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La retraite chapeau des contrôleurs aériens

Les pouvoirs publics sont pieds et poings liés face à la capacité de nuisance de certains intérêts corporatistes. Et dans ces conditions, la loi du "deux poids, deux mesures" s'applique parfaitement. Alors que le ministre des Finances, Emmanuel Macron, a relancé la question de la suppression des retraites chapeau des cadres supérieurs et des mandataires sociaux dans les grandes entreprises, un mouvement inverse s'opère vis-à-vis des contrôleurs aériens. La cause ? La réforme « Fillon » des retraites de 2003 instaure une nouvelle augmentation de la durée de cotisation pour les assurés nés à partir de 1955. L'amendement gouvernemental n°835 rectifié [1] introduit en première séance le 12 novembre 2014 [2]. En clair, l'amendement instaure dans le cadre du PLF 2015, une nouvelle prime, le complément individuel temporaire (CIT) au profit des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) qui s'apparente ni plus ni moins à une attribution de trimestres gratuits.

L'amendement 835 rectifié :

Après l'article 62

Amendement n° 835 rectifié présenté par le Gouvernement.

Après l'article 62, insérer l'article suivant :

L'article 6-1 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est complété par un II ainsi rédigé : « II. – Les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, radiés des cadres par limite d'âge ou pour invalidité à compter du 1er janvier 2012, lorsqu'ils n'ont pas pu acquérir la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de liquidation de la pension civile et militaire tel que défini à l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, sont susceptibles de bénéficier d'un complément individuel temporaire pendant la même durée que celle fixée pour l'allocation temporaire complémentaire définie au premier alinéa du I. Le versement de ce complément individuel temporaire se cumule avec celui de l'allocation temporaire complémentaire.

« Les dispositions du deuxième alinéa du I s'appliquent au complément individuel temporaire.

« Le montant et les modalités d'attribution du complément individuel temporaire sont définis par décret. »

Un dispositif promis par la DGAC afin de « fluidifier le dialogue social » :

Il s'agit en pratique d'un dispositif taillé sur mesure pour 40 fonctionnaires environ par an. Cette extrême individualisation du dispositif montre au passage à l'observateur attentif comment se sont stratifiés au fil de l'eau les 1.850 dispositifs indemnitaires actuellement en vigueur dans la fonction publique d'État.

Il s'agissait par ailleurs d'une promesse actée par la DGAC dès 2012 [3]. Une mesure qui dès lors pourrait être rétroactive… En effet, 4,7 millions d'euros ayant été provisionnés pour le dispositif dans le PLF 2015, alors que le coût de la mesure pour une cohorte d'agents partant à la retraite parmi les 4.300 aiguilleurs du ciel en poste coûterait, d'après Bercy, environ 140.000 euros.

Un dispositif qui sera cependant plafonné à 16 trimestres :

Le CIT sera cependant plafonné à 16 trimestres (soit 4 annuités), comme l'évoque l'exposé des motifs. Dans la mesure où la loi du 20 janvier 2014 instaure une nouvelle augmentation de la durée de cotisation à compter des assurés nés entre 1958 à 1973 avec une montée en puissance de 166 à 172 semestres, le CIT ne permettra en l'état actuel que de rattraper le différentiel par rapport aux 166 trimestres sus-évoqués dans le cadre de la Réforme Fillon. En conséquence, le dispositif ne sera effectif que pour les contrôleurs entrés en poste entre 1955 et 1958. Il n'empêchera pas ceux rentrés plus tard en service, de subir à nouveau une décote sur leurs pensions dans la mesure où le CIT « n'a[…] pas vocation à compenser les effets des réformes induisant une durée de cotisation requise supérieure à 166 trimestres ». La réforme apparaît donc paramétrique, et n'engage pas l'avenir, qui verra automatiquement de nouvelles revendications se manifester afin d'obtenir vraisemblablement une extension du dispositif.

Un dispositif qui s'additionne aux indemnisations existantes :

Le CIT n'interviendra cependant pas comme un complément unique. Il viendra se cumuler avec l'ATC (allocation temporaire complémentaire) qui avait été créée en 1998, permettant déjà d'apporter un complément de revenu pendant 13 ans, aux fonctionnaires ICNA radiés des cadres pour limite d'âge, ou sur leur demande à compter de l'ouverture de leurs droits à pension et pouvant justifier d'une durée minimale de service qui à partir de 2007 est estimée à 15 ans [4].

Cette première prime étant calculée de façon dégressive sur 118% de l'indemnité spéciale de qualification] (ISQ) pendant les 8 premières années, puis 64% de cette même indemnité pour les 5 années suivantes.

On relèvera en outre que l'ATC est cumulable avec certaines rémunérations d'activité dérogatoires, malgré la cessation d'activité et l'ouverture des droits à pension prévues au I de l'article L. 86 du code des pensions civiles et militaires de retraite (notamment : activités exercées par des artistes, mannequins, auteurs d'œuvres littéraires, musicales, photographiques, chorégraphiques, etc., ou une participation aux activités juridictionnelles ou à des instances consultatives ou délibératives).

Conclusion :

Si l'ATC permettait d'offrir un complément de rémunération au retraité sur la base d'une prime d'activité, le CIT devrait quant à lui compenser les différentiels de traitement en cas de carrières incomplètes sans pour autant régler les inévitables revendications futures puisqu'il est plafonné à 16 mois. Il aurait toutefois été possible d'envisager le remplacement pur et simple du premier dispositif par le second, et ainsi mettre un terme à un empilement de mesures en augmentation croissante.

D'ailleurs, comme le relevait en 2010 la Cour des comptes, dans une insertion de son rapport annuel « la gestion du personnel de la navigation aérienne », la stratification « opaque » des primes, d'activité comme d'inactivité, s'inscrit pour ce corps dans une stratégie de rattrapage des rémunérations par rapport aux grands corps de l'État dont les contrôleurs ne font pas, bien évidemment, partie. On relèvera que les ICNA après 10 ans de carrière sont en tête devant les ingénieurs des Ponts, et après 20 ans quasiment alignés au moyen des primes mensuelles.

Non, décidément, les retraites chapeaux ne sont pas l'apanage du privé… mais les capacités de nuisance pour les pouvoirs publics ne sont pas comparables. À ce jeu le pot de fer n'est donc pas toujours celui que l'on croit.

[1] Nous ne disposons pas de l'amendement intégral avec justification des motifs, puisque les amendements déposés en seconde partie de loi de Finances, ne sont pas encore publiés. Il est possible cependant d'avoir une lecture du texte (hors justification des motifs) dans les cahiers annexés au PV de séance

[2] Voir [compte rendu des débats], vise à éviter que les contrôleurs dont la limite d'âge emportant radiation du corps est impérative à 57 ans, sans possibilité de report, puisse éviter une décote sur leur pension d'inactivité, dans la mesure où la plupart ne disposent pas en sortie de carrière des 166 trimestres (41,5 annuités) requises[[Dans le cadre de la loi Woerth, issue de la réforme Fillon de 2003, qui prévoit une progression linéaire des bornes des âges limites de cessation d'activité, ce qui correspond à un allongement du nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d'une pension à taux plein (sans abattement).

[3] http://www.sncta.fr/?wpfb_dl=317

[4] Voir instruction du 13 octobre 2011, relative à l'attribution de l'allocation temporaire complémentaire, remplaçant l'instruction DGAC/SRH/D n°98-163 du 14 décembre 1998