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Témoignage sur le temps de travail à l'hopital

Le professeur Michaël Peyromaure, chef de service d'urologie à l'hôpital Cochin de Paris, a rédigé une tribune publiée ici et sur la Figaro Vox, interpellant les internes de médecine sur les conséquences de la réforme du temps de travail à l'hopital. 

Mesdames et messieurs les internes, ne vous laissez pas abuser!

Le décret qui vient d'entrer en vigueur est un trompe-l'œil: au lieu de vous aider, il vous desservira. Ce décret prévoit de limiter votre temps de travail hebdomadaire à 48 heures. S'il est appliqué à la lettre, vous ne travaillerez plus que huit demi-journées à l'hôpital, et passerez deux autres demi-journées de formation en dehors de votre service d'affectation.

Ne croyez surtout pas que le gouvernement vous a fait un cadeau. Sous couvert d'une «avancée sociale» -un de vos représentants syndicaux a osé reprendre le terme- cette mesure vous dévalorise. Au lieu d'augmenter votre salaire dérisoire de 1400 euros, ce qui aurait été une vraie marque de respect, la ministre de la Santé vous rabaisse et vous transforme en super-étudiants. Les tâches administratives, le principe de précaution et la judiciarisation de la médecine ont déjà beaucoup affaibli votre position. En acceptant le repos de sécurité après chaque garde, devenu obligatoire, vous avez certes gagné une meilleure qualité de vie, mais perdu tellement de prestige! Il y a encore une vingtaine d'années, être interne à l'hôpital signifiait y passer la plupart de son temps. L'interne assurait la continuité des soins auprès des malades, il en avait la responsabilité et en recevait les honneurs. Aujourd'hui, vous conservez un rôle important et restez prescripteurs, mais vous n'êtes déjà plus tout à fait décideurs. Ne vous faites pas d'illusions: en réduisant encore votre présence dans les services, vous serez progressivement relégués au rang de stagiaires, voire d'observateurs. Avez-vous réalisé que ce décret vous retire l'équivalent d'une année d'apprentissage ? Acceptez-vous le mépris à peine masqué de ce texte, qui vous accorde un «temps de pause de 15 minutes par demi-journée» ? Vous qui avez suivi de si longues études, puis choisi un métier noble et difficile, allez-vous devenir des fonctionnaires ?

Le décret va nuire non seulement à votre formation, mais également à l'hôpital.

À défaut de payer les gens à leur juste valeur, nos gouvernants s'emploient à réduire leur temps de travail. La mise en place des 35 heures à l'hôpital public, pour certains personnels non médicaux, est notre pire boulet. Entre les millions d'heures supplémentaires non payées, les journées de RTT, souvent non prises par manque d'effectifs et accumulées sur des comptes épargne-temps (pour 75 millions d'euros rien qu'à l'Assistance publique de Paris), et le recours au personnel intérimaire, les 35 heures sont à la fois un frein à l'activité et un gouffre financier.

Pour justifier que vous devez moins travailler, le ministère précise qu'il s'agit d'une règlementation européenne. Mais savez-vous que dans beaucoup de pays d'Europe, la formation pratique des internes est nettement moins bonne que chez nous? Qu'un interne de chirurgie en Italie participe rarement au bloc opératoire, et qu'il doit se contenter de la paperasse, des perfusions et des pansements? Que les internes français sont parmi les meilleurs, justement parce que leur formation repose sur un compagnonnage de terrain et sur beaucoup d'investissement? Et que vos collègues allemands, anglais, italiens ou espagnols sont bien plus nombreux et mieux payés que vous? En restreignant votre présence sans augmenter vos effectifs, le décret va évidemment pénaliser les soins. Pour tenter d'y remédier, l'hôpital fera ensuite appel à des résidents étrangers, encore moins bien rémunérés que vous. Car, il faut bien le reconnaitre, nos hôpitaux deviennent experts en médecine low-cost. Quelle ironie du sort! Au moment même où la direction de l'Assistance publique parle enfin d'assouplir les 35 heures pour les agents hospitaliers, la ministre vous impose les 48 heures !