Presse

Cour des comptes : ces recommandations restées sans suite

Lundi 2 juillet 2012, Atlantico publie en Une une tribune de Samuel-Frédéric Servière alors que la Cour des comptes publie ce même jour son audit des finances publiques de la France. D'année en année, on y retrouve des constantes, des préconisations qui reviennent sans cesse. Ces rapports n'ont-ils que peu ou pas d'effet sur la politique économique menée en France ?

La Cour des comptes est non seulement une juridiction financière chargée d'un contrôle de régularité des actes passés par les comptables publics et les ordonnateurs, mais aussi de la certification des comptes de l'Etat et du contrôle des politiques publiques. Dans cette dernière fonction, elle joue un triple rôle : elle peut procéder à des recommandations en direction des administrations, des collectivités ou des organismes contrôlés ; elle peut procéder à des enquêtes à la demande des ministres comme des parlementaires (article 47-2 de la Constitution). De son propre avis, « la demande [de la collectivité en matière d'évaluation ndlr] est (…) parfaitement compréhensible et justifiée dès lors qu'elle intervient au nom des contribuables et qu'elle s'inscrit dans le mouvement général de la réforme de l'Etat. » [1]

Mais les politiques publiques sur lesquelles les recommandations de la Cour des comptes n'ont que peu d'emprise sont nombreuses : politique immobilière de l'Etat, sociétés d'économies mixtes locales, contrôle des finances des collectivités locales et de leur endettement, Banque de France, financement des infrastructures de transport, contrôle aérien, ports autonomes… Tous domaines dans lesquels l'autonomie des institutions responsables des politiques publiques contrôlées est importante ou ceux où le dialogue social est particulièrement délicat. Sur ces sujets, les rapports de la Cour se suivent et ont tendance à se ressembler. Et certains organismes restent toujours en dehors du périmètre d'évaluation et la Cour ne peut formuler à leur endroit aucune recommandation : l'Assemblée nationale et le Sénat par exemple (contrairement à l'Elysée).

Cela dit, depuis 2008, la Cour des comptes, notamment sous l'impulsion de son ancien président, Philippe Séguin, à cherché à mesurer la performance de ses recommandations [2] et les suites qui leurs sont données par les administrations destinataires. C'est un mouvement qu'il convient de saluer. Cet indicateur montre une proportion de suivi des recommandations de la Cour assorti de réformes de 72,5% sur 772 recommandations recensées en 2011 sur les trois exercices précédents.

Cependant, certains éléments viennent tempérer ce bilan positif :

Les statistiques sont insuffisamment suivies dans le temps : en 2008 et 2009, la Cour communiquait sur l'acceptation de ses recommandations par ses destinataires. On y relevait par exemple que les objections fortes croissaient de 8,14 % points et les recommandations laissées purement et simplement sans réponse représentaient entre 23 et 25% des recommandations.

A partir de 2010, on ne connaît plus le nombre de recommandations laissées sans réponse ou suscitant de fortes résistances et le nombre de réformes partielles explose. On note à partir de 2011 une explosion des « réformes partielles » qui représentent 65,7% des réformes engagées sur base des préconisations de la Cour.

Les réformes ne sont pas individualisées dans le rapport de suivi : il n'existe pas de tableau rattachant précisément les recommandations suivies aux réformes concrètes engagées. Les chiffres ne permettent donc pas de savoir si ce sont les recommandations les plus importantes qui sont suivies d'effet.

Ensuite, il existe un véritable paradoxe : dès lors que la Cour des comptes intervient à la demande du Parlement (commissions des finances ou des affaires sociales, CEC (comité d'évaluation et de contrôle), MEC et MECSS (missions d'évaluation et de contrôle de l'Etat et de la sécurité sociale)), ses recommandations ne sont pas recensées et les résultats non évalués [3]. Or ces travaux sont nombreux et nourris et ne donnent pas forcément lieu à publication [4]. Cela est à déplorer car c'est justement dans cette relation Cour des comptes - Parlement que les recommandations de la Cour en matière de chiffrage et de réformes pourraient se faire plus précise et avoir des résultats directs par l'intervention du législateur. La Fondation iFRAP s'est d'ailleurs prononcé maintes fois pour une meilleure collaboration entre la Cour des comptes et le Parlement en matière d'évaluation active des politiques publiques (contrôle, évaluation, préconisation de réforme, vote au parlement) dans la lignée de ce qui existe dans les grandes démocraties anglo-saxonnes et scandinaves. En effet, une approche de type « value for money » adoptée par les institutions comparables notamment anglo-saxonnes permettrait de lier les recommandations de la Cour des comptes à leurs effets potentiels sur les finances publiques.

A ce stade, on assiste à l'invraisemblance suivante : lorsque les recommandations sont formulées, elles ne sont pas assorties des diagnostics financiers susceptibles d'évaluer leurs effets sur les finances publiques, et lorsque les diagnostics sont produits à la demande du Parlement, ils ne sont pas assortis de recommandations concrètes. Seule la mise en place progressive d'une véritable cellule d'évaluation au sein de la Cour (en poursuivant la réforme des « métiers » voulue par Philipe Séguin) et sa mise à disposition en tant qu'organisme de chiffrage au bénéfice du Parlement pourrait permettre que les rapports de la Cour des comptes aient un véritable impact notamment en matière de rééquilibrage des finances publiques. En la matière, malgré de nombreux rapports publiés ces dernières années préconisant, par exemple, le gel des salaires des agents de l'Etat et la baisse du pourcentage de rétrocession aux administrations, les dépenses de personnels de l'Etat n'ont pas baissé.

[1] Cour des comptes, RPA 2009 tome II p.6

[2] Inséré dans le rapport annuel de performance « juridictions financières » de l'année 2009.

[3] La Cour précisant : « Les contrôles réalisés à la demande du Parlement ne donnent pas lieu à formulation de recommandations, c'est au Parlement qu'il appartient de définir les suites à donner à ces travaux. » Pas de recommandations, pas de suivi statistique de ses constatations par la Cour.

[4] Ainsi les rapports périodiques sur la gestion de certains organismes (Caisse des dépôts, Française des jeux) ou opérateurs (VNF etc…) ne sont jamais communiqués au public.