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L'instruction élémentaire de conduite des véhicules au profit des militaires

Dans la continuité des nos fiches sur la rationalisation de notre armée et du ministère de la Défense (MINDEF), nous nous pencherons cette fois sur l'instruction élémentaire de conduite des véhicules au profit des militaires qui est, encore, un exemple d'économie budgétaire potentielle en cas d'externalisation.

Le ministère de la Défense (MINDEF) détient un parc important de plusieurs milliers de véhicules1 qui sont les suivants :

  • administratifs2 de la gamme commerciale non utilisés à des fins tactiques3 : véhicules automobiles de la gamme commerciale d'un poids total autorisé en charge (PTAC) inférieur à 3,5 tonnes et les véhicules deux-roues à moteur (motocyclettes, cyclomoteurs) ;
  • spécifiques des armées : engins blindés ou non, à chenilles et à roues, amphibies ou non4 ;
  • non spécifiques de la gamme tactique : véhicules à roues légers, lourds, super-lourds5 ;
  • transport en commun : autocars qui sont des véhicules dans lesquels les passagers sont obligatoirement assis (liaisons interurbaines) et autobus qui sont les véhicules dans lesquels la station debout est autorisée ;
  • spécialisés à usage professionnel particulier : véhicules auto-école, véhicules de transport de marchandises, ambulances, véhicules de lutte contre l'incendie, véhicules de transport des animaux, engins de manutention6...

La conduite de ces véhicules suppose pour les personnels militaires7 qu'ils détiennet les qualifications suivantes :

Type de véhicules

Permis de conduire civil

Brevet militaire de conduite (BMC)

Qualification militaire particuliére

administratifs

Oui

Oui, si pas de permis de conduire civil 

Sans objet

spécifiques

Sans objet

Oui

Nécessaire

non spécifiques

Oui

Oui, pour école de rame de jour ou de nuit, conduite tactique, franchissement amphibie et transport de militaires

Sans objet

transport en commun

Oui

Oui, si pas de permis de conduire civil 

Sans objet

spécialisés

Oui

Oui, si pas de permis de conduire civil 

Nécessaire

La délivrance du BMC (environ 15.000 stagiaires par an) est subordonnée à la réussite d'un processus de formation de conduite et de pilotage qui est le suivant :

  • l'instruction élémentaire de la conduite (IEC) qui se base sur la formation donnée dans le secteur civil8, et a pour objectif de faire acquérir aux personnels militaires le Code de la route, la maîtrise de la conduite9 et de la mise en œuvre des véhicules à roues conformes aux exigences techniques prévues pour l'apprentissage de la conduite ainsi que le respect des règles de prévention et de sécurité routières, notamment du Code la route et du décret interministériel n° 2000-1335 du 26 décembre 2000 relatif à l'enseignement de la conduite des véhicules terrestres à moteur et de la sécurité routière ;
  • l'instruction complémentaire de conduite (ICC) qui a pour objectif de familiariser l'élève conducteur avec un type de véhicule à roues donné (VL, PL, …) dans les conditions de circulation civile et militaire, de jour comme de nuit, parfaire sa connaissance des guides techniques d'entretien du 1er échelon et de mise en œuvre propre à chaque véhicule et au respect des règles de sécurité ;
  • l'instruction élémentaire de pilotage (IEP) des véhicules spécifiques qui a pour but de former des pilotes capables d’effectuer des opérations de mise en route et d'arrêt de leur engin, de maîtriser la conduite et la mise en œuvre, de jour, sur route et/ou sur piste, dans le respect des règles d’utilisation du matériel, de réaliser les différentes opérations d'entretien du 1er échelon et de respecter les règles de sécurité ;
  • l'instruction complémentaire de pilotage (ICP) des véhicules spécifiques qui a pour but de faire acquérir la pratique du pilotage en toutes circonstances, approfondir les connaissances techniques et rendre les pilotes aptes à exécuter les actes élémentaires tactiques à l'échelon de l'équipage tout en respectant les règles de sécurité ;
  • l'instruction des conducteurs des engins spéciaux et des matériels de travaux publics qui a pour but de faire acquérir, outre l'instruction du Code du travail et de la route pour ce type d'engins, l'aptitude à leur conduite.

La formation de l'IEC des militaires appartenant aux 3 armées10 est assurée par 5 escadrons d'instruction élémentaire de conduite (EIEC)11 rattachés aux Ecoles militaires de Bourges (EMB - arme du train) de l'armée de terre qui sont implantées dans les sites présentés dans la carte ci-dessous12 :

Formations de l'Arme du train de l'armée de terre.

En outre, les EIEC du MINDEF assurent la formation initiale et continue des futurs moniteurs civils et militaires13 aux techniques d'instruction et d'enseignement de la conduite, sur la base du BEPECASER (Brevet pour l'exercice de la profession d'enseignant de la conduite automobile et de la sécurité routière) qui est le diplôme d'État délivré par les préfets, indispensable à tout enseignant de la conduite pour former les conducteurs des véhicules légers de la catégorie B, et auquel peuvent être ajoutées les mentions spécifiques pour l’enseignement de la conduite des véhicules à deux-roues et de transport de marchandises et en commun de personnes.

Les autres formations sont assurées par les unités de rattachement des militaires, les formations équipées de véhicules spécifiques (tels les régiments du génie), les centres spécialisés comme le 1er régiment de chasseurs d'Afrique de Canjuers (blindés à chenilles et à roue) et enfin, le groupement d'aguerrissement en montagne (GAM) de Modane (véhicules à haute mobilité à chenilles) :

VHM de type BvS10 Mark 2 (société suédoise Hagglünds AB, filiale de BAE Systems).

La délivrance du BMC sur lequel sont mentionnées les catégories de véhicules pouvant être conduits (A, B, C, D et E – conformément à l'article R. 221-4 du code de la route,) ainsi que la nature des engins spécifiques des armées, est subordonnée :

  • à l'attestation de conduite14 accordée par une commission d'examen composée d'un officier (président), d'un sous-officier supérieur et d'un moniteur de conduite militaire spécialisé dans l'IEC ou un agent du MINDEF titulaire du BEPECASER ;
  • à la réussite aux examens de l'ICC.
Les moyens, mis en œuvre sont importants compte tenu du volume de kms parcourus par an dans chaque EIEC (environ 700.000), sont les suivants :

Les effectifs œuvrant dans chaque EIEC sont d'environ 60-80 personnels chacun avec 80% de militaires qui représentent 75% des moniteurs d'auto-écoles, soit un total d'environ 400 personnels.

Outre les équipements pédagogiques (informatiques et audio-visuels), le parc total des véhicules de la gamme commerciale (à double commande, sauf pour les motos) représente environ 200 véhicules légers, 150 véhicules poids lourds, 60 véhicules super lourds et 40 autocars, auxquels s'ajoutent plusieurs dizaines de motos. 

Les infrastructures mises à la disposition des EIEC sont les suivantes :

  • bâtiments d'instruction : par EIEC, entre 5 et 10 salles d'instruction de moyenne importance (environ 10 et 20 places), 1 à 3 salles d'instruction de plus grande importance (environ 30 et 40 places) ;
  • bâtiments de restauration, d'hébergement et de loisirs : par EIEC entre 150 et 250 places ;
  • zones de conduite : pistes et plateaux de conduite et de maniabilité avec plusieurs couloirs (VL, PL, SPL, transport en commun et motos) avec différents aménagements (ronds-points, démarrage en côte, signalisations routières, feux tricolores...).

À titre d'exemple, le transfert du 1er EIEC, rattaché initialement au 517ème Régiment du train (basé à Châteauroux et dissout en juin 2012) vers Castelsarrasin (quartier Arseguet15) a nécessité d'importants travaux réalisés entre fin 2011 et début 2013 : construction d'un bâtiment d'hébergement (200 places), de restauration (250 places) et d'instruction, de pistes de conduite, de parkings et d'une station d'épuration. Le coût total de l'installation de cet EIEC a été d'environ 11 millions € dont celui des travaux se répartit comme suit : bâtiment restauration/logement stagiaires = 7,2 millions d'euros, bâtiment instruction = 315.000 euros, aménagement de zone d'espaces verts et de pistes = 2,2 millions d'euros.

Le soutien de ces 5 EIEC, dont le poste de dépense le plus important est celui des installations de conduite16 est assuré, que ce soit en régie ou par voie d'externalisation dans le secteur privé, par différents acteurs du MINDEF en liaison avec les GSBdD et les EMB :

  • structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMTer) : achat et entretien des véhicules ;
  • service des essences des armées (SEA) : carburant ravitaillé soit en régie, soit par voie d'externalisation ;
  • service d'infrastructures de la Défense (SID) : réalisation de bâtiments, pistes d'entraînement à la conduite et plateaux techniques de maniabilité ;
  • service du commissariat des armées (SCA) : équipement et entretien courant des sites de vie et des personnels (alimentation-restauration, mobiliers de bureau, hébergement, habillement spécifique de conduite...) ;
  • service de santé des armées (SSA) : soutien médical des instructeurs, des stagiaires et des vétérinaires des organismes de restauration et d'hébergement ;
  • direction interarmées des réseaux d'infrastructures et des systèmes d'information de la Défense : achat et entretien de matériels informatique et bureautique, notamment pour supporter le logiciel ESPOIR permettant l’enseignement du code de la route et le suivi pédagogique pratique de chaque stagiaire ;
  • direction des ressources humaines de l'armée de terre (DRH-AT) : gestion administrative RH des personnels militaires chargés de la formation, de soutien et en période de formation ;
  • direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) : gestion administrative RH des personnels civils chargés de la formation et de soutien.

Conclusion

Au moment où a été décidé d'annuler la suppression d'effectifs (7.500 postes) du MINDEF prévue dans le cadre de la LPM 2014-2019 suite aux attentats de janvier 2015, il y a lieu d'effectuer une revue détaillée et précise des postes budgétaires de personnels ne concourant pas directement à l'efficience de la capacité opérationnelle des forces armées17, en vue de dégager des ressources humaines notamment militaires qui devraient être dédiées à l'armement des unités destinées à être projetées en OPEX. Ainsi, compte tenu que l'IEC et la formation aux techniques d'instruction et d'enseignement de la conduite des futurs moniteurs civils et militaires assurées par les 5 EIEC se basent sur une formation définie au niveau national dans un cadre interministériel, il apparaît opportun de la déléguer et de confier son soutien, dans le cadre d'un contrat de partenariat public-privé (PPP), au secteur marchand en créant un centre unique localisé sur un site militaire ayant les capacités d'infrastructures adéquates (notamment les camps militaires comme celui de Canjuers) pouvant accueillir non seulement les stagiaires des armées, mais aussi ceux de la gendarmerie et de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) qui disposent respectivement de leur propre organisme d'IEC à Châteaulin (29) et à Bailly (78). À titre de comparaison, le volume total du personnel des 5 EIEC (soit environ 400 personnels) représente peu ou prou soit 3 équipages d'une frégate de type FREMM, soit 2 équipages de bateaux BPC Mistral, soit le double de l'effectif du Commando parachutiste n° 10 de l'armée de l'air (forces spéciales), soit 3 fois l'effectif d'une compagnie parachutiste.

En outre, la formation des moniteurs militaires des 5 EIEC a un coût non négligeable : une durée de 12 mois répartis comme suit :

  • 8 mois de formation initiale à l’École nationale des sous-officiers d’active (ENSOA) à Saint-Maixent pour acquérir les bases du métier de soldat et de chef de groupe ;
  • puis 2 mois en école de spécialité correspondant au domaine « mouvement-ravitaillement » et à la filière de recrutement ;
  • enfin 2 mois de formation dans un EIEC.

En vue de réduire les coûts de fonctionnement et d'investissement de ce centre unique d'IEC, il pourrait être aussi ouvert aux familles des militaires, voire à des tiers n'ayant aucun lien avec le MINDEF dans le cadre d'un contrat de PPP du même modèle que celui signé en 2012 pour le Centre national des sports de la Défense (CNSD) de Fontainebleau. Sous réserve de conserver une qualité de prestation au moins égale à celle qui prévaut actuellement, cette externalisation présenterait l'avantage de réduire les charges administratives importantes et chronophages de soutien relatives à la passation par plusieurs acteurs18 de nombre de marchés publics dans différents domaines (infrastructures, matériels, fonctionnement...).


1Confer l'instruction n° 2000/DEF/EMA/SC- SOUTIEN/BPSO relative aux règles d'emploi et de circulation des véhicules au sein du ministère de la Défense.

2Véhicules attribués individuellement (autorités civiles et militaires identifiées par le MINDEF) et de liaison gérés de façon mutualisée par le service parisien de soutien de l'administration centrale (SPAC) et les groupes de soutien des bases de Défense (GSBdD).

3Ils peuvent cependant être utilisés pour transporter des personnels en armes avec munitions, armes ou matériels dangereux mais uniquement pour des activités de liaison et conformément à la réglementation en vigueur.

4Chars canons (Leclerc, AMX 10 RC, Sagaie...), transport de troupes (VAB,VBCI...), reconnaissance (VBL, PVP...), artillerie (AUF1) et génie (EBG), engins du génie (EBG, MADEZ, MATS, SPRAT, SOUVIM...), lance roquette multiple (LRM)...

5Transport de troupe et/ou de matériel (VLRA, GBC180...), véhicules blindés légers ou non (Peugeot P4...), engins lourds et super lourds (PEB, EPB...)...

6Chariots automoteurs de manutention, grues mobiles et auxiliaires de chargement, plateformes élévatrices, engins de chantier relevant des Codes de la route et du Travail...

7Pour les personnels civils, il suffit du permis de conduire civil sauf pour des agents de la DGA et des sites de maintenance des armées en ce qui concerne les véhicules spécifiques.

8Elle a notamment une durée équivalente à celle prodiguée dans le secteur civil

9Entre 22 et 24 heures de conduite.

10Environ 14.000 stagiaires par an.

11Cette étude ne concerne pas le centre d'instruction élémentaire de conduite du 4éme Régiment étranger de la Légion étrangère (Castelnaudary) compte tenu de la spécificité de la formation des légionnaires au regard de la nature de leur recrutement.

12Camps militaires de Mourmelon-le-Grand (51), Sissonne (02), Montlhéry (91), La Valbonne (01), Castelsarrasin (82).

13Et aussi des aide-moniteurs.

14Arrêté du 22 avril 2008 fixant les conditions requises pour la conduite des véhicules relevant du parc du ministère de la Défense et définissant les règles de délivrance, de suspension et de retrait du brevet militaire de conduite

15Base du 31éme régiment du génie.

16Pistes et plateaux de maniabilité.

17Comme dans les domaines du soutien courant (alimentation-restauration, habillement non opérationnel...) développés dans les articles précédents de l'IFRAP.

18Représentants du pouvoir adjudicateur (RPA) en charge de la passation des marchés publics, ordonnateurs secondaires publics en charge du paiement des prestations relatives à ces marchés, responsables administratifs de la formation ayant bénéficié de ces prestations validant la réception quantitative et qualitative qui est un préalable à leur liquidation par les ordonnateurs.