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Mayotte : les vrais enjeux de la départementalisation

En vertu de la crise profonde que subissent les DOM-TOM, les pouvoirs publics « négocient » une amélioration des conditions de vie dans les Antilles et à la Réunion, coûteuse pour le budget de l'Etat (sous la forme d'une rallonge de 580 millions d'euros pour 2009) alors même qu'un nouveau territoire d'Outre-mer se présente à la porte de la départementalisation, Mayotte, le 29 mars 2009. Heureusement pour le contribuable national, l'entrée en vigueur du statut de DOM ne devrait avoir lieu qu'en 2012.

Mayotte est une île de l'océan indien appartenant à l'archipel des Comores qui a la particularité d'être territoire français depuis 1841. Or, contrairement à la vague de décolonisation qui a secoué l'archipel dans les années 70, Mayotte a toujours voulu rester rattachée à la France. Tandis que les autres îles de l'archipel accédaient à l'indépendance, les mahorais ont affirmé à 63,8% leur attachement à rester français lors du référendum d'autodétermination du 22 décembre 1974. Ils ont réaffirmé ce choix à 72,9% le 2 juillet 2000 au cours d'un référendum par lequel ils ont choisi de devenir une « collectivité départementale » sui generis.

Le référendum du 29 mars prochain devrait permettre la transformation de cette COM (collectivité d'outre-mer) en DOM (département d'outre-mer). Cette « départementalisation » de Mayotte va intervenir dans un contexte pour le moins tendu des finances publiques nationales et aura un coût très important. La situation géopolitique de l'île est délicate et les rattrapages à faire en termes de niveau de vie, d'infrastructures et de dynamisme économique sont colossaux. Les perspectives de dépenses budgétaires sont, quant à elles, abyssales.

Mayotte, une situation économique difficile

Mayotte présente une population officielle de 186 452 habitants, à laquelle il faut rajouter selon des estimations 2007, une population clandestine de l'ordre de 52 à 55 000 personnes. Par ailleurs, les transferts de l'Etat en direction de l'île sont particulièrement importants puisqu'ils culminent à près de 635 millions d'€ en 2009. Une enveloppe coquette qui s'explique par l'importance des « rattrapages » à opérer par rapport aux autres DOM dans la perspective de l'accession progressive à ce statut à partir du 1er janvier 2012.

Or, les fondamentaux économiques de l'île laissent à penser que l'entreprise ne sera pas facile et que la date de 2012 est sans aucun doute beaucoup trop optimiste :

Le revenu moyen par habitant en 2005 était de 9.337 € contre 13.665 € à la Réunion, tandis que le revenu minimum le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) s'élevait au 1er janvier 2008 à 63% du SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) métropolitain (soit 928 €/mois contre 1 300 € à la Réunion). La balance commerciale de l'île est très déficitaire avec l'extérieur puisque le taux de couverture de ses importations avec ses exportations n'était que de 1,9% (274 millions d'€ d'imports pour seulement 5 millions d'exports) en 2005. Le chômage est important, de l'ordre de 25,6% au second semestre 2008. Ce taux est plus important que partout ailleurs dans les DOM.

A ce constat dégradé doit s'ajouter le maigre nombre des entreprises locales : sur 7 000 entreprises immatriculées en 2005, elles sont à 92% unipersonnelles. Les autres entreprises emploient seulement 23 644 salariés déclarés et 10 000 clandestins (évaluations).

Mayotte entre stress démographique et surcoûts des politiques publiques

La population de Mayotte a été multipliée par 2 en 16 ans, tandis que le flux d'illégaux s'établit à une moyenne de 16 000/an. Dans ces conditions, il existe un stress particulier au sein des budgets publics, d'une part afin de combler les difficultés occasionnées par une croissance démographique importante de 3,1% sur 6 ans, d'autre part afin d'absorber ceux occasionnés par les migrants qui arrivent de façon continue sur l'île.

L'intervention de l'Etat se manifeste d'abord au niveau global par une augmentation significative des crédits publics en direction de l'île de près de 36% pour une enveloppe globale de 635 millions d'€ en 2008.

Certaines de ces dotations d'Etat suivent cependant des trajectoires très différentiées : si l'on peut comprendre que stagnent les crédits dévolus à la réfection de l'état civil à 300 000 €, il est en revanche difficile de comprendre pourquoi les crédits dévolus à la création du cadastre, base de notre système fiscal, se retrouvent divisés par trois en 2009 passant de 450 000 € à 150 000 €. La « productivité » fiscale du territoire n'en sera que plus retardée.

- Education. La dotation spéciale de construction et d'équipement scolaire introduite en 2003 pour contrebalancer l'absence d'une fiscalité locale suffisante a encore augmenté de 3,8% (puisque indexée sur le nombre d'enfants scolarisés) pour culminer en 2009 à 4 582 504 €. Dans le même temps, le budget de l'Education nationale croissait de 90% en 5 ans, passant de 117 millions d'€ à 222 millions en 2007. Les enfants de parents clandestins représentent 22,5% des élèves scolarisés à Mayotte soit environ 15 800 élèves.

- Protection des frontières. Les 20 fonctionnaires jugés nécessaires pour sécuriser une île de cette dimension ont été portés à 140 membres de la PAF (police aux frontières), soit un surcoût de 2,3 millions d'€ (frais de personnels et matériel), auquel il faut adjoindre celui des effectifs supplémentaires de gendarmerie qui s'élèvent à 941 000 € comprenant également les frais de reconduite à la frontière (76 000 €) par l'intermédiaire d'un prestataire privé maritime [1].

- Prestations sociales. Mayotte étant toujours une COM (collectivité d'outre-mer), certaines prestations sociales existantes dans les DOM n'y sont pas encore applicables. Ainsi, par exemple, l'AME (aide médicale d'Etat) ou la CMU (couverture maladie universelle).
Il s'en suit qu'il existe encore une certaine limitation des dépenses en matière de financement du système de santé mahorais. Cependant, en matière de dépenses liées à l'activité du CHM (centre hospitalier de Mayotte) on constate des dérapages.
Il n'existe pas par exemple de tarification à l'activité permettant de retracer finement les dépenses. L'Assurance maladie versant sa dotation à la structure hospitalière sans relation avec la facturation. On constate qu'en matière d'accouchement, en 2007, 56,2% d'entre eux étaient réalisés pour des femmes non assurées sociales. L'ensemble des soins et consultations fournis aux non affiliés sociaux aboutissant à un surcoût de 30 millions d'€ pour l'hôpital, dont 16 millions sont parfaitement attribuables aux populations clandestines.

Evaluation du coût de l'immigration clandestine à Mayotte
Politiques publiquesRépression de l'immigration clandestine (PAF+gendarmerie)Education nationaleSystème de SantéTotal
coût (2007) en millions (€) 3,241 32,4 30 65,64

Peu à peu avec la départementalisation, la population de Mayotte bénéficiera des mêmes prestations sociales que les autres Départements d'Outre-Mer : CMU, AME, RMI, PAJE… Dans ces conditions, il semble difficile, même en étalant l'application de la réglementation des DOM à Mayotte à partir de 2012, de conjurer un phénomène irrésistible d' « appel d'air » en direction des très pauvres îles comoriennes voisines. Le contrat de projet du 28 mars 2008 entre l'Etat et Mayotte prévoit un soutien au développement économique supplémentaire de 550 millions d'€ de 2008 à 2014 financé à hauteur de 337 millions d'€ par l'Etat et 182 millions par la collectivité départementale de Mayotte. Il semble que ce chiffre soit fortement minoré par rapport au volume des transferts qui devront être réalisés à partir de 2012 en direction de l'île.. Selon nos estimations, la France devrait en réalité augmenter ses transferts de l'ordre de 100% (passant ainsi de 635 millions à environ 1,2 milliard €) si elle souhaite égaler le budget de l'Etat accordé à la Guyane (221 000 hab) soit 1,094 milliard d'€.

Une aggravation des transferts vers Mayotte qui sera certainement aussi renforcée par la négociation des récents conflits antillais. En effet, les DOM vont recevoir, dès que la loi pour le développement économique de l'outre-mer (LODEOM) sera votée, une enveloppe de 280 millions d'€ pour la mise en place du RSTA (le revenu supplémentaire temporaire d'activité) dans l'attente de leur élection au RSA (revenu de solidarité active) à compter de 2010. Des avantages sociaux dont devra bénéficier Mayotte devenue DOM à compter de 2012 tôt ou tard.

[1] Le rapport de Henri Torre du 10 juillet 2008 sur l'immigration clandestine à Mayotte précise d'ailleurs « Selon les informations recueillies sur place par votre rapporteur spécial, seuls 30 passagers par jour utilisent par ailleurs les services du Maria Galanta (outre les 80 clandestins reconduits) et il est probable que la compagnie qui exploite ce bateau ferait faillite si l'Etat cessait de l'utiliser pour les reconduites à la frontière. »