la mesure a eu une incidence sur les absences inférieures à 3 jours qui ont baissé de 50% tandis que les absences entre une semaine et trois mois ont augmenté (+25%).

Cet effet, dit l’étude, est conforme à d’autres enquêtes sur le sujet. Et l’Insee d’en conclure… pas grand-chose puisqu’il évoque 3 explications possibles, loin d’être convergentes.

Selon l’Insee :

  • Un jour de carence représente pour le salarié un coût fixe. Un agent n’a pas intérêt à hâter son retour à moins d’avoir la certitude d’être guéri ;
  • Le jour de carence représentant un coût fixe, l’agent pourrait hésiter à s’arrêter et son état de santé se dégraderait ce qui conduirait in fine à des arrêts plus longs ;
  • La mise en place pour les agents pourraient être perçue comme une injuste mise à contribution les conduisant par réaction à prolonger cet arrêt.

"Ces hypothèses ne sont ni exhaustives ni exclusives et aucun élément ne permet à ce stade de les infirmer ou de les confirmer" conclue l’Insee.

Commentaires

L’Insee laisse donc au législateur le soin de trancher

Ce qu’il vient de faire en réintroduisant le jour de carence dans le cadre du PLF. Objectif selon Gerald Darmanin ministre des comptes publics, pas moins de 270 millions d’euros d’économies attendues en année pleine (108 millions pour la fonction publique d’État, 100 millions d’euros pour les collectivités locales, 50 millions au titre de la Sécurité sociale et 13 millions pour les opérateurs de droit public) en luttant contre le micro absentéisme qui est le plus pénalisant pour l’organisation des servicesActeurs Publics, "Retour du jour de carence : le gouvernement escompte 270 millions d’économies annuelles", 4 octobre 2017 - https://www.acteurspublics.com/2017/10/04/retour-du-jour-de-carence-le-gouvernement-escompte-270-millions-d-economies-annuelles.

Rappelons qu’en 2014 Mme Le Branchu s’était appuyée sur une étude de l’Insee, pointant un absentéisme équivalent entre public et privé, pour décider de la suppression de la mesure afin de donner des gages aux syndicats en l’absence de revalorisation du point d’indice.

La mesure de l’Insee et celle des politiques n’est pas la même

La mesure de l’Insee mérite pourtant qu’on s’y arrête. Le développement méthodologique de l’Insee prend 1 page sur une étude qui en fait 4 : c’est dire les explications qu’il faut avaler pour comprendre de quoi on parle. Ici les données sont issues de l’Enquête Emploi menée auprès de 100.000 personnes chaque trimestre. On étudie les absences pour raison de santé durant la période de référence (semaine avant l’enquête). Ces absences sont mesurées de façon déclarative et comparées aux salariés du secteur privé qui a ici le rôle de groupe témoin (la prise en charge du jour de carence n’ayant pas été modifiée pour ce groupe).

Le constat ne vaut que pour la FPE, l’Insee indiquant « que la mesure [jour de carence] a été appliquée de façon très variable dans la fonction publique territoriale (sic) ». L’Insee précise que la comparaison avec le secteur privé n’aurait pas été homogène avec la fonction publique hospitalière et que les FPT et FPH possèdent par ailleurs des mécanismes incitatifs visant à diminuer les absences (primes). On pourrait discuter de ces limitations …

La mesure est celle des absences pour raison de santé mais il ne s’agit pas forcément d’absences pour lesquelles un médecin a prescrit un arrêt de travail. Ces absences, précise l’Insee, ne sont donc pas sensibles à des modifications de motif administratif, elles intègrent les arrêts pour accidents du travail, dont l’étude précise qu’ils sont très faibles. Enfin les durées déclarées peuvent être imprécises (inférieures ou différentes). Ces imprécisions, nous dit l’Insee, ne permettent pas d’évaluer l’impact financier. Par exemple un agent qui déclare avoir été absent deux jours pour raison de santé peut très bien avoir pris deux jours de RTT.

Bref toutes ces précautions laissent une impression de grand flou…

La mesure des arrêts de travail telle que la Fondation iFRAP a pu la faire avec ses enquêtes sur les conseils régionaux, généraux ou encore sur les grandes communes, est une donnée bien plus concrète, c’est celle suivie dans les bilans sociaux des collectivités. Les enquêtes de l'association des DRH de grandes collectivités de janvier 2017 ou de la Fédération nationale des centres de gestion de la FPT font régulièrement le point sur la question. Nous reproduisons ici les chiffres de la Fédératon natioale des CDG.

Départements

Régions

Ensemble collectivités locales et établissements publics

Voici les résultats iFRAP des chiffres de l'absentéisme :

  • 24,5 jours par an et par agent dans les communes ;
  • 19 jours par an et par agent dans les départements ;
  • 27,7 jours par an et par agent dans les conseils régionaux ;
  • 16,7 jours par an et par salarié dans le privé (selon les données d'Alma consulting).

Tout récemment, le cabinet Sofaxis vient de refaire le point sur l'absentéisme dans les collectivités : cette note de conjoncture est le résultat de l’observation de 428.339 agents affiliés à la CNRACL répartis dans 18.431 collectivités. L'étude indique que le nombre de jours d'arrêt par agent employé est de 37 jours toutes causes confondues et de 21 jours pour la maladie ordinaire. Ces chiffres sont en hausse par rapport à 2015. Ce qui est assez intéressant dans ce nouvel opus c'est de constater la part des arrêts très courts dans les arrêts maladie : 22% ont eu une durée limitée à un ou deux jours et 59% n'ont pas dépassé 7 jours. C'est typiquement le micro absentéisme auquel le jour de carence veut s'attaquer.

L’étude estime le coût direct des absences pour raison de santé à 2.099 euros. Si le cabinet reconnaît que le coût direct des arrêts courts n'est pas celui qui a le plus d'impact financier, il souligne en revanche que des études montrent le coût indirect des arrêts courts : "En étudiant un nombre significatif de situations d’absence, l’étude a mis en évidence qu’au-delà d’un certain niveau de perturbation, un « seuil de tolérance usager » pouvait être franchi, au-delà duquel l’usager percevrait durablement la perte de qualité du service, et que concomitamment, le franchissement d’un « seuil de surchauffe de l’organisation » entraînerait une affectation durable de l’organisation : sur-sollicitation, épuisement, démotivation, absences en « cascade »…"

Dans l'édition 2016, le cabinet avait observé également une forte baisse des arrêts de courte durée entre 2011 et 2013, année de mise en place du jour de carence. En 2017, suite à un sondage sur son échantillon suivi le cabinet Sofaxis regrette "qu'un tiers seulement des collectivités sondées déclare suivre les données statistiques d’absences pour raison de santé au jour le jour dans une optique de prévention ou de contrôle (36%), et de manière approfondie pour la mise en place d’une politique de prévention adaptée (31%)."

C’est toute la question du suivi des arrêts de travail dans la fonction publique qui est à réétudier

Dès 2016, le gouvernement avait décidé d’introduire des dispositifs visant à renforcer le contrôle des arrêts. Mais l’amendement qui prévoyait que les employeurs publics puissent recourir non seulement aux médecins agréés par l’administration mais aussi aux médecins conseils de l’assurance maladie et à l’ensemble des médecins, avait été retoqué par le Conseil constitutionnel. Pourtant l’objectif était bien de renforcer les contrôles alors que le processus de prise en charge des arrêts maladie dans le secteur public n’est pas suffisant.

Rappelons qu’en matière d’assurance maladie, les employeurs publics sont leurs propres assureurs pour les titulaires. En pratique, cela signifie que les feuilles d’arrêts maladie ne doivent pas être adressées à la CPAM comme pour les salariés du privé mais seulement à l’employeur public qui peut, notamment dans le cadre des arrêts de longue maladie diligenter des contrôles. Problème, ce sont les arrêts de courte durée qui mobilisent les employeurs publics (de 8 à 30 jours et de moins de 7 jours) car ce sont ces arrêts qui affectent le plus leur fonctionnement.

La ministre de la fonction publique Annick Girardin (dernière ministre en charge de ce poste sous François Hollande) avait donc par circulaire rappelé que toute absence au travail doit donner lieu à la transmission dans les délais réglementaires d’une justification, sous peine de retenue sur rémunération, que l’employeur public peut contrôler cet arrêt par le moyen d’une contre-visite médicale assurée par un médecin conseil et en particulier veiller à ce que le fonctionnaire placé en arrêt cesse toute activité rémunérée (dans la limite de certaines exceptions).

Mais ce processus est insuffisant. L’employeur public qui est aussi l’assureur peut-il effectuer un suivi des absences pour identifier les éventuels abus ? Dans quelle mesure un telle suivi ne serait pas jugé discriminatoire ou attentatoire au secret médical ? Pour améliorer ce processus, il faudrait distinguer les fonctions d’assureur et d’employeur. Le rétablissement du jour de carence n’est donc qu’une étape.