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Droit à l’erreur : perlimpinpin chez Kafka

Le droit à l’erreur constitue la première partie du projet de loi intitulé « Pour un Etat au service d’une société de confiance ». Un projet considérable*, pavé d’excellentes intentions, et dont les deux pôles, appelés « piliers », sont orientés vers la confiance envers l’Etat et en étroite relation : restaurer cette confiance en faisant de l’Etat un conseil dans l’application des lois plutôt qu’un sanctionnateur (d’où le droit à l’erreur), et parallèlement simplifier la loi pour assurer son respect. 

* Quarante articles concernant un ensemble hétéroclite de sujets, comprenant plus d’une dizaine d’habilitations à légiférer par ordonnances. Nous ne traitons ici que des articles 2 à 6 concernant le droit à l’erreur.

Hélas, que vous soyez particulier ou non, vous n’aurez pas souvent l’occasion de profiter de cette avancée législative, annoncée à grand renfort de communication. D’abord parce que son domaine d’application est très étroit. Ensuite parce que tout va continuer à dépendre du bon vouloir de l’administration  dans l’appréciation, parfaitement discrétionnaire de sa part, de votre « bonne foi ».  Enfin parce que, particulièrement dans le domaine fiscal qui est avec le domaine social pratiquement le seul où le droit à l’erreur va pouvoir s’appliquer, l’avantage que vous allez pouvoir tirer de la correction de l’erreur est quasiment ridicule. Bercy s’est fichu de nous !

Au total, mieux vaudrait commencer par rendre la loi intelligible, pour ne pas avoir à pardonner sa méconnaissance.

Le droit à l’erreur

L’article fondamental est l’article 2 de la loi : « Une personne ayant méconnu une règle applicable à sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration, dans le délai que celle-ci lui a indiqué ».

Le domaine d’application

Contrairement à ce qu’on pourrait croire au vu de la généralité des termes utilisés (« méconnaissance d’une règle »), le droit à l’erreur ne concerne que les rapports entre les personnes (physiques ou morales) et les administrations, et donc les obligations déclaratives des premières[1]. Comme l’indique l’étude d’impact du projet, « seules les sanctions administratives sont concernées par le droit à l’erreur. Les sanctions de nature pénale, qui ne sont pas prononcées par l’administration, n’entrent pas dans le champ du dispositif proposé. En outre, sans qu’il soit besoin de le préciser, ces dispositions ne préjugent pas de la mise en œuvre éventuelle de la responsabilité civile de l’auteur d’une erreur envers les tiers ». D’autre part, « pour que le droit à l’erreur s’applique et donc que la sanction administrative pécuniaire soit écartée, la personne ayant commis l’erreur doit régulariser sa situation. Lorsqu’une erreur n’est pas régularisable, notamment parce qu’elle consiste en une omission ou un retard dans une déclaration qui était assortie d’un délai ou parce qu’elle lèse les droits de tiers, le droit à l’erreur ne s’applique pas ».

On peut notamment déduire de cela que la méconnaissance d’une règle impérative, concernant par exemple l’étiquetage d’un produit, punie pénalement par le Code de la consommation et par la responsabilité éventuelle à l’égard des tiers, est en dehors de l’application du droit à l’erreur.

Pour les particuliers, on ne voit guère d’autres domaines d’application que les déclarations fiscales et sociales.

Les exceptions

Le principe comporte des exceptions générales : en cas de fraude et de mauvaise foi, et particulières : les règles préservant la santé publique, la sécurité des personnes et des biens (vaste et incertain[2]) ou l’environnement, les sanctions requises par le droit européen » et celles concernant les professionnels soumis à des autorités de contrôle (par exemple l’Autorité des marchés financiers).

De plus, des dispositions spécifiques de la loi s’appliquent au domaines fiscal et douanier. Elles limitent grandement l’intérêt de la mesure.

Un problème essentiel : la référence à la bonne foi.

Qui en est juge ?  La présentation du projet par le gouvernement donne deux exemples qui laissent sceptiques : Bénédicte oublie de déclarer à la CAF qu’elle a repris le travail et continue de percevoir des aides auxquelles elle n’a plus droit. Etant « manifestement de bonne foi » (?), elle ne subira pas de « pénalités » (mais paiera-t-elle des intérêts de retard à 100% ?). A l’opposé nous dit-on, Jennifer quant à elle n’a pas déclaré à la CAF qu’elle vivait en concubinage, et a donc « masqué frauduleusement » sa situation familiale : pas de pitié ! Etes-vous sûr de voir la différence ? Qui ne voit surtout que la qualification est on ne peut plus laissée à la discrétion de l’administration, ce qui ne fait qu’augmenter l’incertitude, sous réserve du résultat hasardeux d’un contentieux que le contribuable devra introduire[3].

En matière fiscale[4], la bonne foi a pour résultat de permettre de diminuer de 30%, en cas d’acceptation immédiate du redressement et de paiement, et « avant toute proposition de rectification », ou de 50% en cas de rectification spontanée, les intérêts de retard. Actuellement la mauvaise foi permet à l’administration d’appliquer des pénalités très lourdes, mais ne joue pas sur les intérêts de retard. Et l’administration doit déjà prouver la mauvaise foi. Donc, rien de changé pour les pénalités, la nouveauté ne porte que sur la diminution de ces intérêts de retard. Intérêts dont le taux va par ailleurs être divisé par deux : 0,2% par mois. Au mieux, le contribuable gagnera donc un millième de sa dette par mois, pas de quoi claironner la révolution !

En fin de compte, le redevable ou contribuable ne verra pas grand intérêt à rectifier son erreur, compte tenu notamment des risques associés au fait de se dénoncer sans savoir si l’administration accordera le bénéfice de la bonne foi.

Qu’ajoute le projet de loi en fin de compte, sinon une plus grande latitude donnée à l’administration avec le nouveau champ d’application de la notion de bonne foi ? D’autre part, le droit à l’erreur existe déjà dans notre législation. En matière fiscale, le CGI donne dans certaines limites, effet à la rectification spontanée des déclarations. En matière sociale, un droit à l’erreur sur les déclarations sociales a été établi par un décret du 8 juillet 2016 : sauf en cas d’omission de salariés dans la déclaration ou d’inexactitudes répétées du montant des rémunérations déclarées, aucune majoration ou pénalité n’est appliquée. D’autres dispositions du texte de loi n’apportent pas non plus de nouveauté. Ainsi de la création d’une commission de « médiation », alors qu’il existe depuis toujours des commissions de recours amiable. La généralisation de la procédure du rescrit n’est pas une idée nouvelle non plus, et elle avait été rejetée au motif qu’il s’agissait d’une usine à gaz. Dernier exemple, la loi permet au contribuable de demander un « contrôle à blanc ». On doute que cette mesure rencontre un vif succès…

Une première version de la loi avait été établie pendant l’été dernier. Elle avait été recalée par le Conseil national d’évaluation des normes, dont le président, Alain Lambert, salue maintenant une amélioration avec le texte actuel. Il juge toutefois ce dernier « pusillanime » réduit à « 10% » de ce qu’il pourrait être, en somme un texte fait « pour l’administration, pas pour les Français ». Le baptême est rude, mais le sermon permettra-t-il efficacement de faire bouger les lignes devant le Parlement ? 

Pour aller au fond des choses

Il y  a un vice profond dans tout cela. Le législateur est comme un apprenti sorcier, en permanence débordé par sa créature. A force de vouloir tout réglementer, il empile les textes les uns sur les autres, jusqu’à en faire un ensemble illisible et plein de contradictions. Et il va en quelque sorte s’excuser auprès des Français en fermant les yeux sur le non respect de dispositions légales trop compliquées pour qu’ils puissent ne pas commettre d’ « erreur ». Il est frappant de constater le rapprochement que l’on peut faire entre le présent projet de loi et la réforme de l’ISF, qui contient une disposition prévoyant qu’ « aucun réhaussement n’est effectué si le redevable, de bonne foi, démontre qu’il n’était pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l’estimation de la valeur des parts ou actions… représentatives des biens ou droits immobiliers qu’il détient indirectement ». Encore la bonne foi ! (mais cette fois c’est au contribuable de prouver cette dernière). Si je suis de bonne foi, il me sera pardonné de ne rien comprendre. Mais si je ne cherche pas à comprendre, puis-je encore être de bonne foi ? Nul n’est censé ignorer la loi… Question qui nourrira bien des contentieux. On touche ici au consentement à l’impôt et à toute réglementation en général, consentements qui s’effritent à l’évidence, faute à la loi d’être intelligible et perçue comme juste. Les exemples abondent : il en est de même de la réglementation des aides sociales. La loi embourbée dans la technocratie perd son autorité, surtout si l’on pardonne sa méconnaissance au point de faire de cette dernière un « droit ».

Le gouvernement Macron l’a bien compris, qui a inclus le droit à l’erreur dans une loi consacrée pour une bonne partie à la simplification des normes. Excellente intention, qui n’est pas nouvelle mais qui a toujours échoué, gouvernement après gouvernement. L’actuel réussira-t-il ? Pour le moment, ni la loi travail ni la réforme de l’ISF, qui voit l’administration renouer avec ses travers traditionnels, n’augurent d’une telle réussite, mais il faut croire en la volonté du nouveau chef de l’Etat, volonté qui a singulièrement manqué durant les précédents quinquennats.

Peut-on enfin suggérer qu’il ne s’agit pas seulement de simplifier les normes pour restaurer la confiance, mais qu’il faudrait aussi débarrasser les lois de la maladie de la sanction. Toute réglementation est prétexte à amende, voire à emprisonnement. Le droit du travail en est le domaine privilégié, pour les obligations du seul employeur, bien entendu. Le projet de loi susurre à l’oreille de l’inspecteur du travail qu’il serait bien avisé de tenir compte du droit à l’erreur pour adapter le montant de l’amende qu’il s’apprête à infliger. A-t-on besoin pour commencer de pratiquement tout sanctionner par des amendes, comme le fait le code du travail ? La confiance, c’est quelque chose de réciproque, n’est-ce pas ?


[1] L’article cité est inséré dans le « code des relations entre le public et l’administration ».

[2] Que se passe-t-il par exemple en matière de construction immobilière si une erreur dans une déclaration est susceptible de porter atteinte à la sécurité ?

[3] Sans compter l’apparente contradiction du traitement du cas de Bénédicte avec le principe suivant lequel « les retards ou omissions de déclaration dans les délais prescrits n’entrent pas dans son champ d’application ».

[4] En matière douanière, le projet de loi contient des dispositions d’objet similaire.