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Services publics en réseau : Pas de contradiction entre la France et l'Europe

Les services publics font en France l'objet d'un débat de société qui divise profondément les Français, tout en étonnant la plupart de nos partenaires européens. En témoignent les accusations permanentes de « casse du service public » lancées de façon incantatoire par la gauche à l'encontre de la politique du gouvernement …

On peut aussi citer : le remue-ménage médiatique avec la votation sur le changement de statut et l'éventuelle privatisation de La Poste ; l'instrumentalisation des suicides à France Telecom, accusé de déstabiliser son personnel par des exigences de logique financière ; la proposition de modification de la Constitution émise par le député Michel Vauzelle, tendant à sanctuariser les services publics au nom de la « résistance à l'oppression » ; et encore, en sens inverse et tout récemment la tonitruante déclaration d'Henri Proglio, tout nouveau président d'EDF, selon qui « EDF est une administration cotée en Bourse qui doit devenir une entreprise ».
S'opposent ainsi, d'un côté, la mentalité de salariés restés attachés à leur statut de fonctionnaire dans un cadre administratif et, de l'autre, la volonté constante des gouvernements successifs, de droite comme de gauche, d'insérer les entreprises publiques dans un cadre européen où domine la concurrence.

Nous avons voulu analyser ces deux paramètres pour nous demander si l'on pouvait espérer mettre un terme à cette schizophrénie bien française. Nous avons donc d'abord tenté d'expliquer les mentalités, en les caractérisant par quelques citations que plus d'un lecteur sera probablement surpris de découvrir.

En face de ces citations, nous avons analysé le rapport de la mission confiée en 1996 par le gouvernement à Renaud Denoix de Saint Marc [1] sur la compatibilité entre les conceptions française et européenne des services publics. Conseiller d'État et maintenant membre du Conseil constitutionnel, l'auteur du rapport conclut sans ambiguïté à la possibilité de concilier ces conceptions.

Parviendra- t-on enfin à cette réconciliation dans l'esprit des Français ?

I. Les mentalités traditionnelles dans les services publics

Il ne s'agira ici que des services publics de réseau, dits « marchands » (transports, eau, énergie, communications), par opposition aux services non marchands que sont les services administratifs et régaliens (justice, police, défense) ou ceux comme la santé ou l'enseignement [2].

Nous avons retenu trois citations permettant de comprendre les mentalités auxquelles nous faisons allusion.
La première met en évidence d'un point de vue historique la conception que se faisait des services publics il y a plus d'un siècle le doyen Hauriou, jurisconsulte dont l'influence a été capitale pour la théorie des services publics (encadré n° 1).
Les deux autres sont des réflexions récentes parmi beaucoup d'autres, publiées sur Internet, et allant dans le même sens, sur l'évolution imposée aux fonctionnaires quant à la nature de leur rôle (encadrés n° 2 et 3).

On peut ainsi résumer les mentalités ainsi exprimées dans ces trois citations :
- le service public n'est pas le service du public. Il sert l'intérêt général, qui ne se résume pas à l'addition des intérêts particuliers, et se nourrit des grands principes républicains comme celui d'égalité. Les agents ne sont pas « à la botte des usagers » mais conservent leur indépendance à l'égard de ces usagers, ce qui exclut « le spectre de la soumission servile » ;
- les agents doivent être égaux entre eux, censés n'avoir pour maître que leur conscience professionnelle, ils ne peuvent être distingués que sur la base de ce critère, ce qui exclut toute différence de traitement fondée sur l'efficacité ou la rentabilité ;
- imprégnés de la seule « grandeur de leur tâche », les agents ne sont pas non plus « à la botte de leurs chefs », mais doivent être à l'abri des pressions de leur hiérarchie. Ils sont pareillement indépendants vis-à-vis du gouvernement, étant eux-mêmes détenteurs de la puissance publique. Les agents n'ont pas à se vendre et ils n'ont rien à vendre. La recherche de la rentabilité les met en contradiction avec leur mission de service de l'intérêt général, en les incitant éventuellement à placer des produits inutiles ou néfastes dans le seul intérêt de leur employeur ;
- enfin, des « décennies de lutte ont conduit les agents à conquérir d'innombrables privilèges » qui leur donnent « le sentiment d'être quelqu'un », ce qui sousentend une justification de ces privilèges.

II. La marche forcée des services publics vers les exigences du marché

À l'autre extrémité conceptuelle de la notion de service public se trouve la construction que la France a validée en signant en 1957 le Traité de Rome et mise en œuvre depuis déjà un demi-siècle. Le fondement de ce traité se situe dans la liberté de circulation des personnes, capitaux, biens et services sur le marché intérieur, liberté contredite par les monopoles jugés favoriser les abus de position dominante et être facteurs de discrimination.

La liberté de circulation suppose donc l'ouverture à la concurrence, étant toutefois entendu que le traité précise dans son article 86 que les règles de concurrence ne sont applicables aux services d'intérêt économique général que « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Comme l'explique Renaud Denoix de Saint Marc (encadré n° 4), la conception européenne n'est pas contraire à la tradition juridique française, dès lors qu'on ne commet pas de confusion sur le sens qu'il faut donner au terme « service public ».

Celui-ci ne saurait en effet désigner que des missions nommément définies confiées à un organisme quelconque et non l'organisme lui-même pour l'ensemble de ses activités. Là se situe bien le débat : ne pas confondre service public perçu comme désignant dans leur entier une entreprise ou un secteur, avec les obligations de service public imposées à des entreprises engagées dans des activités diverses de nature commerciale ou industrielle auxquelles s'appliquent généralement les règles de concurrence du marché intérieur européen. Cette confusion est extrêmement commune et le discours politique ou syndical en joue. Lorsque, par exemple, le député PS Michel Vauzelle fait campagne pour introduire dans la Constitution une charte des services publics, ces derniers y sont définis, non comme des obligations particulières, mais comme des secteurs entiers :

« Art. 5 – La République française reconnaît et garantit les services publics (…) de l'information et de l'accès aux moyens de communication physiques et numériques…, de l'eau et de l'énergie…, des transports, de la création et la diffusion artistique et culturelle, de la pratique des activités sportives. »

À ce titre, la totalité des activités et des entreprises de ces secteurs serait susceptible d'échapper aux règles de marché, ce qui serait évidemment contraire à l'essence même de la construction européenne et parfaitement irréaliste. Ceci s'applique à tous les services en réseau qui font l'objet de lois et de conventions passées par les entreprises avec l'État ou de cahier des charges définissant de manière restrictive ; parmi les activités de ces entreprises, les obligations de service public auxquelles elles sont astreintes [3].
On a ainsi remarqué que la loi du 31 décembre 2003 concernant France Telecom a substitué les termes « obligations de service public » à ceux de « service public », ce qui est révélateur de ce recadrage.

À titre d'exemples,
- les tarifs réglementés du gaz et de l'électricité ne font pas, à la différence des tarifs sociaux, partie du service public (voir encadré n° 5) ;
- Internet et le téléphone mobile ne font pas partie des missions de France Telecom ;
- le TGV n'est pas pour la SNCF une de ses missions, qui se limitent essentiellement aux tarifs sociaux et aux trains d'intérêt régional ;
- le colis et l'express, la banque (sauf pour l'accès des services aux plus démunis) ne font pas partie des obligations de La Poste, de même qu'évidemment ses activités internationales, indispensables puisque les communications sont mondiales.

III. Les mentalités devront s'adapter

L'évolution constante des défis et des secteurs d'intervention de l'État

Les mentalités que nous avons tenté de décrire sont caractéristiques des services administratifs ou régaliens, abusivement étendues aux services industriels et commerciaux. Elles sont aussi la marque d'une époque révolue où dominaient les nécessités de l'aménagement du territoire dans un cadre d'intérêt général, ce qui est particulièrement le cas pour les communications (les PTT il n'y a pas si longtemps) où se produisent actuellement les soubresauts sociaux.

Mais, dans ce même secteur, cela aurait-il maintenant un sens de parler des « usagers » et non pas de « clients » de l'Internet et du téléphone mobile – et même du téléphone fixe – et faire de ces services un bien essentiel dont la fourniture incomberait au secteur public financé par le contribuable ? Idem pour le TGV ?

En sens inverse, naissent en permanence de nouveaux services publics : il en est ainsi des nouvelles obligations qui pèsent sur le secteur public en conséquence de l'affirmation du droit au logement et du lancement il y a quelques semaines du service public de l'hébergement. On constate donc une évolution constante des défis auxquels l'État doit répondre en redéfinissant en permanence le contenu des services publics ou plutôt des obligations de service public. Les préoccupations conservatrices de ceux qui veulent, à tout prix et sans raison économique, maintenir un statu quo dans les secteurs traditionnels, paraissent singulièrement décalées.

L'explosion des besoins financiers

Qu'on le veuille ou non, la logique financière est incontournable. Les besoins financiers n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient autrefois, du fait notamment que les opérateurs sont obligatoirement devenus mondiaux ou à tout le moins européens comme la SNCF. La modernisation et le développement des services nécessitent des capitaux qui ne peuvent être indéfiniment apportés sous forme d'endettement. Efficacité et rentabilité s'imposent. Et comment ne pas voir que la satisfaction des clients ne saurait être sacrifiée sans sacrifier aussi l'intérêt général ?

On ne saurait enfin oublier que ni les moyens ni les performances de l'État n'ont permis d'assurer correctement le développement des services publics. Ainsi, ce sont les fonds privés qui ont sorti, il y a un demi-siècle, les télécommunications de l'ornière de sous-développement dans laquelle elles se trouvaient au moment du célèbre « 22 à Asnières ». L'histoire ne peut que se répéter à ce sujet. Alors oui, les mentalités devront s'adapter. Tous les gouvernements ont finalement suivi la même ligne depuis l'adhésion de la France à une construction européenne qui s'est montrée assez souple pour ne même pas bouleverser notre droit public ni contredire nos principes constitutionnels.

On peut quand même regretter à l'inverse que le dialogue social se soit si peu développé dans les entreprises publiques qui continuent à susciter des réactions aussi figées dans le passé que celles que nous avons citées.
Le récent accord intervenu entre les partenaires sociaux chez France Telecom et concernant le temps partiel des seniors est peut-être l'hirondelle qui annonce le printemps du dialogue fructueux.

++DECOUPE++

Encadré 1 - Une conception traditionnelle du Service Public

++NOCHAPEAU++

« Son autonomie relative [celle de l'administration publique], son indépendance vis-à-vis du gouvernement ne seront sans danger que si elle est elle-même, dans une certaine mesure, un gouvernement ou si elle se sent les responsabilités d'un gouvernement.

Il est indispensable que l'administration conserve la prérogative de l'action directe avec contrainte, qui est d'essence gouvernementale. Cette prérogative est indispensable pour que l'administration sente à chaque instant, dans chacune de ses démarches, qu'elle n'est pas du monde de la vie privée et qu'elle ne doit pas s'abandonner aux faiblesses de la vie privée, c'est-à-dire aux préoccupations intéressées qui la conduiraient à la fiscalité, à l'appropriation des fonctions, à leur exploitation au détriment du public. »

Source : Hauriou, Précis de droit administratif, 1900.

++DECOUPE++

Encadrés 2 et 3 - La résistance des fonctionnaires

++NOCHAPEAU++

Encadré 2

« Les soubresauts sont nombreux chez ces fonctionnaires qui refusent de voir partir leur monde et ses valeurs, quand les dirigeants affichent leur volonté d'introduire des modes de gestion inspirés du privé. Ces innovations viennent altérer l'alchimie fragile de l'ethos républicain.

La seule introduction de la notion de client représente une véritable déchirure, car elle ouvre la porte à des différences de traitement et désagrège la triple égalité ; l'agent est astreint au service de clients qui ne sont pas tous égaux, car on distingue désormais les « grands comptes » (gros clients). Le recrutement de salariés hors statut, contractuels de tous ordres, l'individualisation des primes, des carrières cassent le principe d'égalité des agents entre eux.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) impose des objectifs systématiques de rentabilité, obligeant à tout quantifier, activité par activité, au désespoir des praticiens hospitaliers, comme on l'a vu cette année, mais aussi, plus généralement, de tous les agents qui investissent dans les missions de leurs institutions plus qu'une recherche de rentabilité. »

Source : Danièle Linhart, « Comment l'entreprise usurpe les valeurs du service public », Le Monde diplomatique, septembre 2009.

Encadré 3

« On s'étonne souvent des résistances françaises au développement d'une logique de marché là où le service public prévalait jusqu'alors.

C'est mal comprendre combien le monde public incarne de manière privilégiée une vision française d'un travail digne. Au sein des entreprises françaises, appartiennent-elles au monde concurrentiel, chacun affirme avec vigueur que, s'il a à cœur de bien faire son travail, c'est qu'il est pénétré de la grandeur de sa tâche et qu'il n'est à la botte ni de ses chefs ni de ses clients. Cette vision des choses s'ancre dans une conception de la liberté qui marque profondément la société française. Le statut public fournit une version particulièrement appréciée d'une telle forme d'indépendance. Être au service de l'intérêt général, pouvoir faire bénéficier de ses bons offices ceux en faveur de qui on agit sans avoir besoin de « se vendre », n'avoir guère à obéir qu'à sa conscience professionnelle, autant d'éléments d'une manière de faire son travail qui écarte le spectre de la soumission servile.

L'appartenance au service public est particulièrement précieuse pour ceux qui n'ont ni « vrai métier » à fort contenu technique ni « noblesse scolaire » significative. Le « statut » dont ils bénéficient leur donne, à défaut d'une véritable autonomie professionnelle (car leur action est encadrée par de multiples règlements), une protection contre les pressions de leur hiérarchie.

De plus, leur appartenance à un service public les protège contre le risque d'être dans la dépendance des « usagers ». Enfin, dans des lieux où les syndicats ont en général un pouvoir important, des décennies de lutte ont conduit à conquérir d'innombrables privilèges d'ampleur variable, communs à tout le personnel ou spécifiques à chaque catégorie, privilèges dont la possession contribue à donner le sentiment que l'on est « quelqu'un ». La remise en cause de ce type de fonctionnement, et de la culture qui lui est liée, n'est pas anodine. Elle affecte de manière substantielle ce qui permet au personnel de base du monde public de se sentir traité dignement.

Si l'on veut réformer profondément le monde public français, il importe de le faire en permettant à ses membres de continuer à ressentir que leur seul maître est l'intérêt général. »

Source : Philippe d'Iribarne, « L'Attachement français au service public », Institut de la gestion publique, 2007.

++DECOUPE++

Encadré 4 - Les recommandations du rapport de la mission juridique de 1996

++NOCHAPEAU++

Alain Juppé avait commandé le rapport en 1996 afin d'éclairer les représentants français lors des négociations européennes. Ce rapport conclut sans ambiguïté à la compatibilité de la conception européenne du « service économique d'intérêt général » avec la conception française du service public.

La mission avait, pour en arriver à cette conclusion, entendu un nombre considérable de personnalités, et notamment de responsables syndicaux et politiques. Il était donc tentant de rapprocher les conclusions du rapport et la violente diatribe à laquelle se livre actuellement Michel Vauzelle pour présenter sa pétition en faveur d'une inclusion dans la Constitution française d'une disposition sacralisant les services publics (voir par ailleurs), où il appelle les Français à se prévaloir de rien moins que du droit de « résistance à l'oppression » datant des principes révolutionnaires de 1789, pour s'opposer aux réformes voulues par Nicolas Sarkozy et la « majorité européenne ». D'autant plus que Renaud Denoix de Saint Marc était secrétaire du gouvernement de Pierre Bérégovoy à la même époque où Michel Vauzelle était de son côté Garde des Sceaux dans le même gouvernement ! Nous avons contacté Renaud Denoix de Saint Marc dans ce cadre, mais ce dernier a estimé être tenu, en raison de ses fonctions actuelles de membre du Conseil constitutionnel (lequel sera certainement saisi de la constitutionnalité de la future loi sur La Poste), à un total devoir de réserve. Nous nous contenterons donc d'exposer les arguments développés dans le rapport de 1996.

Le rapport commence par se livrer à un rappel historique sur la notion de service public. Le terme date d'environ un siècle, mais la question de la responsabilité exclusive de l'État est bien entendu très ancienne. Or jamais le droit français n'a exigé que les activités de service public en réseau soient exercées par des établissements publics, ni bien entendu avec du personnel à statut public. La tradition française est même contraire puisque les concessions de service public sont connues depuis l'Ancien Régime et que, par exemple, la distribution de l'eau est concédée à des opérateurs privés. De même, la SNCF ne s'est trouvée avec les activités de tous les réseaux ferroviaires regroupés que par suite d'un accident historique.

La seule exception à ce principe est l'exigence posée par le Préambule de la Constitution de 1946 concernant les monopoles ou les services nationaux par détermination de la Constitution ou de la loi (article 9) : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Ce texte a été interprété par le Conseil constitutionnel comme interdisant de confier un monopole national à une entreprise privée, mais la notion de monopole n'est pas figée et peut évoluer du seul fait du législateur – ou de la réglementation européenne – lorsque ce n'est pas la Constitution qui exige l'existence d'un monopole. Ceci n'est jamais le cas s'agissant des services en réseau.

Le rapport ajoute à cette argumentation que la liberté d'entreprendre a aussi une valeur constitutionnelle, ce qui implique que cette liberté est la règle et le monopole l'exception. Depuis longtemps, le juge administratif a posé pour règle qu'une collectivité publique ne peut exercer d'activité de service public qu'en cas de carence de l'initiative privée, et ne saurait faire une concurrence déloyale à une entreprise privée existante.

Il importe donc de ne pas faire de confusion entre les diverses significations du terme « service public », qui est couramment utilisé pour désigner à la fois une doctrine juridique ou une activité, ou encore l'organisme chargé de fournir les services, ou enfin même le statut de l'organisme en question et de son personnel.

Le terme de service public ne peut être correctement utilisé que pour désigner des missions de service public, notion essentiellement contingente et variable « selon l'état de l'économie, des institutions et des moeurs ». Ceci implique que la totalité d'un secteur d'activité ne saurait relever d'une mission de service public, mais seulement celles des activités du secteur qui, à un moment donné, doivent en relever dans la mesure où l'initiative privée n'est pas capable de satisfaire les besoins des utilisateurs ou les impératifs de la cohésion sociale. Or la réglementation européenne ne dit pas autre chose, lorsqu'elle soumet les services d'intérêt économique général aux règles de la concurrence, mais seulement « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Même si le processus intellectuel est historiquement différent, le résultat est dans les deux cas identique, à savoir que les missions de service public sont exclues des règles de concurrence.

On voit que le rapport ancre profondément le libéralisme dans la tradition juridique et constitutionnelle française.

++DECOUPE++

Encadré 5 - Les tarifs réglementés du gaz et de l'électricité

++NOCHAPEAU++

Les directives européennes du 26 juin 2003 ouvrent le marché intérieur à la concurrence dans ces deux secteurs de l'énergie. Mais dans le même temps elles laissent la plus grande latitude aux États pour déterminer les obligations de service public qu'ils imposent aux opérateurs, obligations « qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement, y compris l'efficacité énergétique et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantissent aux entreprises d'électricité de l'Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux ».

Les États ont donc toute liberté pour déterminer le contenu des services publics, mais à condition que les obligations soient « clairement définies » et « non discriminatoires ». Comme l'a décidé le Conseil constitutionnel le 30 novembre 2006, les tarifs réglementés ne répondent pas à ces conditions, dans la mesure où il s'agit d'obligations tarifaires qui ne pèsent que sur les opérateurs historiques et non à leurs concurrents et qui sont « permanentes, générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public ».

Ces obligations empêchent donc la réalisation de l'ouverture du marché à la concurrence et les tarifs réglementés sont donc illégaux car contraires aux engagements du traité européen.

[1] Renaud Denoix de Saint Marc, grand « commis de l'État » s'il en est, est un énarque conseiller d'État. Il fut notamment secrétaire général du gouvernement de cinq gouvernements, dont deux de gauche, et est actuellement membre du Conseil constitutionnel.

[2] Encore que l'introduction - en 2001 par le gouvernement de gauche de Laurent Fabius - de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), destinée à favoriser une gestion performante des administrations, fasse grincer aussi des dents (voir encadré n° 2).

[3] Pour EDF, loi du 10 février 2000 et contrat de service public du 24 octobre 2005. Pour GDF, loi du 9 août 2004 et contrat du 10 juin 2005. Pour France Telecom, loi du 31 décembre 2003 définissant le contenu du « service universel ». Pour La Poste, contrat du 28 juillet 2008 définissant ses quatre missions de service public : service de courrier universel, acheminement de la presse, accessibilité bancaire et aménagement du territoire. La distribution de l'eau fait la plupart du temps l'objet de contrats de concession passés par les communes avec des entreprises privées.