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Les raisons du succès des entreprises allemandes

La compétitivité allemande ne résulte pas seulement du coût du travail

On a trop souvent coutume de n'attribuer le succès des entreprises allemandes, particulièrement à l'exportation, qu'au facteur coût du travail, plus faible qu'en France. Il est exact que l'Allemagne a connu durant la dernière décennie une remarquable modération salariale. Mais il faut immédiatement ajouter qu'il lui était indispensable de corriger des excès précédents. D'autre part le coût du travail, si l'on se limite au secteur de l'industrie est très proche de celui observé en France. Au lieu de faire de cette comparaison une machine de guerre utilisée dans le débat français sur le pouvoir d'achat, il est beaucoup plus instructif d'insister sur les véritables originalités du système allemand dans sa globalité.

Dans cet ordre d'idées, le CIRAC [1] a présenté à la Mission de la CNI sur la compétitivité de l'industrie française un très intéressant document [2] faisant ressortir le rôle des facteurs hors-coût dans le succès des entreprises allemandes. Il nous a semblé utile d'en résumer quelques points, qui viennent d'ailleurs bousculer certaines idées reçues.

L'organisation « bottom up », versus l'économie administrée à la française.

En règle générale, « le pouvoir de décision se délègue toujours du bas vers le haut ». Ceci s'applique d'abord dans les rapports entre l'État (lui-même de type fédéral, avec une forte compétence des États membres, les 16 Länder, qui sont concurrents en matière de compétitivité et d'attractivité) et les acteurs économiques et sociaux. Par exemple, les partenaires sociaux sont seuls compétents pour fixer les salaires et les conditions de travail. Inutile de dire que l'institution de la prime aux salariés, que l'État français impose malgré l'opposition conjointe à la fois des syndicats et du patronat (!), serait impensable outre-Rhin. Encore, l'innovation est très largement le fait des PME, les pouvoirs publics se contentant d'offrir des moyens et conditions favorables en respectant le principe du bottom up, y compris dans les clusters qu'ils soutiennent. Là aussi, les pouvoirs publics français pourraient s'inspirer du système allemand pour ses pôles de compétitivité, et de façon générale se rendre compte que le salut n'est pas dans l'administration de l'économie.

Les syndicats ne sont pas des acteurs au niveau de l'entreprise.

Il a beaucoup été dit que l'organisation du travail est très dépendante en Allemagne de syndicats puissants et responsables. Certes, par rapport à la France, le syndicalisme est dominé par seulement deux syndicats, IG Metall pour l'industrie et Ver.di pour les services, ce qui évite surenchères et cacophonies stériles. D'autre part la compétence exclusive des partenaires sociaux pour les questions de salaires et d'organisation du travail renforce leur rôle ainsi que leur devoir de responsabilité.

Mais le CIRAC met le doigt de façon originale sur une particularité du système allemand, qui reflète aussi le principe du bottom up dans la mesure où l'autonomie est la plus grande possible au niveau de l'entreprise, à savoir que « les syndicats ayant une responsabilité macro- et méso-économique (branche), ils ne sont pas présents comme acteurs de régulation dans l'entreprise ». Dans les petites entreprises, les intérêts des salariés sont en effet représentés par le seul organisme du conseil d'établissement, lequel est élu par les salariés, et ce n'est que dans les entreprises de plus de 2.000 salariés que les représentants syndicaux figurent au conseil de surveillance.
Dire comme le fait le Sénat trop rapidement au sujet de l'Allemagne que « le pouvoir d'intervention des salariés se trouve renforcé par des organisations syndicales puissantes » paraît être un raccourci trompeur dans la mesure où ce ne serait pas le cas, à en croire la conclusion du CIRAC, au niveau de l'entreprise elle-même.

Voilà qui bouleverse certaines idées trop facilement reçues, et reflète finalement une conception des rapports où l'autonomie de la base joue le rôle essentiel. Une phrase tirée d'un manuel de management d'origine syndicale résume bien cette conception : « Les salariés sont considérés bien plus comme des individus flexibles et bien moins comme des personnes revêtues d'une fonction ».

L'individu contre le titulaire d'une fonction (le fonctionnaire ?), ne serait-ce pas une règle de management dont la France pourrait s'inspirer à l'heure où le malaise des salariés fait l'objet de tant d'attention ?

[1] Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne Contemporaine.

[2] « Les facteurs systémiques de la compétitivité allemande », disponible sur le site http://www.cirac.u-cergy.fr