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"Des députés heureusement sous influence", plaidoyer pour un lobbying élargi

Vincent LAMKIN, directeur associé de l'agence MEANINGS Jérôme RIPOULL, fondateur du Cabinet BIXIE Consultants, des spécialistes de la communication d'influence et institutionnelle.

N'en déplaise aux auteurs du récent « Députés sous influence », l'Assemblée Nationale n'est pas une tour d'ivoire. Et nos parlementaires ne sont pas des anachorètes détachés de leur milieu, leur profession, leurs centres d'intérêts ou leur circonscription.

Selon ces journalistes, l'Assemblée compterait 150 députés fantômes, inactifs et absents, tandis que la grande majorité des 427 autres accepterait d'être plus ou moins manipulée par des groupes de pression aux intérêts occultes et aux ambitions inavouables. Thèse simpliste qui flatte les vils instincts de l'anti-parlementarisme…

Une radiographie précise du fonctionnement des deux assemblées démontre qu'il y a un danger plus grand à l'œuvre. Dans notre démocratie parlementaire, basée sur le débat contradictoire, le vrai lobby se situe au cœur même de notre Parlement. Il contrôle l'Assemblée Nationale et, dans une moindre mesure, le Sénat. Ce lobby, c'est le groupe majoritaire. Il fait roi le Président de l'Assemblée Nationale, il choisit les députés qui prennent la tête des commissions et autres vice-présidences, il désigne les orateurs de la majorité qui interviennent lors des questions au Gouvernement. Ce groupe majoritaire est tout à la fois le bras armé de l'Exécutif et le "faux-nez" du parti majoritaire. La courroie de transmission qui verrouille le vote des projets gouvernementaux. Le débat est factice. Une seule consigne et le bloc majoritaire vote comme un seul homme.

Quant aux lobbies qui en sont restés à des pratiques confidentielles, ils sont mis en échec. Ainsi, lors de l'examen du Projet de loi de financement pour la Sécurité Sociale 2006, le lobby des laboratoires pharmaceutiques, jadis si puissant, se voit imposer par le gouvernement une hausse considérable de la taxe sur le chiffre d'affaires. Les quelques députés inquiets des conséquences négatives pour les derniers laboratoires français n'y peuvent rien. Le réajustement infime obtenu en commission mixte paritaire ne fait pas illusion : les laboratoires sont défaits par un gouvernement sûr de son appui parlementaire. Autre preuve ? La fusion GDF-Suez où l'opposition ouverte de certains députés UMP, exagérée par les médias (on allait voir ce qu'on allait voir), a fait long feu !

Ce fonctionnement appauvrissant pour la démocratie parlementaire a empiré avec le quinquennat. La concordance des temps de l'Exécutif et du Législatif mortifère : la majorité n'est plus parlementaire, elle est présidentielle ! Face à cette logique écrasante, quelques députés "Don Quichotte" mènent une fronde, courageuse mais souvent vaine.

Dans ce contexte, les lobbies – entreprises, fédérations professionnelles, associations… – jouent un rôle décisif en apportant l'information contradictoire, l'argument technique percutant qui relance le débat là où certains imposeraient volontiers l'unanimisme majoritaire et stérile.

Demander plus de transparence est légitime, mais il est faux d'affirmer que les lobbies manipulent nos parlementaires et téléguident leurs positions. Deux raisons au moins l'expliquent : les élus nationaux ont une véritable conscience de leur mission. S'ils défendent des intérêts, presque toujours les intérêts de leurs électeurs et de leur circonscription (mais n'est-ce pas cela la démocratie représentative ?) ils ne contreviennent jamais, et en tout cas, jamais très longtemps à l'intérêt général. Et lorsque des situations scandaleuses existent, la presse sait les dénoncer.

Les lobbies ne pèsent guère dans la balance face au Gouvernement et au premier lobby de France : la haute administration française qui façonne les lois depuis le début de la Ve République.

L'expression de lobbies défendant des points de vue divers et opposés est la garantie d'un véritable débat démocratique, contradictoire et éclairé. C'est vrai dans les grands sujets comme le nucléaire, la consommation, la santé. C'est pourquoi il faut encourager les grandes fédérations professionnelles, les associations de consommateurs, les syndicats à se doter de moyens d'expression au sein des deux assemblées. Force d'analyse, de propositions, de réactions, ces organismes sont aussi là pour contribuer à une meilleure articulation entre société civile et Parlement, entre intérêts partagés et intérêt général.