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Pont-Saint-Esprit : une commune au bord de la faillite

Faut-il réformer le contrôle budgétaire des collectivités locales ?

Dans son rapport annuel 2009, la Cour des comptes n'a pas manqué de relever un cas particulièrement significatif de mauvaise gestion d'une commune : Pont-Saint-Esprit dans le Gard défraie la chronique, puisque la chambre régionale des comptes du Languedoc-Roussillon a dû intervenir près de quinze fois entre décembre 2006 et septembre 2008.

Pour expliquer la tempête médiatique frappant cette ville de 9 523 habitants, il faut regarder le parcours politique du maire, parcours qui aurait dû le rendre expert de la gestion des finances locales : maire de la ville depuis 1971, il fut successivement sénateur du Gard (1981-1992), député (1994-1997) et enfin président du conseil général (1979-1993). Nous sommes donc en présence d'un véritable cas de « despotisme » municipal.

Le pire dans cette affaire, c'est que le déséquilibre des comptes de la commune apparaît relativement précocement ; le préfet du Gard saisit la chambre régionale des comptes une première fois le 7 décembre 2006, à propos du budget primitif de 2006.

S'ensuivront des saisines quasi-systématiques pour les décisions modificatives des budgets 2006, 2007 et 2008, ainsi que des comptes administratifs (après la clôture des exercices) 2006 et 2007.

À la clé, un déficit attendu pour 2008 de 10,5 millions d'euros, et des impayés (constatés en mai 2008) contractés entre 2005 et 2008 de 9,1 millions d'euros. Cette situation est due notamment à la prédilection du maire pour l'augmentation des charges de personnels, et sa grande habileté à les faire « passer » comptablement de la section de fonctionnement à la section d'investissement. C'est-à-dire à les faire supporter par l'emprunt, alors même que la règle d'équilibre des finances locales implique le vote de la section de fonctionnement en équilibre et prohibe tout recours à l'endettement pour soutenir les dépenses de personnel.

Une prédilection pour les dépenses de personnel

À Pont-Saint-Esprit, l'emploi public représente 431 agents pour une commune de moins de 10 000 habitants, soit 40,3 ‰, alors que la moyenne régionale est deux fois inférieure 20,3 ‰. Cette politique a été initiée alors même que le potentiel fiscal de la commune était inférieur de 34 % à celui des communes voisines de dimensions comparables.

En effet, 55 % des foyers fiscaux n'étaient pas imposables sur le revenu en 2005. Une véritable fuite en avant par l'emploi public.

Un recours massif à la technique des travaux en régie

Afin de soutenir le poids excessif des dépenses de personnel, le maire a multiplié les travaux en régie qui permettent la réalisation de travaux d'investissement par l'intermédiaire du personnel municipal. Cette approche a plusieurs vertus comptables : les dépenses de ces opérations d'investissement réalisées par les services municipaux ne constituent pas des charges courantes ; la procédure consiste à transférer des dépenses de fonctionnement (personnel et fournitures) devenues des produits de fonctionnement aux postes de la section d'investissement [1].

Elles doivent donc être déduites des dépenses de fonctionnement à hauteur de la valeur des travaux réalisés. Ce recours aux travaux en régie permet d'améliorer la capacité d'autofinancement brut de la commune, ce qui lui permet d'améliorer artificiellement sa situation financière et de faciliter son recours au crédit auprès des établissements financiers afin de poursuivre ses opérations d'investissement. Donc in fine d'arriver à faire financer du personnel par de l'emprunt.

Il ne restait plus qu'à gonfler outrageusement les charges de personnel pour des travaux en régie représentant, suivant les années, entre 52 et 84 % des dépenses d'investissement [2] ! Une technique qui va acculer la commune à la faillite. Le rétablissement administratif des comptes par le préfet et l'inscription d'office des dépenses obligatoires vont se révéler insuffisants pour payer les créanciers de la commune. L'endettement municipal est d'environ 24 millions € alors que les recettes de fonctionnement ne représentent que 15 millions d'€/an. Il va s'ensuivre nécessairement une hausse drastique des impôts locaux, qui seront mis à la charge, en partie, du contribuable national appelé à la rescousse puisque cette hausse sera plafonnée pour les revenus modestes et limitée de toute façon au potentiel fiscal de la commune. Le plan de redressement ne pourra vraisemblablement être engagé qu'en 2015, ce qui laisse imaginer la date de retour à l'équilibre des finances locales (2025 ?).

Réformer le contrôle budgétaire local !

Le temps du contrôle budgétaire n'est pas le même que celui des dépenses communales. Les comptes sont souvent présentés six mois après que les dépenses soient régulièrement engagées. De plus, le préfet choisit généralement la conciliation plutôt que d'user de ses prérogatives de substitution en cas de dérapage des comptes, par volonté de ménager le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Que reste-t-il au citoyen local, généralement payeur en dernier ressort ? À l'heure actuelle pas grand-chose : il ne peut saisir lui-même la chambre régionale des comptes que lorsqu'une dépense obligatoire n'a pas été inscrite au budget. Tous les autres cas de saisine relèvent directement de la compétence du préfet. Il peut néanmoins réagir en introduisant un recours auprès du juge administratif. Il ne pourra cependant y avoir recours qu'après la clôture du délai de 30 jours durant lequel le préfet peut saisir la chambre et pendant un délai de 2 mois. Il apparaît donc nécessaire de demander l'ouverture d'une saisine générale de la chambre régionale des comptes par les administrés eux-mêmes. Enfin, rappelons que l'on peut poursuivre un préfet pour son inaction en recherchant la responsabilité de l'État, mais il faudra qu'en tout état de cause, la faute lourde soit caractérisée (CE, 18 novembre 2005, Sté fermière de Campoloro et autres.)

Pour le moment les voies de recours juridiques sont très étroites, en attendant l'éventuelle sanction politique.

La Cour des comptes a répondu à cet article de l'iFRAP (cliquer sur le lien pour lire la réponse).

[1] Les dépenses sont constatées dans les charges de la section fonctionnement (comptes 60 et 64), puis dans l'actif, en mouvementant les comptes 21 en débit et 79 en crédit. Le compte 79 permet de constater un transfert de charge en direction de la section d'investissement comme une dépense, et le tour est joué !

[2] Voir pour une affaire similaire, chambre régionale des comptes d'Auvergne, Rapport d'observations définitives, 28 mars 2008, Commune de Saint-Flour, département du Cantal, p.7 : « La comptabilisation des travaux en régie par la commune de Saint-Flour présente deux anomalies : d'une part, les coûts des matériels et fournitures (…) ne semblent pas tous revêtir le caractère de dépenses d'investissement (…) ; d'autre part, les heures effectuées par le personnel technique de la ville ne sont pas comptabilisées. »