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La commission consultative d'évaluation des normes peut-elle lutter efficacement contre « Ubu Lois » ?

Nous avons eu l'occasion d'évoquer récemment l'incroyable inflation législative qui caractérise l'activité de nos pouvoirs publics. Dans un livre récent, « Ubu loi », Philippe Sassier et Dominique Lansoy évoquaient ces quelque 10 500 lois et 120 000 décrets qui règlent notre vie sociale [1], et qui sont pour leur très grande majorité opposables aux citoyens en vertu du célèbre adage « Nul n'est censé ignorer la loi » [2].

Alarmé par ce phénomène, Alain Lambert a été à l'origine en 2007 de la création de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN). Cette commission adossée au Comité des finances locales (CFL) et dont l'entrée en fonction effective date de septembre 2008 [3] a pour ambition l'évaluation consultative obligatoire des conséquences financières des projets de textes réglementaires et des propositions de texte communautaires ayant un impact sur les collectivités territoriales. Sa réunion mensuelle doit permettre en régime de croisière, la délibération sur environ 300 textes (en prononçant un avis favorable ou défavorable, assorti ou non de recommandations). Une institution bienvenue d'évaluation ex ante des projets réglementaires, et d'autant plus démocratique qu'elle fait la part belle aux élus locaux : 15 élus locaux pour 7 représentants de l'Etat, une proportion 2/3 contre 1/3.

Malheureusement, à l'issue du rapport sur sa première année d'existence, le lecteur attentif doit assez vite déchanter… Tout d'abord, la montée en charge tardive a nécessité rapidement l'usage de la procédure d'urgence pour lui permettre d'afficher pour l'exercice 2008, 6 réunions en 4 mois, et l'examen à marche forcée de l'impact financier de 66 projets de textes (46 décrets et 22 arrêtés). D'autre part, même si le recours consultatif à la CCEN est obligatoire, la procédure a été pensée afin « de ne pas entraver la procédure normative du gouvernement ». Une façon pudique pour dire que son pouvoir d'inhibition de la production textuelle est en réalité minime. C'est donc sans surprise que l'on constate que 94% des 66 textes examinés ont été approuvés. Explication : le règlement intérieur précise que le vote de la délibération s'effectue à raison des membres présents. Or, si l'on se penche par exemple sur la séance du 9 octobre 2008 concernant les décrets d'application de la loi handicap et de la loi tutelle, on constate que l'avis favorable a été adopté par le vote des 7 représentants de l'Etat pour, et contre les 3 votes des seuls élus présents.

Maintenant, si nous nous intéressons au bilan financier dressé par l'examen de ces 66 textes, il est modeste : 14 textes ont été reconnus comme générant des coûts pour les collectivités locales, évalués à 455 millions d'€ en année pleine, tandis que les économies réalisées par les mesures de simplification seraient de 343 millions d'€, soit un surcoût de 112 millions d'€. Le bilan 2008 de la commission constate donc un accroissement des charges publiques allant de pair avec la production textuelle relative aux collectivités territoriales. Pour une part très importante des coûts occasionnés, il s'agit des conséquences sur les collectivités territoriales de décrets relatifs à la fonction publique. Ces derniers représentent 315 millions d'€ soit 69% des coûts supplémentaires occasionnées. Les décrets relatifs à la revalorisation du point d'indice de la fonction publique (144 millions €) et au rattrapage du pouvoir d'achat via la GIPA (garantie individuelle de pouvoir d'achat) pour 25 millions d'€ portent à eux seuls 37% des coûts engendrés.

La commission a par ailleurs procédé à l'examen d'un texte assez exotique prévoyant la création facultative pour les collectivités qui en feront la demande d'une taxe pour la collecte et le traitement des eaux pluviales. Recette estimée : 500 millions d'€, mais son caractère aléatoire ne permet pas de la rapprocher du bilan financier de la commission.

Ce qui est mis en évidence au niveau des collectivités locales en matière de prise de conscience des coûts nés de l'inflation des textes, l'a été plus largement au niveau national au travers des lois relatives à la simplification du droit (2007) et à la clarification du droit et à l'allègement des procédures (2009) [4]. Une vraie réflexion est donc née sur le poids véritablement excessif, tant pour les particuliers que pour les entreprises, de la complexité de l'appareil législatif et réglementaire à l'initiative de MM Jean-Luc Warsmann, Président de la commission des lois à l'Assemblée nationale et d'Etienne Blanc, député de l'Ain. Malheureusement au niveau national, aucun chiffrage des coûts des dispositifs supprimés n'a été pour le moment proposé. Il n'est donc pas possible de rapprocher les économies générées de celles mises en évidence sur le plan local, où ce sont encore les dépenses qui priment…

[1] Selon le rapport n°244 du 3 octobre 2007 (p.15) de M Etienne Blanc, le stock était plutôt en 2007 de 8 000 lois et de 400 000 actes réglementaires.

[2] Très vieille prescription puisqu'elle apparaît pour la première fois en 391 à l'initiative des co-empereurs Valentinien II et Théodose Ier puis passe dans le code Théodosien avant de se retrouver conservée dans le Bréviaire d'Alaric, en 506 qui restera la principale source du droit romain en occident jusqu'au XIème siècle.

[3] Adossée par l'art.97 de la loi de finances rectificative pour 2007 au CFL (comité des finances locales), sa composition sera précisée par le décret n° 2008-994 du 22 septembre 2008, et les dispositions relatives codifiées aux articles L.1211-4-2 et R.1213-1 et suiv du CGCT. Son entrée en fonction effective date du 25 septembre 2008. Le secrétariat étant assuré par la DGCL (direction générale des collectivités locales).

[4] Lois n°2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit et n°2009-526 du 12 mai 2009 relative à la simplification et à la clarification du droit et d'allègement des procédures.