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« Une sacralisation des traditions administratives françaises entraîne beaucoup de résistances au changement »

Ancien élève de l'École Polytechnique, ingénieur en chef des Mines, Bertrand Collomb entre en 1975 au groupe Lafarge. Directeur général adjoint du groupe en 1982, P-DG en août 1989, il devient président d'honneur en mai 2007.

Agnès Verdier-Molinié : Quelle est, selon vous, la principale qualité de l'Administration française ?

Bertrand Collomb : Notre administration est composée de gens d'une grande qualité intellectuelle, qui ont un sens fort de l'intérêt général, et qui, contrairement à l'image d'Épinal, travaillent beaucoup.

Et son principal défaut ?

BC : Une trop grande consanguinité liée à un système de recrutement peu diversifié, une insuffisante perméabilité avec le secteur privé amènent parfois à voir l'intérêt général comme opposé aux intérêts particuliers. Et une sacralisation des traditions administratives françaises (incarnées notamment dans le droit administratif, inconnu de la plupart des autres pays) entraîne beaucoup de résistances au changement.

Quelle serait, selon vous, la grande réforme à mener en France ?

BC : La grande réforme à mener en France – et elle est en partie engagée par la révision générale des politiques publiques lancée par le Président de la République – est l'allègement du poids réglementaire et économique de l'appareil public, en recherchant à la fois un recentrage sur les fonctions essentielles, et des actions de productivité analogues à celles que le secteur privé a été obligé de conduire par l'aiguillon de la concurrence. Cette réforme doit inclure aussi les échelons locaux dont la prolifération est excessive – comme le note le rapport Attali en proposant la suppression du département.

Quelles administrations pourraient être supprimées en France ?

BC : Il y a de nombreuses commissions, délégations ou services qui survivent à la disparition de leur objet : le cas caricatural il y a quelques années était le refus du gouvernement d'accepter une proposition parlementaire de supprimer le Conseil de la politique monétaire après la création de l'euro, alors qu'il n'y avait plus de politique monétaire française ! On peut aussi noter que les effectifs de certains ministères (Agriculture, Anciens Combattants) ne suivent pas l'évolution des secteurs dont ils sont responsables. Mais il est encore plus important que les missions des administrations soient organisées avec le maximum d'efficacité, en constatant notamment que l'évolution des systèmes d'information ne nécessite pas que l'ensemble des services supports soient organisés de façon décentralisée. Les entreprises ont constaté depuis longtemps que la centralisation des achats, de la paie, des traitements comptables permettent des économies considérables. À l'inverse, comme dans les entreprises, il faut sans doute mettre plus de moyens sur la gestion des ressources humaines et la relation avec le client, c'est-à-dire le citoyen. Il faut aussi revoir les traditions administratives qui font que la moindre des décisions doit être prise par arrêté ou par décret, et entraînent des coûts et des lenteurs considérables. La capacité de chaque échelon de prendre, sous sa propre autorité, les décisions qui le concernent serait un élément de simplification et de responsabilisation. Centraliser les fonctions support mais décentraliser l'initiative et la décision a été l'axe majeur d'évolution des entreprises. Enfin le développement de l'évaluation, s'il est plus difficile dans l'administration que dans l'entreprise, y est également nécessaire, sans tomber dans les travers simplificateurs dont la presse s'est fait l'écho pour l'évaluation des ministres !

Quels sont les atouts de la France dans la mondialisation ?

BC : Beaucoup d'entreprises françaises réussissent dans la compétition mondiale. La qualité et l'engagement de leurs équipes, joints à une meilleure compréhension des différences culturelles ont été leurs meilleurs atouts. La France a le potentiel d'intelligence, de compétences technologiques et de capacité de management nécessaires pour être bénéficiaire, et non victime, de la globalisation. Mais ce qui lui manque est l'acceptation du changement, dans un monde qu'il n'est plus possible de contrôler, où la concurrence impose des prises de risque, et des réactions rapides, et où le rôle de chacun évolue plus vite que nous n'en avons l'habitude.

Quelle devise pourrait redonner confiance aux jeunes entrepreneurs de notre pays ?

BC : C'est probablement une devise de type sportif qu'il faudrait, car le maître mot du succès est compétition. Quelque chose du genre « gagner ensemble » ne serait sans doute pas original, mais traduirait bien la réalité. Car on ne peut distinguer, comme on le fait souvent, la France qui est en concurrence de celle qui serait protégée. La force compétitive de nos entreprises ne dépend pas seulement de leurs propres forces, mais aussi du soutien qu'elles obtiennent – ou du poids qu'elles subissent – dans tous les « services support » de la société : éducation, recherche, infrastructures, ressources humaines… et de la reconnaissance que cette société est prête à leur donner.