Actualité

Classement international 2011 "Open Data et Open Government"

Les meilleurs ne sont pas toujours ceux que l'on croit !

La Fondation iFRAP s'est livrée à un classement international « Open Government et Open Data » des différents pays en fonction du degré de proactivité de leurs administrations publiques dans la livraison spontanée de documents administratifs et de données publiques sur la base de l'étude réalisée par l'OCDE : Panorama des administrations publiques 2011.

Classement Open Data et Open Government, Fondation iFRAP

- En réalisant ce classement, nous avons voulu mettre à jour une hiérarchie entre les pays en fonction non pas uniquement de leur conversion à la « libération des données publiques » (Open Data), mais en privilégiant au contraire leur propension légale ou coutumière à diffuser, sans demande expresse particulière émanent de leur société civile, des informations administratives à forte valeur ajoutée de façon à accroître leur degré de transparence [1]. Démarche que l'on peut véritablement qualifier de politique d'Open Government (de gouvernement ouvert) et qui inclut par extension la politique de mise en ligne des jeux de données publiques brutes ou plus ou moins structurées (métadonnées) propre à la politique d'Open Data mais pas seulement [2].

- Nous avons donc ensuite tenu compte de la constitution facultative ou obligatoire de jeux de données « data sets » et la présence ou non d'une réglementation favorisant la publication de ces données publiques sous formats compatibles pour une réutilisation aisée pour les citoyens. Nous avons enfin tenu compte du nombre de sites permettant d'accéder aux informations publiques et jeux de données mises en ligne. Leur caractère redondant permettant une meilleure accessibilité aux données publiques (ex : site dédié national + site du ministère ou de l'agence + site spécialisé etc…).

1) La France, malgré sa récente politique d'Open Data, est mauvaise en matière d'Open Government

A l'issue de ce classement croisé, il apparaît que la France ne se situe pas dans une position favorable puisqu'elle se retrouve à la 21ème place sur 34 pays participants. Il faut cependant expliciter ce mauvais classement :
- d'une part, il révèle que « si le gouvernement français publie de manière proactive des documents budgétaires sur les sites des ministères ou des opérateurs », il n'en est pas de même des rapports d'audit ou des listes de fonctionnaires et de leurs rémunérations. Pour ces deux catégories de documents, il n'existe aucune obligation légale, ni de quelconque pratique régulière en la matière. Mieux, il est toujours possible en France de refuser la publication d'un rapport. Une pratique sensiblement différente chez nos voisins anglo-saxons ou scandinaves.
- d'autre part, il n'existe pas d'obligation légale ou réglementaire pour rendre les jeux de données publiques accessibles au public. Cette seconde assertion relevée dans le rapport OCDE est plus critiquable car elle fait fi du décret du 26 mai 2011 et de la circulaire attenante, ainsi que de la mise en place de la mission Etalab d'installation du portail central gouvernemental data.gov.fr.

On peut donc dire que le mauvais classement français dans le dernier tiers des pays du panel OCDE tient avant tout à la mauvaise qualité de l'écosystème de diffusion des documents administratifs et des données publiques. Nous avons ainsi la confirmation que la loi de 1978 relative à l'accessibilité des documents administratifs mérite une modification profonde, modification qui devrait voir le jour à l'issue de la révision de la directive [3] données publiques 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public [4]. Par ailleurs, malgré une inflexion sensible après la mise en place de la mission Etalab et de la DISIC (direction interministérielle des services d'information et de communication de l'État) [5] par les pouvoirs publics, l'environnement pro-Open Data ne semble pas avoir atteint une consistance suffisante pour mériter un meilleur classement… la mise en place du site data.gov.fr est encore dans les limbes, et la France n'a pas adopté de dispositif fort et contraignant en matière de diffusion proactive systématique d'un certain nombre de documents ; c'est tout particulièrement vrai en ce qui concerne la publication des rapports d'audits (toujours aléatoires et pour certains, soumis au vote des institutions concernées (Parlement, Conseil économique, social et environnemental, collectivités territoriales)), mais aussi contrairement à 28% des pays interrogés, absence de transparence en matière de nomination et de rémunération des fonctionnaires : aucune liste n'est publiée et les salaires ne sont pas aisément connus.

Ce sont ces deux éléments qui permettent de mesurer la distance qui sépare la France (21ème), des meilleurs élèves. Or contre toute attente ceux-ci ne sont pas forcément ceux que l'on croit : il s'agit de l'Italie (1ère), du Mexique (2nd), de la Slovénie (3ème), l'Estonie (4ème) et la Corée (5ème). En y regardant de plus prêt, leur classement est contre-intuitif mais logique.

2) Les premières places sont trustées par les pays luttant contre la corruption ou de jeunes démocraties

- l'Italie dispose d'une législation sur la communication des informations publiques qui impose la publication des documents budgétaires, des rapports d'audits et de la liste des fonctionnaires et de leurs salaires, même si l'accès à cette dernière catégorie d'information peut faire l'objet de restrictions. En outre, l'ensemble des dispositions légales pour la mise en place d'une véritable transparence dans la diffusion des données publiques est désormais effective : depuis 2011, chaque administration doit adopter un plan de transparence pluriannuel.
- Le Mexique répond exactement aux mêmes standards de diffusion proactive. Par ailleurs, concernant la liste des fonctionnaires et leur salaire, sans doute dans le cadre d'une politique « anti-corruption », leurs rémunérations sont librement accessibles de façon proactive depuis son portail gouvernemental. Il vient de mettre également en place les conditions d'une politique active en matière d'Open Data.
- L'Estonie enfin, arrive quatrième avec sans doute la législation la plus étendue en matière de diffusion proactive d'informations publiques, mais aussi une obligation légale de mise en forme de jeux de données publiques. Par ailleurs l'Estonie diffuse depuis les portails des sites de ses propres ministères la plupart des informations publiques requises, y compris les listes de fonctionnaires accompagnées de leurs rémunérations.

L'analyse des 15 premiers pays du classement, permet de mettre en évidence la prédominance de pays « jeunes », soit en transition démocratique pour lesquels la vertu de transparence de l'action publique permet de constituer un volet de la lutte anti-corruption, soit récemment émancipés (bloc de l'Est) et donc particulièrement réceptifs aux technologies internet (Estonie, Slovénie, Hongrie et à un moindre degré, Finlande).

3) Un bon niveau d'Open Data ne signifie pas une bonne qualité d'Open Government :

Enfin, les grands pays disposant d'une solide culture de diffusion des données publiques : précocité de la politique d'Open Data (États-Unis, Royaume-Uni) ou un rattrapage massif de celle-ci (Australie [6]), leur classement est nettement moins bon : 10ème pour le Royaume-Uni en raison de sa « pratique » coutumière de mise en ligne régulière de rapports (mais sans obligation légale, donc moins contraignante que les meilleures pratiques), et la publication de la liste et des salaires des fonctionnaires excédant 150.000 £ de revenus annuels. 16ème place pour les États-Unis, handicapés également par une pratique de diffusion proactive coutumière, mais assez timorée suivant les secteurs. 15ème place par le Canada, pourtant pionnier dans sa politique de diffusion proactive des informations publiques et en matière d'Open Data, mais pour ce dernier volet de façon non systématique et sans publication des salaires de ses fonctionnaires. A noter toutefois que le Canada est cependant l'un des seuls pays à publier les accords collectifs passés avec les organisations représentatives des agents fédéraux, et ce, sur base centralisée.

4) Les mauvais élèves : le paradoxe des démocraties matures

Quant aux pays les moins avancés, on retrouve parmi eux l'Allemagne, le Chili et la Grèce, qui n'ont tout simplement pas répondu au questionnaire, et parmi les « répondants » : l'Irlande, la Norvège et le Luxembourg, pays disposant d'une démocratie mature et d'une administration proche des administrés. On retrouve chez eux une forme atténuée du « complexe suédois » : une démocratie très mûre et consensuelle et des pratiques de communication des informations publiques très libres, tellement libres qu'elles avaient presque fait oublier l'obligation de transposition de la directive européenne de 2003 relative à l'accès à l'information publique. Ces pays ont développé des palliatifs qui sont cependant sanctionnés en termes de transparence : si les salaires des fonctionnaires irlandais ne sont pas publics, la publication des grilles de salaires permet de relier aisément le montant de la rémunération au grade et toute personne peut demander la communication par l'administration de la rémunération d'une personne ou d'un poste déterminé. Mais en matière de transparence de l'information publique et d'Open Data, ce n'est pas suffisant et en conséquence sanctionné : il faut non seulement que l'information soit disponible à tout moment, mais également aisément compréhensible, exploitable et réutilisable… les standards des meilleures pratiques sont donc particulièrement élevés.

Conclusion :

On le voit, le classement effectué par la Fondation iFRAP sur base du rapport OCDE est sans merci pour les pays qui cherchent à dissimuler certaines informations au public. Par ailleurs si les standards de bonne pratique d'Open Data sont valorisés, ils ne doivent pas masquer les lacunes de certains pays en dispositifs proactifs légalement contraignants. L'avantage est donné à ceux qui s'obligent à une certaine systématicité en la matière, doublée d'une transparence quant à la rémunération de leur fonction publique. Avec une position dans le dernier tiers, la France se doit de faire encore des efforts et de réformer courageusement sa législation dans la perspective d'un gouvernement plus ouvert. Il y va de la transparence et du contrôle de l'action des pouvoirs publics par la société civile. Il y va de l'audit de la performance des politiques publiques et de la diffusion de la culture du résultat. Deux approches complémentaires indispensables pour réformer la gestion de nos administrations et optimiser l'usage de nos deniers publics.

[1] En effet, il est un peu trop simple en vérité de lier « gouvernement ouvert » et « ouverture des données publiques », car dans le premier cas il s'agit de la capacité de l'administration à mettre de façon directe et spontanée à la disposition du public un certain nombre d'informations, lorsque celles-ci sont disponibles, sans sollicitation préalable, ce que l'on appelle une politique de divulgation « proactive » (Proactive Disclosure Policy), tandis que de l'autre il s'agit de publier sur des sites dédiés des jeux de données, c'est-à-dire des informations agrégées et classées (métadonnées) dans des formats susceptibles d'être ensuite réutilisés gratuitement par le public (société civile, entreprises) pour un usage propre : privé, public ou à finalité commerciale.

[2] Il y a en effet une dimension extensive, l'Open Data, mais aussi intensive en fonction de la qualité, du nombre et de la systématicité des publications de documents administratifs et de données publiques : données statistiques, budgétaires, rapports d'audit et de contrôle, transparence sur les salaires (publication de liste de postes ou de grades avec le nombre de titulaire, leur salaire, parfois leur nom (cas Anglais, pour les plus hauts postes de civil servants)) etc…

[3] Voir pour la France la réponse à la consultation de la commission européenne, http://www.sgae.gouv.fr/gcp/webdav/… et pour la Belgique : http://ec.europa.eu/information_soc… .

[4] Transposée par l'ordonnance n°650-2005 du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des données publiques. Voir par exemple : http://www.servicedoc.info/spip.php….

[5] Qui s'oriente vers un principe de gratuité par défaut des données publiques (en rupture avec l'approche de valorisation de l'APIE (Agence pour le patrimoine immatériel de l'État)).

[6] Déclaration du gouvernement australien en juillet 2010 sur l'Open Government, le « Government 2.0 », réforme de la législation FOIA, mise en place de mesures réglementaires supplémentaires à partir du 1 mai 2011 avec la mise en place de l'IPS (Information Publication Scheme) imposant de nouvelles obligations de publication de données publiques aux ministères et agences gouvernementales, y compris des informations opérationnelles.