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Voeux du président Hollande : conjurer la peur de l'embauche ?

François Hollande, dans sa brève allocution du 31 décembre, a clairement affiché la priorité de l'emploi et de la compétitivité. Dans ce cadre, il a fixé aux négociations entre partenaires sociaux l'objectif de « conjurer deux peurs : la peur du licenciement pour les salariés, et la peur de l'embauche pour les employeurs ». Des termes qui pourraient (restons prudents) avoir une signification profonde, en orientant les négociations entre partenaires sociaux et en préfigurant ce que serait la politique du gouvernement si les partenaires ne parvenaient pas à s'entendre. C'est en tout cas ce que, dans cette période de vœux, on peut souhaiter. Mais est-ce possible et dans quel cadre ?

Le chef de l'État, se prononçant sur l'emploi et le chômage, n'a en effet pas parlé de conjurer le mal des pertes d'emplois. Il n'a pas évoqué de lutte contre les licenciements ni de durcissement des règles les concernant : il a parlé de conjurer la « peur du licenciement », ce qui doit signifier qu'il revient aux partenaires sociaux de négocier pour améliorer le sort des salariés lorsqu'ils sont licenciés – autrement dit remédier aux conséquences d'inévitables événements. S'adressant ensuite aux employeurs, il n'a pas entendu stigmatiser ceux qui licencient, mais appeler à ce que le droit du travail soit adapté pour conjurer la « peur de l'embauche », ce qui est tout à fait différent.

Si les termes employés doivent avoir un sens, et on peut penser qu'ils ont été soigneusement pesés en la circonstance, c'est à notre souvenir la première fois qu'un chef de l'État met aussi clairement l'accent sur le fait que la lutte contre le chômage dépend bien plus des embauches nouvelles que du maintien coûte que coûte des emplois existants, et sur l'attitude psychologique des chefs d'entreprise qui renoncent à embaucher par peur des conséquences si les choses tournent mal. Autrement dit, en franchissant audacieusement mais logiquement un pas très important, on pourrait en conclure que le chef de l'État, en brisant un tabou traditionnel, entend donner une certaine force à l'argument selon lequel, pour embaucher, il faut avoir la liberté d'adapter sa force de travail le cas échéant. Voilà qui met sérieusement en porte-à-faux la position de certains syndicats. Nous évoquons ci-dessous la position des deux principaux syndicats, dans la mesure où FO se révèle être un partenaire quasiment absent dans la négociation, ne formulant notamment aucune proposition.

La position de la CGT

La CGT, par la voix de Bernard Thibault, a prévenu qu'elle ne signerait rien. Elle s'en est prise au Medef, coupable selon elle d'exiger « depuis 25 ans » des mesures renforçant sans cesse la précarité et la flexibilité, et déclare s'y opposer complètement. « Les licenciements d'aujourd'hui ne font pas les emplois de demain » a déclaré l'ex-secrétaire général. Formule creuse et sans pertinence.

Creuse, la formule l'est parce qu'elle donne à penser que les entreprises qui veulent embaucher ne le feront que si elles commencent par licencier. Ce ne sont pas en réalité les mêmes entreprises qui sont concernées. Celles qui voient leur marché disparaître doivent adapter leur personnel, mais celles qui sont en expansion doivent pouvoir prendre sans peur de l'avenir le risque d'embaucher : c'est ce qu'a dit à juste titre le chef de l'État. D'ailleurs, il y a un cas emblématique récent où les licenciements ont été avec succès la condition préalable de futures ré-embauches, c'est celui de General Motors, passé par la case faillite, redevenu dans un temps record premier constructeur mondial, et devenu depuis le partenaire de notre PSA national…Voilà qui devrait donner à réfléchir à la CGT.

Sans pertinence dans le cadre des négociations actuelles sur l'emploi entre partenaires sociaux, la formule l'est aussi, parce que le Medef ne formule aucune proposition pour faciliter les licenciements ! Le Medef se borne au contraire à demander que par accord majoritaire entre syndicats et direction des aménagements au temps de travail et aux salaires puissent être décidés et s'imposer légalement à tous les salariés, ce afin précisément de garantir l'emploi (ce qui a été le cas des accords signés en 2012 à Sevelnord, chez Air France ou Poclain Hydraulics, et ce que Renault essaie aussi de promouvoir en ce moment et qui rencontre l'hostilité complète de la même CGT qui crie au chantage) [1]. C'est donc tout l'inverse de ce que prétend la CGT. On peut regretter que le Medef n'ait pas été plus loin afin de redéfinir plus largement la notion de cause réelle et sérieuse du licenciement, notamment en dehors des cas de licenciement économique, mais certainement pas lui reprocher de confondre licenciements et flexibilité. L'opposition frontale de la CGT traduit le décalage complet de la centrale par rapport aux objectifs de la négociation mise en place par les pouvoirs publics.

La position de la CFDT

A l'inverse de la CGT, la CFDT serait probablement prête à accepter certaines propositions du Medef et en particulier celle que nous venons d'évoquer, mais fait un préalable de l'acceptation par le Medef et la CGPME de la pénalisation financière des contrats précaires. C'est un point qui rencontre la position des pouvoirs publics, telle qu'elle apparaît dans la feuille de route rédigée par Michel Sapin, et qui a donc toutes les chances d'être imposée par la loi quelle que soit l'issue des négociations. Mais les syndicats patronaux s'y opposent à juste titre. En effet, pénaliser l'usage du CDD ne conduira pas les entreprises à embaucher en CDI, objectif que se propose la mesure. En renchérissant le coût du CDD, la mesure aura pour effet pervers de brider encore plus les embauches, sans permettre des embauches en CDI dont les entreprises se refusent de toute façon à prendre le risque. C'est donc contre-productif si l'objectif consiste, comme l'annonce le chef de l'État, à s'attaquer au chômage. Si ce dernier a bien identifié que le chômage a pour cause la « peur » de l'embauche, ce n'est évidemment pas en rendant cette embauche encore plus difficile en CDD, sans supprimer la cause de la peur de l'embauche en CDI, que le problème trouvera sa solution.

Alors, que conclure ?

La négociation entre partenaires sociaux prend une direction paradoxale si l'objectif essentiel est bien de conjurer la peur de l'embauche, comme l'indique le chef de l'Etat. Certes, faciliter la flexibilité selon la proposition du Medef permet de maintenir l'emploi dans la ligne des accords déjà signés chez PSA, Air France ou Poclain. Mais la négociation, si elle aboutit, n'apportera que la consécration légale de ces accords grâce à l'introduction de la règle de majorité, qui impliquerait qu'un accord signé par la majorité des salariés ne peut être remis en cause par un salarié ; et ils supposent de pouvoir parvenir à des accords avec les syndicats – ce qui rencontre l'hostilité de la CGT comme on le voit actuellement chez Renault. Ces dispositions sont de plus adaptées aux grandes entreprises mais difficilement susceptibles de s'appliquer dans les PME, encore plus dans les TPE, où les syndicats sont absents et où la procédure prévue risque d'être décourageante du fait de sa lourdeur et de sa complexité. Surtout, elles n'ont pas pour objet de s'attaquer au problème de la peur de l'embauche mais seulement à celui du maintien de l'emploi existant.

Quant à la pénalisation des contrats précaires, présentée comme un moyen de sécurisation de l'emploi, elle risque fort de manquer sa cible à tous propos. Comme nous l'avons vu, elle aura l'effet pervers de rendre encore plus difficile l'embauche, et n'apportera pas de sécurité aux salariés. Cette sécurité ne peut être obtenue que dans le cadre du volet sécurisation des parcours professionnels actuellement en discussion entre les partenaires sociaux, et qui consiste en deux mots à sécuriser le salarié et non l'emploi. Certaines avancées sont proposées par le Medef à ce sujet, mais nécessitent des négociations longues et complexes qui débordent largement le cadre des négociations actuelles qui sont censées aboutir dans les semaines qui viennent.

En résumé, les négociations en cours ne s'adressent que très insuffisamment au problème du chômage alors que celui-ci paraît être la priorité du gouvernement. Refaire du CDI la règle de l'embauche n'est possible que si l'on donne véritablement la possibilité aux entreprises d'adapter de façon continue leur force de travail au marché. Comme on l'a dit, les accords de maintien de l'emploi constituent une avancée significative et importante, mais difficilement applicable. Ces accords ne peuvent d'autre part jouer que dans le cas de difficultés économiques, alors que l'adaptation de la force de travail peut être nécessaire dans d'autres cas. Par ailleurs, la définition légale des difficultés économiques est beaucoup trop étroite, surtout dans la façon dont la conçoivent les tribunaux, et une évolution de la loi est ici nécessaire pour limiter le pouvoir d'appréciation de ces derniers (la règle de « l'employeur seul juge » n'est en France qu'une formule vidée de son sens). Enfin rien n'est fait pour faciliter les licenciements individuels, totalement absents des discussions, lorsqu'il se révèle que le travail d'un salarié ne correspond plus à celui qui est attendu de lui, que ce soit du fait de son comportement individuel ou de sa compétence.

Comme on le voit, le discours présidentiel permet d'espérer que le véritable problème a bien été identifié. Mais sa solution, à savoir comment remédier à la peur de l'embauche, passe par bien d'autres évolutions que celles dont la discussion a été actuellement assignée aux partenaires sociaux.

[1] Le Medef intitule sa proposition du 18 décembre « accords de maintien dans l'emploi », résultant d'une « négociation permettant de trouver un nouvel équilibre dans l'arbitrage global temps de travail/salaire/emploi, au bénéfice de l'emploi ».