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Char de combat France/Allemagne : un défi à relever pour une Europe de la Défense

Dans le 1er gouvernement du président Macron, a été nommée une ministre des armées spécialiste de l'Union européenne et qui aura notamment pour objectif de développer avec les partenaires de la France une Europe de la défense. Cette décision est l'occasion d'analyser le système d'arme allemand et français concernant le char de combat Leopard et Leclerc, dont la question du remplacement (et d'un rapprochement souhaitable) va bientôt devoir se poser. 

Actuellement, les armées de terre allemande et française sont équipées respectivement des chars de combat suivants :

  • En Allemagne : le Léopard 2 (parc actuel de 320 engins) succédant, à partir de différentes modernisations (châssis, motorisation, système d'arme, blindage...), au char allemand Léopard 1 réalisé dans les années 1960-1970 et produit à environ 4.000 exemplaires pour les besoins allemands et étrangers (une quinzaine de pays) selon plusieurs versions : char de combat, canons anti-aérien, génie terrassement et porte-pont mobile de franchissement de coupures, maintenance et dépannage, déminage...,

  • En France : le Leclerc (parc actuel de 220 engins) succédant aux chars français AMX 30 B et B21 réalisés dans les années 1980 et produits à environ 3.500 exemplaires pour les besoins français et étrangers (une douzaine de pays) selon différentes versions : char de combat, artillerie automoteur, canons (30m/m) et missiles anti-aériens (Roland), génie terrassement et porte-pont de franchissement de coupures, maintenance et dépannage, lanceur de Pluton (missile nucléaire tactique)...

La particularité de ces 2 chars est la suivante :

 LEOPARDLECLERC
date de réalisation Années 1980Années 1990-2000
entrepriseKrauss-Maffei WegmannGIAT industries
quantité produite3 200860
char canonouioui
char de dépannageouioui
génie terrassementouinon
char transporteur de pont de franchissementouinon
coût unitaire d'acquisition par char5 millions €8 millions €

Les caractéristiques des chars Léopard 2 et Leclerc sont présentées dans le tableau ci-dessous :

CaractéristiquesLEOPARDLECLERC
armement principalcanon de 120 m/m lissecanon de 120 m/m lisse
quantité d'obus4040
armement auxiliaire2 mitrailleuses (co-axiale et sur tourelle de 7,62 m/m)2 mitrailleuses (co-axiale de 12,7 m/m et sur tourelle de 7,62 m/m)
quantité de munitions en nombre de coups4750950 et 3000
puissance du moteur en CV15001500
vitesse route et terrain en kmh60 et 4570 et 45
autonomie en kms500500
poids en tonnes6356
équipage43
blindagecompositecomposite

La qualité respective de ces chars repose respectivement :

  • pour le Léopard 2 : sur son châssis, son blindage et sa motorisation au moment où il a été réalisé sous différentes versions successives sous licence ou non pour les besoins nationaux et étrangers,

  • pour le Leclerc : sur son système d'arme : capacité de tir (en déplacement, grande cadence de tir (12 coups/minute) grâce à un chargement automatisé, portée allant jusqu'à 4.000 mètres), et sa vélocité.

Il faut noter que le char Léopard 2 a équipé et équipe les armées de terre de nombreux pays contrairement au char Leclerc comme il est présenté dans le tableau ci-dessous :

Pays clientsLEOPARDLECLERC
Allemagneouinon
Francenonoui
Europe du Nord (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suisse, Suéde, Norvége)ouinon
Europe du Sud (Espagne, Porugal, Italie)ouinon
Europe de l'est (Pologne, Finlande, Estonie)ouinon
Asie (Indonésie, Singapour)ouinon
Canadaouinon
Chiliouinon
Australieouinon
Moyen-orient (Turquie, Qatar)ouinon
Moyen-orient (Emitats-Unis)nonoui
total des pays clients182

C'est ainsi que sur les 3 200 chars Léopard produits, plus de 30 % (neufs et d'occasion) ont été vendus à l'export. Sur cette quantité de chars vendus à l'export, environ les 2/3 ont permis d'équiper les armées de terre européennes. En revanche, en ce qui concerne le char Leclerc, la France n'a pu exporter que 40 % de sa production et vers un seul pays (Emirats-Unis), en particulier pour des raisons de prix élevés bien souvent justifiés par la qualité (notamment électronique) de ce système d'arme.

Ces chars ont été projetés dans différents théâtres d'opérations extérieures comme cela est présenté dans le tableau ci-dessous :

Pays intervenantsThéâtres d'opérationsDates d'interventionLEOPARDLECLERC
AllemagneKosovoAnnées 1990-2000ouinon
AghanistanAnnée 2000ouinon
CanadaAghanistanAnnée 2000ouinon
DanemarkAghanistanAnnée 2000ouinon
TurquieSyrie2016ouinon
FranceKosovoAnnées 1990-2000nonoui
LibanAnnée 2000nonoui
Émirats-unisYémen Dépuis 2015nonoui
KosovoAnnée 1990- 2000nonoui

En règle générale, les unités blindées équipées de ces chars ont été déployées dans des opérations de maintien de la paix (Balkans et Liban) : les unités blindées étant un outil diplomatique de dissuasion militaire face aux différentes milices.

En outre, ces chars de combat ont été engagés dans des interventions de contre insurrection comme en Afghanistan (certes en nombre restreint) et au Yémen en quantité plus importante lors desquelles les capacités opérationnelles des chars Leclerc ont été remarquées pour ses performances de frappe et de protection blindée contre les missiles (grâce au système de protection AZUR). En revanche, l'armée de terre turque a perdu 10 chars Léopard 2 lors de son engagement au nord de la Syrie en raison de tirs de missiles antichar (KORNET, KONKURS, TOW).

Conclusion

Il apparaît évident que les armées de terre allemande et française doivent remplacer leurs chars de combat dans les années 2030 compte tenu de leurs durées de mises en œuvre. Mais, il s'agit aussi de prendre en compte les besoins des autres pays européens mais aussi étrangers qui ont un parc vieillissant de chars de différentes origines : allemande, américaine, britannique, italienne mais aussi russe pour les pays de l’Europe de l'Est (Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Pologne...). Les besoins peuvent être évalués à plusieurs centaines d'engins sous différentes versions : chars de combat, génie porte-pont de franchissement et terrassement2, maintenance et dépannage...

Cependant, la question est de savoir si toutes les armées de terre des pays européens doivent disposer en propre de grandes unités blindées équipées de chars lourds de combat. En effet, à titre d'exemple, dans une logique de construction d'une armée européenne pour faire face à d'éventuelles menaces notamment sur le « flanc est de l'OTAN » mais aussi de contrainte budgétaire, l'Allemagne et les Pays-Bas, tout en conservant le contrôle de leurs unités nationales, ont procédé à l'intégration dans la 1ère division blindée allemande de la 43ème Brigade mécanisée néerlandaise qui inclut le 414ème Panzer bataillon allemand3.

Si l'équipement des armées de terre européennes avec ce nouveau char de combat sera subordonnée à une mise en concurrence internationale très importante (notamment les États-Unis d'Amérique), il est à espérer que la « fusion » de NEXTER (successeur de GIAT Industries) et Krauss-Maffei-Wegmann (KMV) permettra à cette holding de remporter ce marché en proposant un engin d'un excellent ratio qualité-prix.

Certes, la coopération franco-allemande a connu de réels succès dans la réalisation de certains systèmes d'arme dans les années 1980-1990 (Missile Milan) et plus élargie dans les années 2000 (Hélicoptères Tigre et NH90). Cependant, il sera opportun de tirer des retours d'expérience sur l'échec du projet de véhicule blindé modulaire (VBM) qui a fait l'objet de 2 tentatives de coopération à l'échelle européenne, associant dès 1993 la France et l'Allemagne, puis le Royaume-Uni et ceci pour des raisons liées peut-être à la divergence des doctrines d'emploi entre les trois pays4, éventuellement diplomatiques5 mais surtout, selon la Cour des comptes, au fait « qu'aucune procédure n'a permis de suivre, à un niveau décisionnel adéquat6, l'évolution du dossier de coopération, afin d'interrompre dans des délais acceptables une procédure manifestement vouée à l'échec ». Cet échec a abouti à la réalisation dans les années 2000 de véhicules blindés transport de troupes français (VBCI) et allemand (Boxer).

Enfin, il faut espérer que seront prises en compte non seulement les retours d'expérience de l'engagement en OPEX des chars Leclerc et Léopard, les déclarations suivantes :

  • de la ministre de la défense de la République allemande en mai 2015 (confer un article du Spiegel Online) qui a souhaité développer en partenariat avec la France un nouveau char de combat devant remplacer le char Leopard 2 dans les années 2030,

  • du délégué général pour l'armement (DGA) du ministère de la défense français lors d'une conférence de presse en mars 2017 qui a soutenu la nécessité de remplacer le char Leclerc sur la base d'une collaboration avec l'Allemagne.


1La version B de ce char lui permet de franchir en immersion les coupures humides avec un système amphibie.

2Ce dispositif permet l'embossement des chars et le dégagement des gravats dans les zones urbaines en urgence avant l'intervention des engins lourds sur roue du Génie.

3Le Panzer bataillon 414 (basé en Allemagne : Bergen-Hohne) comptera un escadron de blindés néerlandais (18 chars Leopard).

4C'est ainsi qu'en Allemagne la doctrine d'emploi des fantassins repose sur leur projection à proximité immédiate de leur objectif, tandis qu'en France, elle repose sur leur débarquement à proximité des tirs ennemis et une progression finale à pied vers l'objectif avec l'appui de l'armement de bord de l'engin de transport de troupes.

5Selon les termes de l'ingénieur en chef Louis Marchis directeur du programme VBCI (confer le rapport d'information n° 3254 de l'Assemblée nationale du 5 juillet 2006).

6Confer les termes de l'ingénieur général Vincent Imbert interrogé sur les possibilités d'interrompre une coopération manifestement vouée à l'échec : « Si le CASF (Comité d'architecture des systèmes de forces chargé de piloter l'action « Prospective des systèmes de forces » qui vise à « éclairer les choix nationaux qui vont permettre de définir l'outil de défense futur en contribuant à la construction européenne en matière de sécurité et de défense » ) avait existé plus tôt, il aurait pu mettre en évidence tous les facteurs, et notamment mettre en lumière les conséquences d'un éventuel retard. Il est vrai qu'en l'absence du comité d'architecture, on a sans doute été trop obnubilé par la nécessité d'une coopération ».