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Dette publique, déficits et grand emprunt : l'effet 100 milliards

Le seuil psychologique est atteint ...

Mis à part chez ceux qui assoient leur pouvoir sur la gestion d'une dette flirtant avec les 1500 milliards, le déficit et la dette de la France commencent à inquiéter sérieusement et pas qu'à Bruxelles. Si l'on devait dénombrer le nombre de fois où le mot déficit a été prononcé sur les bancs de l'Assemblée nationale lors des discussions budgétaires du PLF et du PLFSS, c'est en milliers qu'il faudrait compter. Avec 116 milliards de déficit pour l'Etat en 2010 et plus de 30 pour la sécurité sociale, les chiffres en négatif commencent à inquiéter nos représentants. Alors que les discussions budgétaires, apanage de quelques initiés de la commission des Finances avaient tendance à peu motiver nos députés, un débat d'un nouveau genre s'est fait jour cette année, signe d'une situation plus que préoccupante pour les comptes publics. Nos représentants commencent à douter sérieusement de la capacité de la France à remonter la pente du déficit et de la dette même si certains réclament un grand emprunt à 100 milliards. Le débat budgétaire est de moins en moins tranquille.

En 2009 déjà, le déficit de l'Etat avait atteint des records mais il avait été voté en trois fois, une fois avec le projet de loi de Finances pour 2009 fin 2008, une fois en janvier avec une loi de Finances rectificative et une autre fois au printemps avec une seconde loi de Finances rectificative. Le comprimé des 141 milliards de déficits était passé en plusieurs morceaux. Plus de 100 milliards de déficit pour l'Etat est un chiffre jamais voté par nos représentants.
L'exercice budgétaire actuel n'est pas simple mais il est vrai que lorsque Didier Migaud, le Président de la Commission des Finances, salue : « l'imagination débordante dont il [le gouvernement] fait preuve quand il s'agit de parler de déficit public comme si les termes « déficit structurel » n'étaient pas suffisants : « déficit de crise », « déficit hors plan de relance », « déficit hors surcoût temporaire de la réforme de la taxe professionnelle » et même – je n'invente rien – « déficit hors surréaction des recettes fiscales ». » on est forcé de reconnaître que, de quelque manière qu'on nomme « déficits » ou « emprunts », ce seront des euros que la France, et les Français avec, devront, quoi qu'il en soit, rembourser tôt ou tard. Et Didier Migaud de conclure : « Ira-t-on jusqu'à nous expliquer que, « hors déficit », le déficit est nul ? »

La député Charles de Courson rappelle que « le niveau de la dépense publique est historique puisqu'il atteindra, en 2010, 56 % de la richesse nationale, ce qui est excessif. »
Ceux qui fustigent le montant des dépenses publiques et des déficits sont souvent aussi les premiers à proposer des hausses d'impôts ou à expliquer qu'il faut absolument faire payer les plus riches. Rares sont les pourfendeurs du déficit qui parlent de faire baisser les dépenses. Pourtant, la face la plus inquiétante du déficit est bel et bien sa part structurelle, soit quelque 44 milliards par an que la France traîne de budget en budget. François Fillon et Eric Woerth évoquent des réductions de dépenses avec des annonces dans un futur très proche. La charge liée au futur grand emprunt serait compensée par des réductions de « dépenses de fonctionnement ». Le Premier ministre, François Fillon rappelle dans son entretien au Monde daté du 5 novembre : « Nous avons engagé un effort de réduction de l'emploi public, qui suscite des critiques, mais qui est indispensable et générera à terme des économies importantes. » faut-il rappeler que, en dépit de ces réductions de postes, la masse salariale de l'Etat continue d'augmenter, que les charges de personnel restent stables et que globalement en France, l'emploi public déjà record continue d'augmenter ?

Et le Premier ministre de s'engager : « Je présenterai début 2010 au Parlement une stratégie de finances publiques qui nous donnera les moyens de descendre en dessous des 3% de déficit à l'horizon de 2014, au prix d'ajustements très importants, puisqu'il faudrait faire un effort de réduction de plus de 1% par an. L'objectif est de progresser parallèlement à l'Allemagne, qui s'est fixé comme objectif un équilibre en 2016. » Christine Lagarde et François Fillon évoquent tous deux la réforme des retraites comme levier de réduction des dépenses.

Seulement 6% du budget de la France est actuellement consacré à de l'investissement. Le rêve du grand emprunt n'est dû qu'au fait que la France n'a plus aucune marge de manœuvre d'investissement, coincée qu'elle est entre la charge de la dette et ses charges de personnels. A minima, l'alignement des retraites du public sur celles du privé permettrait de réduire, il est vrai, les dépenses de l'Etat de quelque 10 milliards d'euros mais dans un délai non immédiat. Rappelons que, dans les dépenses de l'Etat, les charges de personnels sont de 120 milliards pour l'Etat, sans parler de ce qu'elles représentent pour les collectivités et les dépenses sociales. Pratiquer de vraies réductions de dépenses de fonctionnement voudra forcément dire réduire plus l'emploi public que ce n'est le cas à présent. Et quand on voit les primes au mérite promises, la garantie pouvoir d'achat instaurée pour les fonctionnaires, la frilosité des administrations pour permettre à leurs personnels d'utiliser le pécule de départ de la fonction publique et la sur-administration des hôpitaux publics, on se demande si une politique vraiment ambitieuse sera possible.

Couper dans les dépenses de fonctionnement ? Un beau programme qui demandera une détermination sans faille du gouvernement mais surtout une implication des parlementaires, au-delà de la prise de conscience que peut engendrer le vote d'un budget en déficit de plus de 100 milliards. Les élus de la Nation se doivent de réaliser leur responsabilité dans le vote du budget et le contrôle de la dépense publique. Ils sont élus pour cela. Le Parlement devrait se montrer plus pugnace sur ces questions qu'il ne l'a été jusqu'à maintenant. Le tout nouveau Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques à l'Assemblée nationale pourrait jouer ce rôle-là, à condition de réaliser l'importance de l'enjeu de redonner un souffle budgétaire à la France. Un comble serait que les investissements du futur grand emprunt, juste déguisés, se retrouvent dans des dépenses de fonctionnement voire pire, dans des postes publics en plus qui pèseront encore sur notre futur. A moins que la sagesse ne vienne éclairer notre parlement et que tout denier public ne soit engagé qu'en complément de deniers privés.