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Vendre des participations de l'État, oui, mais pas dans n'importe quel but !

Le quotidien Le Figaro publie une tribune d'Agnès Verdier-Molinié sur la vente des participations de l'État. "La directrice de la Fondation iFRAP (Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), Agnès Verdier-Molinié, considère que le désengagement financier de l'État des entreprises qu'il possède doit servir à combler les déficits."

Vendre les participations de l'État français ? Vendre les bijoux de famille ? Certains s'offusquent mais, en réalité, l'heure n'est plus au débat mais à l'action. Bercy est bien plus au pied du mur que ses porte-parole n'acceptent de le dire et ne pourra pas faire autrement que de vendre. Déjà l'objectif des 3 % s'éloigne depuis les prévisions de Bruxelles de 3,9 % de déficit en 2013 et 4,2 % en 2014, alors que le gouvernement n'a toujours pas pris la moindre décision de réduction des dépenses de fonctionnement : rationalisation des échelons de décision publique, réduction importante du nombre de personnels publics, révision des missions et des périmètres d'intervention de chaque acteur public. En face de ces cessions d'actifs, le gouvernement annonce de soi-disant « nouvelles » dépenses d'investissement. Mais, en réalité, c'est le jeu de bonneteau budgétaire qui bat son plein. Ré-annoncer des investissements déjà prévus afin d'habiller l'annonce des ventes de participations. Mais, comme pour les 35 milliards du grand emprunt, financer en réalité des dépenses de fonctionnement (les hôpitaux publics n'ont-ils pas en partie bénéficié de cette cagnotte pour les investissements d'avenir pour financer leurs déficits ?).

Alors, arrêtons l'hypocrisie et reconnaissons honnêtement que nous allons vendre, parmi les quelque 60 milliards de participation dans des entreprises cotées (EDF : 28 milliards, GDF Suez : 15, France Télécom : 3, EADS : 5, Safran : 4, ADP : 4, Renault : 2, Thalès : 2), tout simplement pour éviter la banqueroute de nos finances publiques. Ce n'est pas honteux et ce serait plus sain de le dire sans fard plutôt que de faire croire aux Français que de nouveaux projets de l'État trouvent indéfiniment des financements, alors qu'on leur ressert toujours le même plat en changeant un peu la sauce.

Car ce sont bien toujours les mêmes plans que l'on nous revend : le « plan compétitivité » annoncé récemment par le gouvernement est censé financer « le numérique, la transition énergétique, la santé, les grandes infrastructures et, d'une manière générale, les nouvelles technologies ». Pas très différent du plan d'investissement d'avenir du précédent gouvernement censé financer : l'enseignement supérieur et la formation (11 milliards), l'industrie (5 milliards d'euros, notamment pour les pôles de compétitivité et certaines grandes entreprises), les PME innovantes (1,5 milliard), le développement durable (5 milliards) et l'économie numérique (4,5 milliards).

Les gouvernements passent mais les bonnes vieilles recettes restent. Et, au final, on finance toujours les mêmes projets. Alors oui, il faut vendre des participations de l'État, et vite, mais pas pour financer, en la déguisant en investissements, la production de nos services publics. Ils coûtent à la France 60 milliards de plus que chez nos voisins européens, et nul n'a encore eu le courage de vraiment les réduire.

La vente potentielle de 6 à 8 milliards de participations cette année (Bercy a cédé respectivement 3,1 % et 2,1 % dans Safran et EADS pour 1,1 milliard d'euros de recettes) est plus que légitime, mais à condition de consacrer les fruits des ventes d'actifs à la baisse du déficit public en les additionnant et non en les substituant à la baisse des dépenses publiques. Par ailleurs, il ne faut pas ajouter d'investissements supplémentaires au budget déjà voté ; les investissements doivent se financer sur la baisse des dépenses au sein de l'enveloppe existante. La vente de participations de l'État ne doit pas permettre de faire en quelque sorte du hors bilan, la France dépense déjà 1 149 milliards d'euros par an, on devrait pourvoir dégager au sein de ces dépenses de quoi investir en gérant de manière avisée.

La vente des participations est tout de même une bonne piste même si, au sens de Maastricht, les recettes exceptionnelles ne sont pas réintégrées en comptabilité budgétaire par Eurostat dans l'amélioration du déficit. Cela dit, de bons négociateurs à Bruxelles - eu égard aux temps difficiles que nous traversons - devraient pouvoir le faire accepter. Déjà, en 2011, la Fondation iFRAP avait chiffré à 40 milliards d'euros sur deux ans le produit potentiel de la vente des participations de l'État.

Cela étant dit, que vendre et comment ?

Dans un premier temps, voici les participations que l'État pourrait vendre sans enregistrer de perte :

- La Française des jeux (détenue à 72 % par l'État, évaluée à 1 milliard d'euros)
- Aéroport de Paris (4 milliards)
- Renault (2 milliards)
- Baisser la participation dans Safran et Thalès
- Vendre (comme proposé par la CDC) les lignes d'électricité et voies TGV publiques (certaines en construction sont déjà privées) comme cela a été fait ailleurs. Par exemple, EDF Energy a revendu son réseau électrique au Royaume-Uni pour 6,5 milliards d'euros à Cheung Kong Infrastructure (CKI). Tandis que CDC Infrastructure a proposé de mettre en concession des lignes LGV (lignes à grande vitesse) françaises existantes pour 15 à 16 milliards d'euros, comme cela a été fait pour des lignes « à construire ». Le Royaume-Uni a privatisé pour trente ans sa ligne grande vitesse existante de 108 km pour 2 milliards d'euros.

Dans un second temps, il est clair que, comme EDF et GDF Suez représentent plus de la moitié des 63 milliards des participations cotées de l'APE, il faudra vendre des participations dans ces deux entreprises (et passer par une loi pour passer la participation de l'État dans EDF en dessous des 70 %). Leur valeur est sous-cotée, surtout parce que les investisseurs craignent les risques externes (baisse des prix du gaz et du charbon, nucléaire, baisse de la consommation d'énergie en Europe) et politiques (manipulation des prix, avantages sociaux démesurés et coûteux, développement d'énergies vertes non rentables, fermeture obligatoire de sites). Pour vendre ces entreprises à leur juste valeur et donc faire remonter la valeur des actions, le gouvernement devrait préalablement annoncer qu'il va cesser d'intervenir dans la gestion de ces entreprises et dans la fixation des prix comme dans les statuts des personnels. Ensuite se pose la question de garder ou pas une minorité de blocage dans les entreprises jugées stratégiques pour la France. La bonne politique de cessions, celle d'une gestion en « bon père de famille », doit permettre d'arbitrer entre trois facteurs : rentabilité de l'investissement, équilibre entre le montant des produits de cessions et les dividendes, et les contraintes de l'État actionnaire dans les secteurs jugés prioritaires (actions dites de référence et autres mécanismes de protection autorisés). Dans ce cadre, l'Agence des participations de l'État devra jouer le rôle d'un « family office » national avisé en se séparant des actifs les moins productifs. Plus globalement, l'objectif n'est surtout pas d'appauvrir l'État sans que celui-ci en tire une capacité de trésorerie renforcée. La bonne méthode est de faire intervenir les cessions d'actifs en parallèle, et non pas à la place, de la baisse des dépenses publiques.