Actualité

L'AFII : beaucoup de pub pour peu de résultats

Les agences et dispositifs en charge d'aider les entreprises sont particulièrement nombreux en France. L'une de ces agences - l'AFII - a particulièrement fait parler d'elle ces dernières années grâce à la publication de bons résultats économiques, une denrée rare ! Mais le mérite-t-elle vraiment ?

Année record pour les investissements étrangers en France : c'est ainsi que Philippe Favre, le nouveau président de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), présentait les résultats de ce cru 2006 qui compte 40 000 emplois créés ou sauvegardés par 665 projets d'investissements étrangers représentant 58 milliards d'euros. Des chiffres qui placent la France dans le tiercé gagnant des pays accueillant des investissements directs étrangers, derrière l'Angleterre et les États-Unis. Des chiffres qui devraient relativiser les critiques dont l'agence a pu faire l'objet. Mais il est pourtant toujours aussi difficile de relever quelle part l'établissement peut légitimement s'octroyer dans ce bon résultat économique national.

Il faut dire que les investissements internationaux sont un baromètre de l'attractivité d'un territoire, attractivité dont les retombées économiques sont importantes. L'Insee évalue à près de deux millions le nombre de salariés qui travaillent dans une entreprise étrangère implantée en France (1 salarié sur 7). Autant dire que les entreprises étrangères sont choyées dans un contexte où l'emploi est toujours au ralenti.

Les chiffres des investissements directs étrangers en 2006 varient selon les sources mais le classement de la Cnuced (Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement), largement reconnu, place le Royaume-Uni en 1re position avec 165 Mds de $ d'investissements direct étranger, puis viennent les États-Unis avec 99 Mds de $ et enfin la France avec 64 Mds de $ (très loin du Royaume-Uni). Qui sont les investisseurs étrangers ? Les principaux pays en termes d'emplois sont les Etats-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède qui représentent au total 60 % des emplois créés en 2006. Rappelons pour mémoire que la France investit également très largement à l'étranger avec 115 Mds de $ d'investissements en 2006, soit la 4e place mondiale [1].

Une agence publique pour s'occuper des investissements étrangers.

À l'instar du Royaume-Uni, la France dispose d'une agence dont l'objectif est de "convaincre que notre pays est un territoire de prospérité au coeur du premier marché mondial", comme l'indique son site Internet. L'AFII est née il y a trente ans. À l'époque, c'est la Direction de l'Aménagement du territoire, la Datar, qui est en charge de la question de la prospection d'investisseurs étrangers dans un souci d'équilibrage du tissu économique. En 1969, le premier bureau de prospection est donc ouvert au sein d'une ambassade ; on en compte aujourd'hui 22 (10 implantations en Europe, 7 en Asie, 5 en Amérique du Nord) auxquels s'ajoutent 9 correspondants au sein des missions économiques. En 1992, le poste d'ambassadeur délégué aux investissements internationaux est créé au sein du ministère des Finances tandis que la Datar crée l'agence "Invest In France". Rapidement, les deux structures sont fusionnées pour ne donner plus qu'une seule agence, l'AFII créée en 2001.

Le bilan de l'AFII montre que les investissements se tournent vers les régions déjà vedettes de l'activité économique métropolitaine.

Les missions de l'AFII telles qu'elle les présente sur son site sont d'"apporter aux investisseurs étrangers des services personnalisés" couvrant "toutes les étapes allant de l'approche du marché à la réalisation très concrète dans tous les détails du projet et jusqu'au suivi attentif de l'investissement réalisé". "Informer, conseiller, et accompagner les décideurs, mobiliser les aides publiques, rester au service des entrepreneurs après leur implantation" : voilà ses ambitions. Pour cela, l'agence dispose de 75 chargés d'affaire à l'étranger et de 60 personnes dans les services centraux à Paris pour un budget de 26 millions d'euros en 2006. Le conseil d'administration de l'AFII est dirigé par un président au statut original, ambassadeur aux investissements internationaux, nommé par décret par le Président de la République. De ce fait, il échappe à la tutelle des ministères qui subventionnent l'agence et au contrôle du Parlement comme l'indique le sénateur UMP Philippe Marini, rapporteur général du budget et auteur d'un rapport d'information très sévère sur l'agence en 2006 [2]. Le conseil d'administration se compose en outre de 7 représentants de l'État, 4 représentants des collectivités territoriales, 4 personnalités qualifiées et 2 représentants du personnel. Et "ne compte pourtant aucun représentant du ministère du Commerce extérieur", souligne également le sénateur. En revanche, la composition du conseil d'administration avec la forte présence des collectivités locales traduit le souci d'aménagement du territoire, à l'origine de la création de l'agence par la Datar. Pourtant, le bilan de l'AFII montre que les investissements se tournent vers les régions déjà vedettes de l'activité économique métropolitaine (Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence- Alpes-Côte d'Azur).

Mais quels sont les résultats concrets de l'AFII ?

La question posée par le sénateur Marini a fait grand bruit car elle tombait au moment du départ de Clara Gaymard de l'agence sur un bilan qu'elle voulait le plus favorable possible. Objet de toutes les discussions, la coûteuse campagne de communication "Image de la France" ayant bénéficié de 13 millions d'euros de crédits soit près de la moitié du budget de l'agence. Cette campagne a surtout été critiquée parce qu'elle visait en fait des pays qui s'avéraient être déjà les principaux partenaires commerciaux de la France. Et l'on a pu se demander si l'activité de l'agence ne se limitait pas finalement à des actions de marketing et de relations publiques.

Mais ce ne sont pas les seules critiques du rapport et c'est la difficile mesure de la valeur ajoutée de l'agence qui est en question. Comme le rappelle le sénateur Marini, les indicateurs de la LOLF retenus pour mesurer l'efficacité de l'agence mesurent en fait bien plus l'attractivité du territoire français que le travail de l'AFII. Un des indicateurs pourtant semble se rapprocher de cet objectif : il s'agit du taux de couverture de l'AFII, c'est-à-dire du "nombre d'emplois prévus associés aux projets aboutis, traités par l'AFII et les agences régionales de développement économique (ARD) rapporté au nombre total d'emplois associés aux décisions d'investissement en France". Cet indicateur prévu à 35% pour 2005 a pour objectif 40% en 2006.

Mais cet indicateur augmente mécaniquement avec l'augmentation des investissements internationaux que l'on peut constater actuellement. Or, cette tendance a des causes profondes internationales (cours du dollar, augmentation des liquidités des entreprises) qui ne peuvent en rien être attribuées à l'agence. Au vu de cet indicateur, il n'est donc pas possible de savoir si l'AFII a permis la création de nombreux emplois en France ou si elle s'est contentée d'accompagner des projets qui auraient eu lieu de toute façon. C'est d'ailleurs l'impression que retient le sénateur Marini de son inspection au Japon où, interrogeant les représentants locaux de l'AFII sur les projets majeurs qu'ils avaient détectés pour une implantation en France, il fut frappé de ce que les opérations évoquées étaient toutes de petite taille.

Le sénateur en profite pour relever une belle manœuvre de "com'" de la part de l'AFII qui affirme "l'objectif de création de 34 000 emplois en 2006 pour 653 projets permet de définir un ratio de 812 euros de subvention par emploi créé". Or, comme le rappelle le sénateur, ce ratio ne "correspond à aucune réalité dans la mesure où les emplois dont l'AFII a effectivement suscité la création en France ne sont en aucune façon discernables de ceux que l'agence n'a fait qu'accompagner".

La coûteuse campagne de communication "Image de la France a bénéficié de 13M€ de crédits soit près de la moitié du budget de l'agence.

C'est en effet ce qui est troublant dans les rapports officiels de l'AFII, cette impression que l'agence s'arroge des résultats économiques finalement indépendants de son activité. Ainsi, dans le tableau de bord de l'attractivité dressé par l'agence, les classements donnent au titre des atouts de la France la qualité de ses infrastructures et le niveau de la main-d'œuvre, et au titre de ses handicaps, la rigidité du marché du travail et le niveau de l'IS. Dans tous les cas de figure, c'est donc en fonction d'éléments très concrets et sur lesquels les agents de l'AFII n'ont aucune prise que les investisseurs étrangers prennent leur décision de choisir la France.

Sans remettre en cause l'accompagnement délivré par l'agence, on peut s'interroger sur la nécessité d'un organisme spécifique de promotion des investissements étrangers en France. À ce titre, les missions économiques assurent déjà cette fonction dans un certain nombre de pays où l'agence AFII n'est justement pas implantée. Outre les économies d'échelle liées à un rapprochement avec ce réseau, il est notable que l'agence Ubifrance, en charge d'accompagner les entreprises françaises dans leurs investissements et leur développement à l'étranger, travaille, elle, en collaboration avec les missions économiques en s'inscrivant dans un réseau dépendant du ministère de l'Économie et des Finances. Comme le souligne Philippe Marini, dans ce schéma, "l'AFII semble être une pièce détachée du dispositif alors même que l'AFII et Ubifrance ont des missions communes". La logique voudrait que l'on fusionne les deux établissements dans un souci de rationalité et d'efficacité que toutes les entreprises et les contribuables appellent de leurs voeux.

[1] Sources : CNUCED, OCDE, tableau de bord de l'attractivité de la France 2006.

[2] Rapport d'information n° 453 sur l'Agence Française des Investissements Internationaux - 05/07/2006.