Actualité

Temps de travail et coût du travail en France et en Allemagne

Les Français travaillent peu, mais cher, et gagnent peu

Les comparaisons sur la compétitivité de l'entreprise France par rapport à celle de l'Allemagne sont d'actualité. Le COE-Rexecode a consacré un imposant rapport sur le sujet, et le MEDEF vient de tenir une conférence de presse où sont mis essentiellement en exergue pour 2010 des différences considérables entre les deux pays, portant sur le coût du travail (37,2 euros par heure en France contre 30,2 euros en Allemagne), sur le taux de charges patronales sur les rémunérations (50,3% contre 28%), et sur la durée du temps de travail (39,4 heures par semaine contre 40,6). Ces statistiques récentes, reprises d'enquêtes Eurostat, paraissent surtout établir une forte détérioration de la situation de la France dans les années récentes.

L'exactitude et la signification des statistiques peuvent toujours être mises en cause, et Rexecode considère d'ailleurs que certaines d'entre elles sont « suspectes ». Il nous a semblé intéressant de reprendre le sujet sur la base de statistiques d'Eurostat plus anciennes mais aussi plus certaines, montrant que la question n'est pas nouvelle, et que les pays ont commencé à diverger sur certains points avant que les réformes Hartz de 2004 en Allemagne aient pu porter leurs effets.

Les Français travaillent peu.

Eurostat publie tous les quatre ans le résultat d'enquêtes normalisées pour les pays de l'UE. Un des groupes indicateurs est intitulé « Nombre de salariés, heures effectivement travaillées et rémunérées ». La dernière enquête quadriennale porte sur 2008, mais malheureusement les résultats pour la France ne sont pas connus, et on doit donc se référer à l'enquête 2004 pour avoir des renseignements. Les résultats disponibles portent uniquement sur les entreprises de 10 salariés ou plus (14,5 millions en France), et sur l'ensemble des activités NACE, sauf agriculture, administration publique, activités des ménages et activités extraterritoriales. Le tableau ci-dessous résume la situation.

2004 France Allemagne Ratio France/Allemagne
Population (millions) 62,5 82,4 -24%
Nombre de salariés (millions) 14,52 20,47 -29%
Heures rémunérées (Mds) 23,9 34,8 -30,3%
Heures travaillées (Mds) 19,1 28,8 -32,3%

Eurostat fournit aussi un autre indicateur sur le rapport heures rémunérées par rapport aux heures travaillées : il est en Allemagne de 1,18 et en France de 1,25.

La France se caractérise donc par un nombre de salariés nettement plus faible par rapport à la population. Ces salariés sont rémunérés pour un nombre d'heures légèrement plus faible proportionnellement au nombre de salariés. Ceci est difficile à interpréter, car d'un côté les 35 heures diminuent le nombre d'heures, mais de l'autre le travail partiel plus important en Allemagne joue en sens inverse. Enfin la proportion du nombre d'heures effectivement travaillées par rapport aux heures rémunérées est significativement plus faible en France qu'en Allemagne (-7,6%) (Voir encadré).

La France retient l'information sur le sous-travail

L'information disponible sur le rapport heures rémunérées/heures effectivement travaillées est à la fois surprenante et curieusement lacunaire. Non seulement il n'existe aucune information pour 2008, mais pour 2004 (ou 2000) nous ne disposons que d'un chiffre global portant sur toutes les activités hors administration publique, et surtout d'aucune information détaillée sur les secteurs publics administration et éducation. La France est, avec la Finlande et la Norvège, le seul pays à ne pas fournir d'information.

Par ailleurs, là où nous obtenons l'information, la France est systématiquement dernière, et en général d'assez loin. L'indice général français montre qu'un cinquième des heures rémunérées ne sont pas travaillées, ce qui est loin d'être négligeable. L'information est-elle lacunaire parce que les résultats sont désastreux ? En tout cas, ceci relance le sujet sur le phénomène bien français du sous-travail, souligné par le sociologue François Dupuy.

Les Français travaillent cher.

Si l'on écarte, provisoirement du moins, le chiffre de 2010 cité par le MEDEF qui paraît excessif, les statistiques Eurostat pour 2004 et 2007 (2008 n'est pas publié pour l'Allemagne) donnent les indications suivantes pour le coût horaire du travail :

Coût du travail
En euros courants Industrie et services Industrie
France Allemagne France Allemagne
2004 Coût horaire 28,46 26,90 28,58 29,10
Coût mensuel 3691 3758 3743 3969
2007 Coût horaire 31,24 27,80 31,16 30,60
Coût mensuel 3983 3892 4109 4176

Note :

- L'indice global industrie et services du coût horaire français est déjà supérieur en 2004, les années ultérieures n'ayant fait qu'amplifier la tendance. Dans l'industrie seule les coûts horaires restent proches, mais toujours supérieurs en France.
- Les coûts mensuels se sont croisés entre 2004 et 2007 dans l'indice global, et sont maintenant supérieurs en France. Ils sont toutefois plus proches que les coûts horaires, mais la durée moyenne du travail à temps complet est d'environ 40 heures en Allemagne. En résumé, un coût du travail maintenant supérieur en France, et qui a surtout fortement augmenté depuis 2004. Reste à confirmer, ou infirmer, l'indication apparemment inquiétante sur l'évolution depuis 2007.

Les Français gagnent peu.

Ceci est la conséquence à la fois des 35 heures et d'un salaire brut plus faible, lui-même étant en partie la conséquence de la structure du coût de la main-d'œuvre.

Note :
Pour un même salaire égal à 100 dans les deux pays, le salaire brut atteint 67,21 en France mais 76,70 en Allemagne, soit 14% de plus. Après prélèvements sur le salaire brut, il reste au salarié français 59,85, et 64,80 au salarié allemand, soit 10% de plus. Cette différence structurelle s'ajoute à celle provenant de salaires bruts intrinsèquement supérieurs en Allemagne.

Conclusion

Il reste fort à faire pour assurer à la fois la compétitivité de l'entreprise France et le pouvoir d'achat satisfaisant pour le salarié français. Depuis longtemps l'Allemagne et la France divergent, et ce serait une illusion que d'affirmer que l'Allemagne a tort depuis les réformes Schröder et qu'il suffit qu'elle veuille bien accepter de rentrer dans un rang dont on ne voit pas d'ailleurs qui en serait le modèle. Les salaires allemands vont d'ailleurs augmenter substantiellement pour faire mentir ceux qui, comme Jacques Attali, ne craignent pas de voir en l'Allemagne « l'homme malade de l'Europe ». Réfléchissons plutôt en France à revoir notre modèle social et son mode de financement – et aussi à travailler plus.