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État et financement de l'économie : les critiques de la Cour des comptes

"Selon des travaux parlementaires, 42 % de l'épargne non risquée bénéficierait en France d'un avantage fiscal contre seulement 12 % de l'épargne risquée"

La Cour des comptes vient de publier un important rapport sur un sujet majeur : 300 pages pour décrire les rouages du financement des entreprises et le rôle de l'État en tant que régulateur, opérateur et investisseur. Dommage que ce rapport n'ait pas eu toute la publicité qu'il mérite, il est pourtant au cœur des questions sur notre modèle économique, à redéfinir dans la crise que nous traversons.

La Cour commence bien entendu par poser le diagnostic : notre pays se caractérise depuis longtemps par un taux d'épargne parmi les plus élevés du monde industrialisé (environ 17% du revenu des ménages) et un fort besoin de financement des administrations publiques : en conséquence, nos entreprises ont les plus grandes difficultés à se financer.

Certes les banques et compagnies d'assurance contribuent à la transformation de l'épargne mais la part de leurs actifs placés en direction des entreprises françaises recule ; cela s'explique surtout par une internationalisation croissante de leurs investissements, particulièrement vers la zone euro. Dans le même temps, on compte une part substantielle des non-résidents dans la capitalisation des grandes entreprises françaises cotées (plus de 40% du CAC40). Ce sont nos PME qui souffrent le plus.

D'autant que l'État joue double jeu : il occupe une place centrale, qu'il s'agisse d'orienter l'épargne à travers la fiscalité, ou d'interventions directes et indirectes auprès des entreprises. Mais il lui faut aussi financer sa dette. Ainsi, l'assurance-vie a recyclé pendant des années les obligations d'État grâce à une fiscalité favorable, devenant ainsi le placement préféré des Français.

Une fois ses besoins pourvus, quel bilan tirer de l'action de l'État pour permettre aux entreprises de couvrir leur besoin de financement ? Celui que dresse la Cour est finalement bien mitigé.

Télécharger le rapport de la Cour des comptes : "État et financement de l'économie - juillet 2012"

Sur les niches fiscales, la Cour rappelle la confusion qui règne : " Non seulement l'épargne non risquée concentre la majorité des dispositifs fiscaux incitatifs, mais elle bénéficie également des incitations fiscales les plus coûteuses. Sur les 50 dépenses fiscales et niches sociales recensées par le comité d'évaluation sur les dépenses fiscales et les niches sociales concernant l'épargne, plus de 9 milliards d'euros bénéficient à l'épargne non risquée : 4,8 milliards d'euros à l'épargne salariale, 1,9 milliard d'euros à l'épargne retraite, 1,1 milliard d'euros à l'épargne sur livrets, 1 milliard d'euros à l'assurance-vie (fonds euros) et 0,5 milliard d'euros à l'épargne logement. À titre de comparaison, les incitations à l'épargne risquée, principalement orientées vers l'épargne par actions dans le cadre des Plans épargne en actions (PEA) et les investissements en fonds propres (ISF-PME ou Fonds d'investissement de proximité), mobilisent 2,4 milliards d'euros." Cette comparaison est saisissante lorsque l'on sait les difficultés qu'ont connues les parlementaires qui se sont battus pour relever les plafonds des dispositifs ISF-PME ou Madelin-Forissier. Les responsables politiques veulent aujourd'hui couper dans les niches fiscales au nom d'une saine gestion budgétaire. Sur ce point la Cour des comptes leur rappelle :"À défaut d'intervenir plus, l'État peut intervenir mieux, notamment en réorientant certains de ses moyens, comme par exemple la dépense fiscale, vers des secteurs ou des acteurs qu'il estime prioritaires." Cette démarche que nous avons soutenue nécessite de faire une évaluation complète des niches fiscales, qui aille plus loin que le rapport de l'IGF paru l'année dernière, notamment en évaluant les effets dynamiques des niches sur l'emploi et les rentrées fiscales et sociales.

S'agissant des aides directes, toutes administrations confondues elles représentent auprès des entreprises environ 7 milliards d'euros. Si la Cour ne dit rien sur le profil des entreprises bénéficiaires, elle insiste sur le manque de pilotage et les délais qu'induit un cofinancement entre administrations de plus en plus développé. Enfin, la Cour rappelle que comme les niches fiscales, ces dépenses sont sous la contrainte du redressement des comptes publics et ne peuvent se développer à l'infini.

Dernier point, l'intervention via des organismes spécialisés : il s'agit là essentiellement des relations entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations. Il y a d'abord le problème de l'utilisation des fonds d'épargne. Ceux-ci constitués essentiellement à travers l'épargne accumulée via le livret A doit théoriquement servir à financer la construction de logements sociaux et autres emplois d'intérêt général. Mais à travers une convention signée en mars 2011, la Cour relève que "la convention de gestion signée entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations le 17 mars 2011 précise que ces emplois d'intérêt général autres que le logement peuvent être financés en appui des politiques conduites par l'État « sur demande expresse du ministre chargé de l'économie », ce qui montre que le Fonds d'épargne devient pour l'État un relais de financement pour un ensemble de politiques publiques." Autrement dit, faute de moyens, l'État va se servir dans les bas de laine des Français et ce, pour des investissements assez variés : projets d'infrastructures de transport, grands équipements, Oséo, FSI, collectivités territoriales, établissements publics de santé, Dexia, …

La Fondation iFRAP a publié l'an dernier une étude consacrée à la Caisse des dépôts et consignations intitulée "État investisseur : où est la réussite économique ?". Sollicitée à tout bout de champ, les justifications des interventions publiques sont aussi variées que le soutien à l'innovation, aménagement du territoire, patriotisme économique, soutien aux PME/ETI, etc. Mais comme le précise la Cour, l'intervention publique doit théoriquement se limiter à pallier des défaillances du marché identifiées. "Les pouvoirs publics peuvent être tentés d'inciter le secteur financier public à intervenir pour compenser le recul de l'offre, comme l'illustre par exemple la volonté de l'État de soutenir l'offre de crédit aux collectivités territoriales. Pour le secteur public cependant, de telles interventions palliatives présentent des risques :
- des risques financiers puisqu'en menant des interventions à contre-courant du marché, le secteur public fragilise sa rentabilité ;
- des risques d'antisélection car, en servant la demande la plus risquée, il permet au secteur privé de se concentrer sur les segments de marché les plus rentables ;
- des risques de distorsion de concurrence, en particulier du fait des garanties implicites octroyées par l'État au secteur financier public, qui abaissent ses coûts de refinancement par rapport à ceux du secteur privé ;
- des risques de déresponsabilisation des acteurs privés dès lors qu'une part de plus en plus grande du risque de leur activité se trouve portée par la sphère publique. Ce qui peut être nécessaire en situation de crise ne peut constituer un régime permanent. "

Si on exclut les interventions inutiles ou nuisibles comme de maintenir en activité ou de relancer des entreprises condamnées, quelles politiques industrielles doivent relever de l'État ? Ce rôle est extraordinairement difficile. Comment savoir, par exemple, si son soutien à une entreprise ne va pas empêcher le développement de concurrentes françaises performantes ? Pourquoi vouloir mettre un seul acteur au centre du processus d'investissement dans des industries d'avenir, souvent à risque, dont on ignore lesquelles vont s'imposer dans les 5, 10 ou 20 prochaines années ? Comme le montre l'économiste Elie Cohen, l'existence des structures de secours étatiques provoque un véritable appel d'air qui tend à décharger de leurs responsabilités, l'entreprise elle-même, ses banques, ses clients, ses fournisseurs, ses concurrents et les élus locaux.

C'est ce que souligne la Cour : "la diversification des activités de la Caisse n'est pas sans poser, sur certains points, des difficultés : − au fil du temps, la Caisse a pris de nombreuses participations minoritaires dans de grands groupes financiers ou industriels tels La Poste, Oséo et surtout Dexia ainsi qu'une participation à parité avec Véolia dans Véolia Transdev. Sans systématiquement disposer de la maîtrise de leur gestion, elle porte, de ce fait, une part de plus en plus grande de risque financier subi ; − la diversification sectorielle et la multiplicité des interactions avec des fonds privés complexifient l'évaluation des risques qu'elle supporte et rend délicate leur comptabilisation. Elle expose la Caisse à des risques de nature très différente des aléas immobiliers et des risques de marché auxquels elle faisait traditionnellement face. "

La crise de 2007-2008 a donné l'occasion à l'État de réinvestir des pans entiers de l'économie (banques, etc.) Il est temps de se reposer la question du rôle de l'État. "Après avoir mobilisé les ressources disponibles hors du champ de la dépense publique, puis hors du champ budgétaire et même hors de son propre bilan, l'État tente désormais d'externaliser l'action publique hors du périmètre des « administrations publiques ». Cette stratégie s'est appuyée sur le groupe Caisse des dépôts et singulièrement sur le Fonds d'épargne dont les emplois se sont diversifiés. Par ce biais, elle a permis à l'État de jouer un rôle de plus en plus actif dans le financement des entreprises, que ce soit en fonds propres (Fonds stratégique d'investissement) ou par l'emprunt (Oséo). (…) Plus généralement, l'implication du secteur financier public ne pourra à elle seule satisfaire l'ensemble des besoins de financement actuel et se substituer au retrait de l'initiative privée."

Contrairement à ce qui se fait sans résultats probants aujourd'hui, l'État français devrait encourager la multiplication des investisseurs en agissant comme assureur, privilégier la concurrence entre les acteurs pour s'assurer d'une prise de risque, plutôt que d'encourager le conformisme et la sécurité qui ne manqueront pas de s'imposer si une seule institution concentre tous les financements.