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Suppression de la clause générale de compétence : les écueils, les enjeux

Selon l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales sont les régions, les départements et les communes. Constitutionnellement, à ce jour, chacune de ces personnes morales de droit public possède la clause de compétence générale. On peut définir cette clause générale de compétence comme l'attribution non définie de compétences permettant d'agir dans un nombre de domaines non défini lorsqu'il y a un intérêt local. En clair : toutes les collectivités locales peuvent intervenir dans tous les domaines… et les doublons de compétence sont au rendez-vous. La clause de compétence générale a été attribuée aux communes par la loi municipale de 1884. Le législateur l'a ensuite étendue aux autres collectivités territoriales en 1982, à l'occasion des lois Deferre, qui marquent l'acte I de la décentralisation. Le gouvernement Raffarin, a sanctuarisé cette clause, par la révision constitutionnelle de 2003. La révision a consisté à inscrire dans la Constitution, à l'article 1er, que l'organisation de la République est décentralisée, mais surtout la création de l'article 72 dont l'alinéa 3 parle de libre administration des collectivités territoriales, mais également avec à l'alinéa 2 du même article, qui énonce que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».

Le résultat de toutes ces réformes ? Des collectivités qui interviennent toutes dans les mêmes politiques publiques et un coût de nos services publics qui augmente. À l'occasion de son discours de politique générale du 8 avril 2014, le Premier ministre Manuel Valls a proposé « quatre changements majeurs » afin de simplifier le « millefeuille territorial » :

  • La réduction de moitié du nombre de régions dans l'Hexagone, « une nouvelle carte des régions sera établie pour le 1er janvier 2017 ». La France compte actuellement 26 régions, dont 22 en métropole.
  • « Engager le débat sur l'avenir des conseils départementaux », en proposant leur suppression à l'horizon 2021
  • Une nouvelle carte intercommunale pour le 1er janvier 2018, basée sur les « bassins de vie ».
  • la volonté de supprimer la clause de compétence générale.
En vertu de la clause générale de compétence, une commune trouve légitime de financer un cabinet dentaire municipal ?

Le Conseil d'État, ne trouve rien à redire du point de vue de la légalité, et justifie l'action de la municipalité, au motif de l'intérêt local, condition d'application de la clause générale de compétence, tel qu'il l'a validée, un arrêt en date du 20 novembre 1964, Ville de Nanterre.

La réflexion du gouvernement sur le sujet est, elle aussi complexe : fin janvier le Parlement a adopté une loi dite de « modernisation de l'action publique » qui… supprimait l'encadrement de la compétence générale pour les régions et surtout pour les départements. Encadrement qui n'était même pas encore entré en vigueur car il procède de la loi du 16 décembre 2010 [1] qui devait être effective en 2015. Donc la loi de 2010 n'entrera pas en vigueur tout comme sa cadette du 24 janvier 2014 (qui amende l'article 73 de la loi du 16 décembre 2010), n'entrera pas non plus en vigueur. C'est à n'y rien comprendre… D'autant plus que Marilyse Lebranchu, ministre de la Réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, portera la réforme de la suppression de la clause générale de compétence après avoir porté précédemment le retour de cette même clause générale de compétence…

Le premier détenteur de la clause générale de compétence : l'État.

Le législateur, dont l'ambition était de clarifier les compétences des collectivités territoriales, a, par la loi du 13 aout 2004, transféré de nouvelles et importantes compétences de l'État aux collectivités.

La région « a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire… », selon l'article L4433-1 du code général des collectivité territoriales (CGCT), que le département quant à lui « a compétence pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des communes », selon l'article L3211-1 du CGCT.

Le transfert de compétences d'attribution était vu par le législateur comme une barrière à l'intervention de l'Éat, dans les domaines qui devaient être la vocation des collectivités territoriales. Ce raisonnement a été clairement ébranlé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 7 juillet 2005, portant sur une loi qui confie au préfet de département la définition des zones de développement éolien.

L'interprétation [2] faite par le Conseil constitutionnel, va à l'encontre d'une action subsidiaire et énonce ainsi « qu'il résulte de la généralité des termes retenus par le constituant que le choix du législateur d'attribuer une compétence à l'État plutôt qu'à une collectivité territoriale ne pourrait être remis en cause, sur le fondement de[72-2] ». Cette décision est primordiale, car le Conseil constitutionnel énonce que les collectivités territoriales n'ont pas le monopole d'action dans les domaines d'aménagement du territoire. Et affirme a contrario que l'État a une compétence générale dans l'ensemble des domaines, pouvant se superposer aux domaines d'attribution des collectivités territoriales. Par voie de conséquence, l'État peut concurrencer les collectivités territoriales par ses agences territoriales, sur le fondement qu'il possède une clause de compétence générale.

La suppression de la clause générale de compétence a déjà été proposée par le rapport Lambert [3] de décembre 2007 et vient d'être proposée à nouveau par le rapport Malvy Lambert [4] de 2014.

Cette suppression permettrait d'effectuer enfin une répartition claire et lisible des compétences d'attribution entre les différentes collectivités et l'État. Une nouvelle réforme des compétences territoriales, sans suppression de la clause générale de compétences, serait une réforme fictive. Les collectivités territoriales et l'État s'appuyant alors toujours sur la clause de compétence générale afin d'agir dans leur ancien domaine et d'en créer de nouveaux. La suppression de la clause générale de compétence des collectivités devra également passer par l'encadrement strict des compétences de l'État, qui traditionnellement aime avoir une compétence omnipotente avec l'appui, comme nous l'avons vu, du Conseil constitutionnel.

Les modalités de la suppression des clauses de compétence générale.

Ce qui nous conduit à nous demander comment supprimer la clause de compétence générale ; devra-t-on passer par une loi ordinaire ou par une révision de la constitution ?

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 9 décembre 2010, sur le projet du 17 novembre 2010 qui encadrait la clause de compétence générale des régions et des départements. Le Conseil a alors considéré que la réduction des missions des conseils généraux et régionaux n'est pas contraire à l'article 72 alinéa 2 de la Constitution [5] ; et a justifié sa décision en énonçant que les collectivités territoriales pouvaient toujours « se saisir respectivement de tout objet d'intérêt départemental ou régional pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique », de ce fait, la disposition n'était selon le Conseil pas contraire à la «  vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Mais la disposition législative n'abrogeait pas la clause de compétence générale. .. Donc, la question reste entière sur la constitutionnalité d'une disposition législative dont l'objet serait la suppression de la clause de compétence générale et non son encadrement. Une lecture a contrario de la décision laisse à penser que la suppression totale de la clause de compétence générale serait inconstitutionnelle, car restreindrait le domaine de compétence des collectivités territoriales. Autrement dit, l'article 72 alinéa 2 de la Constitution qui parle de la « vocation » pour les collectivités locale à prendre des délibérations pour l'ensemble des compétences pouvant être mise en œuvre au sein de leur territoire, et retient de cette affirmation que les collectivités locales, doivent avoir une clause de compétence générale serait le pivot de la réflexion du Conseil constitutionnel face à la suppression de la Clause générale de compétence des collectivités. Par voie de conséquence, les Sages de la rue Montpensier laissent fortement entendre que le pouvoir législatif ne doit pas créer uniquement des compétences d'attributions. Si la prudence suggère de ne pas préjuger d'une décision future du Conseil constitutionnel sur la validité d'un dispositif supprimant la clause de compétence générale des collectivités territoriales, si l'on veut –comme cela est nécessaire- supprimer les doublons entre l'État et les collectivités locales et entre les collectivités locales elles-mêmes, il faudra passer par une révision de la Constitution pour encadrer le domaine de l'action de l'État et réviser les articles 72 et suivants de la Constitution. Sinon, l'État continuera de doublonner les collectivités et vice versa. La question qui se pose maintenant est la suivante : le consensus politique sera-t-il au rendez-vous dans la cadre d'un vote en congrès ? « On verra qui sont les réformateurs et qui sont les conservateurs » a dit le président de la République.

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[1] Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

[2] Décision n° 2005-516 DC du 07 juillet 2005.

[3] Rapport d'Alain Lambert de décembre 2007 portant sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, page 7.

[4] Rapport Malvy Lambert du 16 avril 2014, proposition N° 15 p21

[5] Décision du conseil constitutionnel 2010-618 loi de réforme des collectivités territoriales considérant 55.