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François Hollande, l'optimiste pour qui, ou contre qui, le temps parlera

« Vous avez dû premièrement

Garder votre gouvernement ;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire

Que votre premier roi fût débonnaire et doux

De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire. »

Les Grenouilles qui demandent un roi, Jean de La Fontaine.

Fascinante émission de Franz Olivier Gisbert lundi soir sur France3 sur François Hollande, où les camarades (y a-t-il un autre terme ?) de toujours et jamais, dont certains ministres actuels (sauf Laurent Fabius), s'exprimaient avec une liberté et une franchise à couper le souffle sur quelqu'un qui est le chef de l'État, leur patron. Un portrait contrasté mais en nuances d'un homme volontiers brocardé, voire ridiculisé, dont il nous est quand même demandé à la fin de se méfier, car « ces gens-là ne meurent jamais ».

Les interventions dans l'émission du vieux camarade Jean-Luc Mélenchon, d'une totale sincérité dans la stupéfaction que lui inspire l'homme, sont probablement les plus saisissantes, lorsque sont évoqués les rendez-vous demandés au chef de l'État pour réclamer l'amnistie des syndicalistes, demande qui commence par rencontrer l'accord chaleureux de ce dernier. Mais rien ne se fait, et quand Jean-Luc Mélenchon revient à la charge pour rappeler ce qu'il croyait être un engagement, François Hollande se contente de dire qu'il l'avait effectivement dit…à l'époque. Plus tard, Jean-Luc Mélenchon évoquera encore le « balancement circonspect », règle de conduite du chef de l'État, et son optimisme invétéré. Autrement dit, il suffit de donner du temps au temps, comme le disait François Mitterrand, et les choses s'arrangeront d'elles-mêmes. Vision que le caractère de lutteur exacerbé et pessimiste de Jean-Luc Mélenchon le conduit à totalement récuser, mais contre laquelle lui, de même que les Français, s'énervent comme la mouche contre le carreau. Pour prendre une autre image, François Hollande prend, au royaume des grenouilles, le pari du soliveau contre la grue qui risque de les croquer.

Autrement dit, voici le portrait d'un homme qui assied son autorité, non pas sur sa force de conviction et d'entraînement, mais sur l'(auto-) élimination lente et silencieuse de ses concurrents. On ne s'étonnera donc pas que les couacs, jouant le rôle de maïeutique, deviennent une méthode de gouvernement, en même temps que la volonté présidentielle de brouiller les cartes, aussi bien pour les Français que pour leurs partenaires européens. On ne s'étonnera pas que le discours présidentiel du 14 janvier dernier fixe au premier ministre une série de missions incompatibles les unes avec les autres – l'emploi avec une politique de l'offre tournée vers les entreprises, le maintien du modèle social, la justice sociale avec le pouvoir d'achat. On ne s'étonnera pas non plus de voir deux ministres de Bercy faire le même jour, dans deux avions différents, le voyage de Berlin, l'un pour rassurer ses interlocuteurs sur la conscience qu'il a de la grande importance pour la France de respecter ses engagements, l'autre pour trouver le sujet « accessoire » [1], cependant qu'au même moment le président de l'Assemblée Nationale discourt sur la nécessité de ne « pas sacrifier la France à l'Europe libérale »…

Même souci présidentiel de balancement dans le discours du Premier ministre, où la solidarité équilibre la responsabilité, où le souci des comptes publics trouve sa limite dans le refus d'une révision du modèle social et de l'austérité, mais où les véritables réformes qui fâchent sont absentes (sauf, à long terme, la réduction du mille-feuille territorial) : encore une fois, les tenants de politiques clairement marquées d'un côté ou de l'autre sont renvoyés à se casser les dents, ou à s'épuiser, comme Jean-Luc Mélenchon, comme les Bonnets rouges, comme les Pigeons et autres volatiles, comme encore à Florange ou à Notre Dame des Landes. Mais le bateau-lavoir semble bien plus insubmersible que celui qui croyait pouvoir en ridiculiser le capitaine, sur lequel, comme le disait un de ses proches interviewé au cours de l'émission, les événements glissent comme l'eau sur les plumes d'un canard.

La ligne restera donc la même pour la seconde partie du quinquennat. L'optimiste qui nous gouverne pense que la conjoncture mondiale sera suffisante pour faire redémarrer la France, que le chômage se stabilisera et que notre modèle social demeuré intact pourra en compenser les effets, que les conflits sociaux resteront limités ou pourront être étouffés, que l'Europe et nos voisins n'auront d'autre choix que d'accepter les incartades de la « cinquième puissance du monde » et surtout que les prêteurs se bousculeront toujours pour acheter notre dette à des taux avantageux. Et le pire n'est-il pas que le pari peut être gagné, mais pour combien de temps et à quel prix à terme ?

Il est donc très important d'enrayer cette tendance qui conduit la France au déclin de sa puissance, sinon à la catastrophe financière. On peut résumer les idées en évoquant trois directions, en dehors de celles découlant de la nécessité de réduire les dépenses publiques :

  • poursuivre les réformes engagées mais insuffisamment abouties, en ne considérant pas ce qui a été accompli comme une fermeture du sujet pour le restant du quinquennat. Cela s'applique particulièrement à la loi sur la sécurisation de l'emploi, tout à fait insuffisante en matière de droit du travail, à la réforme des retraites et à l'accord interprofessionnel sur le chômage ;
    - * remettre en question les réformes qui, en même temps que l'on évoque un « choc de simplification », ne font qu'aggraver la complexité du fonctionnement administratif, surtout aux dépens des entreprises. Ainsi en est-il du calcul de la pénibilité des emplois, des avalanches de règlementations récemment édictées dans la loi Hamon sur la consommation, des usines à gaz de la loi ALUR ou encore de la fiscalité applicable aux plus-values applicables aux ménages ;
    - * engager les réformes qui n'entraînent pas de dépenses publiques supplémentaires, mais que l'État n'a pas le courage de mettre en débat compte tenu des risques de conflits sociaux : ainsi de la durée légale du travail qui pourrait passer de 35 à un minimum de 37 heures sans compensation obligatoire [2], de la flexibilité du temps de travail, du contrat de travail, de l'effet des seuils légaux de salariés, de la simplification du Code du travail
    .

[1] « La question des comptes publics est accessoire…les comptes publics ça ne crée aucun emploi, ça peut même en détruire ».

[2] Débat récemment repris par Pascal Lamy, mais que Manuel Valls a malheureusement qualifié de « préhistorique » alors qu'il l'avait lui-même engagé il y a quelque temps.