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Fonctionnaires : encore un "geste" à 458 millions d'euros

La ministre de la fonction publique, Madame Lebranchu, envisagerait de faire un geste en faveur des petits salaires dans la fonction publique, entre 1 et 1,3 fois le SMIC en réduisant une part de leurs cotisations salariales. Et ce alors même que les agents disposent déjà d'un mécanisme automatique de rattrapage de l'inflation (la GIPA) et alors même que les petites rémunérations des agents ont déjà été revalorisées récemment pour 1 milliard d'euros. Cette nouvelle mesure sur les cotisations salariales répond à la revendication récurrente de défense du pouvoir d'achat des syndicats en lutte contre le gel du point d'indice bloqué depuis 2010. La nouvelle mesure est inspirée par celle des allégements de charges salariales du privé qui devrait représenter 500 euros par an et par personne en moyenne. Cette mesure appliquée à la fonction publique serait en réalité une (nouvelle) hausse du point d'indice qui ne dit pas son nom puisque, si on cale cette mesure sur les 500 euros du privé, le coût serait de 458 millions d'euros par an… Si l'on fait le décompte, entre la GIPA (204 millions), la revalorisation des bas salaires (1 milliard) et cette mesure (potentiellement 458 millions), on n'est pas loin du coût de l'augmentation d'un point du point d'indice (1% = 1,8 milliard)…

On ne peut qu'être surpris par ce rapprochement : en effet si l'annonce du pacte de responsabilité répond directement au besoin de recréer des emplois en France qui compte 5 à 7 millions d'emplois marchands de retard par rapport à ses principaux compétiteurs européens, l'Allemagne et le Royaume-Uni, autant la fonction publique avec plus de 5 millions d'emplois publics se situe largement au-dessus de la moyenne de l'UE (elle compte ainsi 1,2 million d'emplois de fonctionnaires de plus que l'Allemagne).

Quel sera le coût de cette mesure ?

C'est un élément que l'on ignore pour le moment puisque l'ampleur de la baisse des cotisations n'a pas été indiquée. Mais si l'Insee cale sur les emplois entre 1 et 1,3 fois le SMIC à l'image de ce qu'il est prévu de faire dans le secteur privé, l'addition risque vite de grimper : en effet, on compte 10% des agents de la FPE dans cette fourchette de salaire, 20% des agents de la FPH et 40% des agents de la FPT, soit un peu plus de 916.000 agents. Au total, en supposant un « geste » à hauteur de 500 euros par an en moyenne, c'est 458 millions d'euros qu'il faudrait trouver pour financer cette mesure. Mesure qui s'ajoute à la liste des autres « gestes » annoncés par le Premier ministre mais qui doivent rentrer dans le cadre du plan de 50 milliards d'euros d'économies. Les marges de manœuvre de la ministre de la fonction publique sont donc minces. D'autant que la question du pouvoir d'achat des salariés n'est pas la seule à régler, et les autres projets de loi (transition énergétique, dépendance) prévus à l'ordre du jour du travail gouvernemental devront eux aussi être financés.

Mais au-delà de cette précision il faut aussi dire que les cotisations salariales, déjà, ne sont pas les mêmes : ainsi en est-il du chômage pour lequel les agents publics ne cotisent quasiment pas (1% contre 6,4% pour les salariés du privé). Ou les cotisations retraite pour lesquelles les fonctionnaires ont obtenu un lissage de la hausse prévue dans le cadre de la réforme des retraites de 2013, … (Ainsi en 2014, la cotisation salariale retraite se situe à 9,2 contre 10,4 pour les salariés du privé [1]). Par ailleurs, en termes de garantie du pouvoir d'achat, il convient de rappeler que le gouvernement a annoncé des revalorisations des bas de grille (catégories B et C) dans la fonction publique pour un coût global qui a été estimé à 1 milliard d'euros pour les 3 fonctions publiques. Enfin il faut aussi dire que l'avancement compense en partie la perte du pouvoir d'achat : la mesure de la RMPP, c'est-à-dire la rémunération moyenne des personnes en place, qui mesure l'évolution des salaires des seules personnes ayant été employées deux années de suite, montre qu'elle a été de 1,9% en euros courants dans la fonction publique d'État (0% en euros constants) en 2012, 2,4% dans la fonction publique territoriale (0,4% en euros constants) et de 1,8% dans la fonction publique hospitalière (soit -0,1% en euros constants mais après une hausse de 1,1 en 2011). Dans le secteur privé le salaire moyen progresse de 2,1% par rapport à 2011 en euros courants. Dernier point, la garantie individuelle de pouvoir d'achat (GIPA) a été mise en place dans la fonction publique justement pour assurer un ultime rattrapage pour ceux dont le pouvoir d'achat a décroché. On compte 204 millions d'euros versés au titre de la GIPA en 2012 [2]. Si la mesure est mise en place, l'impact sera en particulier difficile pour les collectivités locales qui sont soumises à un double effet de baisse des dotations et à qui on imposerait une augmentation des charges de fonctionnement.

La question taboue des effectifs

Les organisations syndicales restent dubitatives face à cette annonce, mais souhaitent poursuivre les négociations engagées dans un cadre plus vaste, une discussion qui doit courir jusqu'en mars 2015 sur les parcours, les carrières et les rémunérations des agents. Le ministère qui présente cette discussion comme « un processus majeur », a annoncé qu'elle se déroulerait en 5 étapes :

  • la rénovation et la simplification de l'architecture et de la gestion statutaire,
  • l'amélioration de la gestion des emplois,
  • la simplification de la gestion des agents,
  • la rénovation des grilles statutaires.

En conclusion

Les syndicats de leur côté restent très sourcilleux puisque comme le révèle le site "acteurs publics", la présentation de l'accord initialement intitulé “définition du nouveau contrat de la politique salariale” a été renommé “accord-cadre sur les rémunérations et la politique salariale” pour réaffirmer la place du statut face au contrat. Ce faisant ils souhaitent absolument éviter d'aborder la question taboue des effectifs. Car il est évident que la question salariale renvoie à la question du nombre de fonctionnaires. Comme le disait le rapport Pêcheur pourtant très conservateur : «  La France, qui est un grand pays développé, ne peut avoir pour ambition d'avoir des fonctionnaires et des militaires « au rabais », une fonction publique sous-développée. S'il y a trop de fonctionnaires, il faut en réduire le nombre et non pas les sous-payer. » Or, à ne pas vouloir affronter le problème, on se retrouve avec un tassement des salaires dans la fonction publique puisque le bas de la grille des salaires dans la fonction publique est indexé sur le SMIC. Et aussi parce que la promotion interne est bloquée. Une tension qui exacerbe les revendications salariales. Si, comme l'affirme la ministre, il faut se redonner des marges de manœuvre, il faut remettre sur la table la question des effectifs. La Fondation iFRAP estime dans sa dernière étude que la nouvelle carte des services publics pourrait permettre une baisse de plus de 600.000 fonctionnaires d'ici 2022.

[1] Les fonctionnaires souligneront sans doute qu'ils cotisent en plus 5% pour la RAFP mais sur leurs primes seulement.

[2] Source DGAFP/Jaune 2014 sur les rémunérations dans la fonction publique