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Illisible Europe, illisible France, dissiper le brouillard

Dans sa brève allocution de lundi soir, le Président a qualifié l'Europe d' « illisible et incompréhensible ». À juste titre, hélas. Mais, de nouveau hélas, cette dénonciation est tout autant incompréhensible que l'objet de sa dénonciation, de même que la politique de correction que le Président entend promouvoir au niveau de l'action de l'Europe, en même temps qu'il affirme sa volonté de garder un cap inchangé à sa politique française.

Illisible, l'Europe l'est pour tous, et par construction, même pour les experts, dans les limites des pouvoirs de ses différentes institutions les unes vis-à-vis des autres, et dans celles de sa compétence générale vis-à-vis des États membres. Ce serait peine perdue que de tenter d'éclaircir le sujet dans le cadre du présent billet, tant l'Europe est une construction complexe, fruit de compromis et de plusieurs traités successifs. Qui connaît les pouvoirs respectifs du Parlement européen, de la Commission européenne, du Conseil de l'Union européenne (ou Conseil des ministres), à ne pas confondre avec le Conseil européen (réunion des chefs d'État et de gouvernement), ni avec le Conseil de l'Europe (sans lien avec l'UE et voué à la défense des droits de l'homme), sans compter la Cour de justice de l'UE (CJUE) ? Qui sait que la Commission est un organe original, gardien des traités avec le monopole des poursuites devant la CJUE et sorte d'exécutif avec une compétence exclusive dans le cadre du « Premier pilier », à savoir le pilier supranational concernant les politiques intégrées (politique agricole commune, concurrence, union douanière, marché intérieur, monnaie unique) mais aussi un rôle de proposition… sauf que depuis le Traité de Lisbonne, les piliers ont été fusionnés pour donner naissance à trois compétences, la compétence exclusive (limitée à l'Union douanière, la concurrence, la politique monétaire dans le cadre de l'Eurogroupe, la conservation des ressources de la mer et la politique commerciale commune), la politique partagée avec les États membres et la politique de coordination. Arrêtons là.

Lorsque le Président évoque sa présence mardi à Bruxelles, il s'agit de la réunion du Conseil européen, simple réunion de travail sans pouvoir de décision contrairement à ce qu'il a laissé entendre dans son allocution en évoquant les sujets sur lesquels il « veillera ». Par ailleurs, ces sujets ne sont pas de la compétence des institutions européennes pour la plupart ! La priorité affirmée de la croissance et de l'emploi est un vœu, mais dont la concrétisation relève des États membres et non des fonctions de la Commission. Pas plus que le développement des nouvelles technologies, la transition énergétique, la défense, la culture, et même le contrôle aux frontières (l'espace Schengen découle à l'origine de conventions indépendantes de l'UE, signées par certains pays extérieurs à l'UE) que le Président a spécifiquement nommés, ne font partie des domaines dans lesquels l'Europe de Bruxelles peut imposer des mesures dans le cadre de la législation actuelle.

Le Président français, comme les autres chefs d'État ou de gouvernement, n'ont qu'un rôle d'influence dans le cadre de discussions. Le Parlement européen vote les lois, mais c'est une assemblée où aucun parti ne dispose de la majorité, sachant que dans le parti le plus important, le PPE, la France ne disposera que de 20 sièges sur 213, et que le parti réunissant les socialistes français n'est pas le PPE mais le S&D (190 sièges, dont 13 députés représentant la France), à la différence de la CDU, parti d'Angela Merkel dont les représentants siègent au PPE (34 sièges). L'élection de dimanche ne provoquera aucun changement dans la répartition des pouvoirs à l'Assemblée, sauf que la France a perdu 9 sièges sur 29 au PPE, et y verra donc son influence diminuer… Quant à la Commission, elle a des pouvoirs importants, mais des compétences limitées comme nous l'avons indiqué. Mais elle applique les traités, et il ne sert à rien de lui demander de « se retirer » sur certains sujets dès lors qu'ils font partie de sa compétence. Il est très difficile pour le Président de rappeler ces notions qui ne font qu'expliciter sa relative impuissance à peser sur la politique européenne décidée par un Parlement où les socialistes sont en minorité. Il n'empêche que les gouvernements n'ont jamais cru devoir rendre compréhensible pour les Français l'illisible construction européenne, non plus que le caractère restreint du spectre de la compétence de ses institutions. Et pourtant cette explication devrait permettre d'éviter que l'Europe ne devienne le bouc émissaire des propres insuffisances et impuissances des États membres dans la modération de leurs dépenses publiques. Les gouvernements des États membres doivent expliquer comment conserver l'euro s'il n'est pas possible de progresser en ce sens. En avons-nous entendu parler sérieusement en France autrement qu'à l'occasion d'une prévision fort peu crédible de dépenses publiques au niveau de 53% du PIB en 2017, taux qui sera encore très supérieur à celui de la moyenne de l'OCDE, qui en 2011 était 6,5 points en dessous ? Ces gouvernements paient le prix de leur silence.

Ce n'est donc pas au niveau de l'Europe que le Président pourra tenir compte, comme il l'a promis, des enseignements du vote de dimanche. Mais ce n'est pas non plus au niveau de la France : le Président a indiqué vouloir garder le cap tracé à son Premier ministre. On ne peut pas le lui reprocher, car il lui faut faire preuve de constance. Le malheur est cependant que les mesures prises pour suivre ce cap sont insuffisantes ou se contredisent trop souvent. En finir avec l'austérité, croit-on comprendre, mais comment, et avec quelle cohérence par rapport aux engagements pris sur le coup d'arrêt aux déficits ? Nous n'avons toujours pas reçu d'éclaircissements. Illisible Europe, illisible France, écartelée par toutes les tendances de ses différents partis et ses engagements incompatibles. La tâche du Président est de dissiper le brouillard.

Dernière minute

La conférence de presse de François Hollande ayant suivi la réunion des chefs d'État du 27 mai à Bruxelles ne lève pas les ambiguïtés. Certes on entend le chef de l'État reprendre les mêmes thèmes et priorités pour l'Europe que ceux évoqués lors de l'allocution de la veille : croissance, emploi, investissement, transition énergétique etc…, mais l'accent est mis à la fin de la conférence de presse sur le travail de réformes qui doit être réalisé en France, et là il n'est plus question pour le Président de répondre à la question d'une journaliste s'étonnant de ne plus entendre évoquer la fin de l'austérité, ce que beaucoup avait cru retenir de l'allocution de la veille. Le Président évoque au contraire la nécessité de réduire les intenables déficits, et reconnaît que la France a bénéficié de « délais et assouplissements », voulant clairement dire qu'ils appartiennent au passé. La France doit donc conduire ses réformes pour elle-même, et le Président n'est pas venu à Bruxelles plaider pour obtenir des aménagements…ou en tout cas il ne paraît pas en avoir obtenu. D'où ce renvoi à la responsabilité de la France, qui va sonner désagréablement aux oreilles de la majorité parlementaire, d'autant que sur l'épineuse question du choix du nouveau président de la Commission, François Hollande semble s'être rallié –volens nolens – à la candidature du luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qui n'est précisément pas favorable au laxisme budgétaire ni apprécié par les socialistes français.