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Protection des navires de la marine marchande : un exemple de protection privée pouvant être étendue

La protection des navires de la marine marchande notamment contre la piraterie maritime (un fléau qui touche toutes les mers du globe comme le montre la carte ci-dessous) par la Marine nationale et des entreprises privées de protection des navires (EPPN) est un exemple de protection de type militaire mais délégué au privé, qui peut être étendue à d'autres domaines opérationnels. Alors que le recours à des sociétés militaires privées (SMP) a vocation à se multiplier, pour des raisons de coûts et pour décharger le ministère de la Défense de certaines missions, faisons le point sur cet exemple : 

source : TV5 monde

Dans ce cadre, les moyens de la Marine nationale sont les suivants : forces prépositionnées aux Antilles-Guyane (Mer des Caraïbes) et à La Réunion (Océan Indien), mission Corymbe dans le Golfe de Guinée1, participation à l'opération navale européenne «  Atalante »2 et depuis 2009 mise à disposition des armateurs français d'équipes (militaires) de protection embarquée (dite EPE – entre 4 à 7 personnels par navire privé battant pavillon français) constituées de volontaires venant de plusieurs spécialités (commandos marine, fusiliers marins (2/3 des effectifs), sous-mariniers, sémaphoristes...) embarqués notamment sur des navires de pêche français (thoniers-senneurs) navigant au large des Seychelles.

Cette prestation d'EPE qui a été demandée par certains armateurs français (Sapmer, Saupiquet, CFTO...) à l’État français notamment suite à l'attaque contre le voilier de luxe privé « Le Ponant » en 2008 au large de la Somalie3 concerne en moyenne annuelle 70 personnels (avec un pic de 150 personnels en 2013 - 2014) pour une mission de 4 mois pour chacun d'entre eux (soit 300 personnels projetés dans une année) et qui suivent sur la base navale de Lorient4 une formation préalable.

La mise à disposition des EPE fait l'objet de conventions passées entre l’État français et les armateurs qui fixent notamment les conditions du remboursement des dépenses, fixées par le décret n° 86-366 du 11 mars 1986 relatif à la rémunération de certains services rendus par le ministère de la Défense.

Si les résultats des EPE5 sont de qualité (au total, 93 EPE ont été déployées entre depuis 2009 et 2013 et 15 attaques ont été repoussées sans perte ni blessé), la Marine nationale n'a pu satisfaire que 2/3 des demandes en raison notamment de la déflation de ses effectifs et de sa participation à de nombreuses OPEX (Libye, Afghanistan, Moyen-Orient...). Le coût de l'opération Atalante y compris le volet des EPE (mais sans que soient présentés les remboursements par les armateurs) est le suivant :

Année

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2016

Coûts (en millions d'euros)

21

41,5

29,4

30 ,1

19,3

13,9

6,3

Sources : Sénat PLF 2015 et 2016

La baisse de ces coûts résulte non seulement de la diminution de la participation de la Marine nationale à l'opération « Atalante », mais aussi à la mise en œuvre de la loi n° 2014-742 du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires battant pavillon français qui a été suivie de plusieurs textes réglementaires interministériels6 qui sont les suivants :

  • arrêté du 28 novembre 2014, fixant les zones dans lesquelles les entreprises privées de protection des navires (EPPN) peuvent exercer leur activité : Afrique de l'ouest, Océan indien et Mer rouge ;

  • décrets n° 2014-1415, 2014-1416, 2014-1418, 2014-1419 du 28 novembre 2014, qui fixent les modalités d'exercice de ces activités privées : définition et attribution des normes de qualité opérationnelle et médicale des personnels et de leurs prestations de service, nature des navires éligibles à la protection privée (sont exclus les navires de plaisance à usage commercial et de passagers), conditions de transport et d'utilisation d'armement (riposte armée, ouverture du feu (légitime défense)), subordination au commandant du navire, absence de prérogative de puissance publique en ce qui concerne la capture des pirates et de leur embarcation...

En conclusion, les normes définies par ces textes réglementaires apparaissent pour le moins contraignantes, voire très restrictives. Cependant, cette loi permet à la France de s'aligner sur d'autres pays européens dont la position au moment de la présentation du projet de loi au Parlement en 2014 était la suivante :

Pays

Position sur la présence d'équipes militaires à bord des navires sous pavillon national

Position sur la présence d'entreprises privées armées à bord des navires sous pavillon national

Belgique

Autorisée

Autorisée

Chypre

Autorisée

Autorisée

Allemagne

Autorisée

Autorisée

Danemark

Autorisée

Autorisée

Grèce

Non autorisée

Autorisée

Espagne

Non autorisée

Autorisée

Finlande

Pas de base légale

Réflexion en cours

France

Autorisée

Non autorisée

Italie

Autorisée

Autorisée

Luxembourg

Non autorisée

Autorisée

Malte

Autorisée

Autorisée au cas par cas

Pays-Bas

Autorisée

Projet de loi en cours de rédaction

Pologne

Non autorisée

Autorisée

Suède

Non autorisée

Autorisée

Royaume-Uni

Non autorisée

Autorisée

Norvège

Réflexion en cours

Autorisée

Source: Étude d'impact annexée au projet de loi

Surtout, ces dispositions législative et réglementaires, tardives en raison des réticences relatives à un supposé développement d'une certaine forme de mercenariat7, devraient permettre le développement d'une filière française de protection et de sécurité privées sur les navires de la marine marchande française qui présente de nombreux avantages :

  • possibilité de reconversion de militaires retirés du service actif ayant appartenu aux armées (en particulier la Marine nationale) et à la gendarmerie (notamment maritime) ;

  • désengager la Marine nationale d'une mission qui ne semble pas relever d'une fonction régalienne de l’État.

Certes, il sera judicieux de faire un retour sur expériences sur la qualité des prestations de service de ces équipes de protection privée sur des navires battant pavillon français. Mais il apparaît que d'autres domaines opérationnels pourraient être délégués à des sociétés militaires privées (SMP) : entreprise militaire et de sécurité privée (EMSP) et de services de sécurité et de défense (ESSD). C'est ainsi qu'il est intéressant de prendre le cas de la protection et la sécurité des convois logistiques de l'opération française dans la bande sahélo-saharienne (Serval, puis Barkhane) qui se caractérise par des élongations importantes et des traversées de zones peu sûres, voire hostiles, effectuées par le bataillon logistique de la force. Ce dispositif continental demande le déploiement d'un volume important de militaires8 chargés de la sécurité des convois et des bases logistiques « arrière » dont le coût des rémunérations et charges sociales en OPEX est substantiel.

C'est la raison pour laquelle il y a lieu de s'interroger sur l'opportunité de faire appel à des SMP (avec des moyens appropriés) sous réserve de définir au préalable les conditions juridiques et opérationnelles de la sécurité des escortes de convois logistiques terrestres, notamment civils (dont certains sont affrétés par le ministère de la Défense auprès de grandes entreprises françaises de transport) et de protection des bases d'approvisionnement en dehors des zones de combat rapproché. Les avantages pouvant être retirés de cette manœuvre seraient :

  • de consacrer le maximum de militaires dans les missions de combat et de soutien logistique rapproché au plus prés des lignes de contact,

  • de diminuer le coût humain9 et financier (surcoût des soldes et pensions) supporté par les forces armées,

  • de faciliter une reconversion professionnelle des personnels retraités des forces armées et de sécurité (armées, gendarmerie, sécurité civile, police, douanes...) dont leur savoir-faire pourrait être ainsi capitalisé.

Conclusion

Alors que plus de 1 500 SMP anglo-saxonnes sont présentes sur le marché de la protection et la sécurité privée (estimé à plusieurs centaines de millions d'euros toutes activités confondues et notamment en OPEX), il serait judicieux de favoriser la création d'une filière française privée génératrice d'emplois et d'investissements (notamment en ce qui concerne la recherche et le développement de nouvelles technologies) dans ce domaine. En effet, il faudrait faciliter et permettre son positionnement sur ce marché mondial, jusqu'ici largement contrôlé par les entreprises anglo-saxonnes. D'après les informations communiquées par le rapport, n° 523 (2013-2014) de Mme la Sénatrice Odette HERVIAU fait au nom de la commission du développement durable et déposé le 13 mai 2014, plusieurs sociétés comme Gallice, Geos, Prorisk-ksi, Neptune-overseas, Securymind, So-global ou Simar seraient prêtes à développer une offre de prestations pour la protection des navires ou à agir en matière de formation. Alors pourquoi ne pas commencer avec la protection embarquée des armateurs français ?


1La France qui est un des principaux soutiens des États de la région dans leur lutte contre l’insécurité maritime, y opère depuis plus de 20 ans en liaison avec le projet ASECMAR qui appuie la réforme du secteur de la sûreté maritime.

2Première opération navale de l’UE lancée à l’initiative de la France et de l’Espagne en décembre 2008 pour lutter contre la piraterie au large des côtes somaliennes, EUNAVFOR Atalanta vise qui vise à sécuriser le golfe d’Aden et protéger l’acheminement maritime du soutien alimentaire (PAM et AMISOM) en liaison l’opération navale de l'OTAN «  Ocean Shield » lancée en 2009.

3L'opération « Thalathine », nom de code de cette mission de sauvetage en pleine mer, a consisté notamment à la libération des 30 otages.

4Base sur laquelle est positionnée l'état-major de la force des fusiliers marins et commandos marine.

5Aux Seychelles, une cellule de mise en œuvre (CELMO) assure la permanence opérationnelle en liaison avec les EPE et les FASZOI de La Réunion sur la zone de pêche au thon qui s'étend des îles Chagos à la côte kenyane. 

6Intérieur, Écologie, Mer et Pêche, Transports, Outre-mer.

7Confer la loi n° 2003-340 du 14 avril 2003 relative à la répression de l'activité de mercenaire. 

8Le rapport d'information de MM les députés Yves Fromion et Gwendal Rouillard sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2014 met en évidence une part très importante des effectifs déployés dans le cadre de l'opération Serval est constituée de logisticiens. Sur les 1 000 personnels environ de la base de Gao, le bataillon logistique en compte 400 alors que l’effectif de cette unité est jugé « minimal » par le commandement.

9C'est ainsi que sur 17 militaires tués en opération au Mali entre 2013 et 2016, 5 appartenaient à des régiments de logistique.