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Justice - Evolution et comparaison du budget des Prisons

L'actualité est malheureusement riche en faits divers qui posent régulièrement la question des moyens de la Justice et des services pénitentiaires dans leur capacité à protéger la société des individus multirécidivistes. Nous en avons eu encore l'exemple sous les yeux très récemment avec l'assassinat d'une joggeuse dans un bois de l'Essonne. Ce drame faisait suite à un épisode dramatique du même genre en juin 2005 dans les environs de Meaux.

Entre les deux affaires, une pluie de mesures législatives ont été promulguées pour traiter le problème des libérations conditionnelles : décembre 2005 (création du placement sous bracelet électronique mobile), août 2007 création des peines « plancher », février 2008 dispositif sur la rétention de sûreté… sans atteindre l'objectif recherché …

Ce qui est alors ressenti comme insupportable à juste titre, ce sont les 1,6% de récidivistes en matière de crimes à caractère sexuel. Revient alors de façon récurrente la question ouverte des moyens de la justice, de la surpopulation des prisons françaises, du suivi des décisions de justice et de l'encadrement des retours à la vie civile des ex-détenus.

Dans son étude « L'argent de la Justice [1] », Jean-Charles Asselain observe pourtant à partir de 1966 une croissance continue et massive des effectifs en matière de justice et de services pénitentiaires. Cette augmentation est tout à fait corollaire à la croissance bien réelle de la population carcérale. (voir la comparaison des deux graphiques suivants). Malgré cela, les prisons sont toujours réputées surpeuplées et l'administration carcérale surmenée.

En 1960, il y avait 1 fonctionnaire des prisons pour 3,7 détenus, il y en a 1 pour 1,8 détenu en 2005. Dans le même temps la population carcérale croît entre 1960 et 2005 de 28 000 à 56 000 personnes. L'effort de rattrapage est donc bien réel. Le nombre de fonctionnaires des services judiciaire et pénitentiaire culmine aujourd'hui à plus de 70 000, soit un triplement en 40 ans mais parmi ces fonctionnaires, seulement 23 931 travaillent à l'encadrement des prisonniers (gardiens…).

La politique pénitentiaire actuelle face au modèle anglais : l'heure des défis

Les idées reçues doivent être profondément corrigées au regard des expériences étrangères : en cette matière, le Royaume-Uni constitue un bon contre-exemple du modèle français tout en lui étant parfaitement comparable [2] : la France dispose de 194 établissements pénitentiaires avec une population carcérale en 2009 de 64 250 détenus pour 53 845 places disponibles. La surpopulation carcérale s'établit alors à +26,5%. En Grande-Bretagne, il existe 124 établissements pénitentiaires publics et 11 privés. La population carcérale totale représentait le 2 octobre 2009 un total de 84 354 individus. La population gérée par le secteur privé représente 11% de la population détenue, soit environ 9 200 détenus. La seule différence avec nos prisons françaises est que les prisons britanniques sont légalement placées en sous-capacité. Il existe en effet une capacité opérationnelle utile de 85 404 places pour 84 354 détenus, soit une marge de 1050 places non pourvues en réserve [3]. Les personnels dédiés effectivement à la surveillance des détenus pour les établissements publics représentent 34 168 ETPT, ce qui constitue un taux d'encadrement (pour 75 000 détenus au sein des prisons publiques) de 2,19 détenus par gardien. L'effort d'encadrement réel est donc sensiblement comparable à celui existant en France (23 931 ETPT pour 64 250 détenus) où il est de 2,68. Il est donc faux de dire, comme on le lit souvent, que le taux d'encadrement britannique serait de l'ordre de 1,6, bien meilleur qu'en France à moins de faire l'erreur d'y comprendre également les personnels administratifs !

La grande différence vient donc essentiellement de la politique immobilière pénitentiaire et de ses répercutions en termes de coût par place et de coût par prisonnier pour la collectivité publique, donc pour le contribuable. Les dernières données disponibles à ce sujet montrent, pour l'exercice 2008 en Grande-Bretagne, un coût par place de 29 561 £ et un coût par détenu de 27 343 £. Si l'on effectue le même calcul pour la France, le coût 2009 par place est de 45 835 € tandis que la note par détenu s'élève à 38 412 €. En France les places de prison sont donc 43% plus chères que leurs homologues britanniques et les prisonniers 30,19% plus coûteux pour les finances publiques [4] ! Le modèle anglais permet ainsi de vérifier qu'en sous-traitant auprès du privé [5] le surplus de population carcérale, il a pu, en évitant le problème chronique de surpopulation, se doter progressivement de programmes immobiliers adéquats afin d'amortir la hausse de la population carcérale. Les dépenses pénitentiaires s'en trouvent également allégées : les dépenses allouées aux prisons du secteur public anglais représentaient 50% du budget du NOMS soit 2,211 milliards de £ tandis que les prisons privées en représentaient 6% avec un coût de 245,4 millions de £ en 2009. Le secteur privé réussissant à faire des économies de crédits publics de l'ordre de 12% soit près de 32,66 millions de £.

L'émulation du privé a également aidé à la rationalisation des structures et à l'attractivité des offres d'emplois en matière pénitentiaire. Depuis la réforme aboutissant à la constitution du National Offender Management Service, le délai moyen pour pourvoir les postes de l'administration pénitentiaire britannique est passé de 273 jours à 88 jours, ce qui a permis de recruter sous contrat privé près de 2000 personnes entre 2008 et 2009. En France, au contraire, il a fallu corriger à la baisse en 2008 le plafond d'emplois à budgétiser afin de le réduire de 1 548 postes majoritairement dans la fonction publique pénitentiaire (698) car « ils étaient vacants depuis plusieurs années ».

Conclusion et recommandations

En France, la mise en place progressive de places de prisons supplémentaires dans le cadre du projet immobilier de la LOPJ (loi d'orientation et de programmation pour la justice) du 9 septembre 2002, ne suffira pas à combler les besoins actuels. Le nombre de places projetées à partir de 2007 pour 2012 est de 13 775 places nouvelles auxquelles devraient se rajouter diverses créations sur le parc pénitentiaire existant de l'ordre de 7 547 depuis 2004. Il devrait en résulter, compte tenu des suppressions envisagées, un solde de créations nettes de 16 446 places [6]. Si on fait une estimation à partir de la situation existante anticipée au 1er janvier 2012, les places disponibles seront de 62 375 pour une population carcérale envisagée de 70 000 à 72 000 détenus. Les sureffectifs oscilleront donc entre 8 et 10 000 individus, représentant un pourcentage de surpopulation de 12,2 à 15,4%.

Le budget 2010 de la Justice augmente de 0,4 % par rapport à 2009 et présente un solde de création de postes en croissance de + 400 ETP (personnes physiques) pour un total de 73 594 ETPT (équivalent temps plein travaillé) essentiellement consacrés au renforcement des personnels de surveillance pénitentiaires que le gouvernement veut attirer par des primes alléchantes comme en 2009.

Que faire pour traiter le problème des sureffectifs subsistants à compter de 2012 (8 à 10 000 prisonniers surnuméraires), et régler la question de la multirécidive ? Plusieurs propositions peuvent être simultanément envisagées :

- Avec une surpopulation carcérale évaluée entre 12,2 et 15,4% des places disponibles en 2012, doit-on une nouvelle fois se lancer dans une programmation pluri-annuelle et relancer un programme pénitentiaire d'envergure par l'intermédiaire de PPP (Partenariats Public-Privé) ? Il existait en 2008 aux Etats-Unis pour les prisons fédérales [7] une population incarcérée gérée par le secteur privé de 16,3%. Ne serait-il pas judicieux financièrement de suivre une politique d'externalisation comparable [8] ?

- En cas contraire, ne devrait-on pas revoir la politique de gestion des effectifs d'encadrement pénitentiaires en recrutant désormais sous contrat de droit privé. Cela permettrait de combattre non seulement les difficultés actuelles de recrutement, mais aussi de limiter la fuite en avant par les avantages statutaires accordés [9] (avantages qui représentaient en 2009 une augmentation des dépenses de personnels de 7,4 millions d'€).

- Développer les actions en direction des alternatives à l'incarcération : la France est actuellement très en retard avec la mise en service de 3 200 bracelets électroniques en 2009 quand le Royaume-Uni en dispose actuellement de 18 000.

- Enfin « industrialiser » véritablement le travail des SPIP [10] (les services pénitentiaires d'insertion et de probation). Actuellement, leurs effectifs sont passés entre 2002 et 2007 de 2 101 à 3 050 agents. Or les dossiers traités pour suivre les détenus retournés à la vie civile le sont à raison de 100 à 200/agent alors que la « norme » applicable en la matière serait comprise entre 80 et 100. Là encore, le recours à des cabinets privés chargés de la réinsertion sur le modèle des « agents de probation » existant à l'étranger, pourrait permettre de dynamiser les procédures, conjointement à la numérisation complète des dossiers des condamnés [11], ce qui actuellement n'est toujours pas le cas.

[1] Voir L'argent de la Justice, Presses universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 2009

[2] Ainsi au budget « Justice » français qui regroupe les moyens des services judiciaires et pénitentiaires, s'oppose depuis le 9 mai 2007 le MoJ (Ministry of Justice) britannique qui regroupe lui aussi l'ensemble des services judiciaires et pénitentiaires, autrefois éclatés en diverses structures. Au budget pénitentiaire français au sens large, qui comprend également les services de probation et de réinsertion (SPIP), correspond le NOMS (National Offender Management Service) résultant du regroupement de l'ancien service pénitentiaire (Her Majesty Prison Service) et du NPS (National Probation Service).

[3] Sachant que cette capacité opérationnelle utile est calculée comme la capacité opérationnelle totale de l'ensemble du parc pénitentiaire britannique moins 2000 places, afin de préserver la séparation des détenus par sexe, âge, niveau de sécurité, lourdeurs de peines, et unicité des détenus par cellule en fonction des contraintes géographiques.

[4] Avec une parité établie à 1£ = 1,079 €.

[5] 11 prisons privées, ce qui fait de la Grande Bretagne avec 11% de la population carcérale gérée par le privé, le pays ayant le plus recours au privé en Europe. Rappelons pour mémoire qu'en comptant le niveau fédéral et le niveau des états fédérés, les Etats-Unis sont à 7,8% de population carcérale gérée par le privé, tandis que l'Australie culmine à 17%.

[6] A compter de l'exercice 2004

[7] Voir, Bureau of Justice Statistics, Prison Inmates at Midyear 2008 – Statistical Tables, p.13

[8] Sans toutefois conserver une surveillance par des personnels pénitentiaires publics, sinon il n'y aurait aucune différence avec la programmation immobilière de 2002 qui fonctionnait par l'intermédiaire des contrats AOT-LOA (Autorisation d'occupation temporaire conjugué à une location avec option d'achat).

[9] Sous la forme de mesures interministérielles de garantie de pouvoir d'achat (1,3 million d'€), réforme statutaire des personnels de surveillance (3,2 millions), réforme statutaire des directeurs des services pénitentiaires (1,4 million) et revalorisation indemnitaire des personnels (1,5 million).

[10] Relevons que les SPIP au nombre de 100 sont chargés actuellement de 60 000 détenus et de 125 000 condamnés à des peines autres que la prison (y compris d'intérêt général). Ils ont été les instigateurs d'une grève particulièrement dure entre avril et juin 2008. Ils réclamaient l'abandon d'une réforme imposant une rémunération modulable en fonction des objectifs (IFO). Ils opposaient au gouvernement des revendications opposées telles que l'accès immédiat à la catégorie A assorti d'une revalorisation indiciaire substantielle.

[11] Voir le point 20 des recommandations du rapport Lamanda, 30 mai 2008, Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux, p.70.