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SMIC, pouvoir d'achat et chômage

Pourquoi il faut supprimer le salaire minimum universel

Le salaire minimum français a la particularité d'être le plus exigeant et le plus rigide de tous les pays. En Europe, sept pays ne connaissent pas de salaire minimum, dont le Danemark et l'Allemagne qui ne sont pas des pays de bas salaires ni ceux où règne le plus l'inégalité. La France est le pays où le Smic horaire est le plus élevé, Luxembourg exclu, et le seul qui présente la particularité d'être à la fois fixé par la seule intervention du législateur, sans négociation entre partenaires sociaux, totalement rigide et s'appliquant de façon uniforme à tous les salariés sans distinction d'âge, d'activité ni de région, et révisable de façon automatique.

La France est aussi le pays où l'écrasement des salaires est le plus important (avec un rapport de 62,7% entre salaire minimum et salaire médian, en réalité davantage si l'on tient compte de la prime pour l'emploi, complément automatique qui augmente le Smic d'un douzième environ).

Comme le relèvent la plupart des économistes, un salaire minimum élevé a un effet défavorable sur l'emploi, surtout pour les jeunes qu'il écarte du marché du travail (configuration caractéristique insiders/outsiders, les personnes les plus âgées ayant un emploi poussant le salaire minimum vers le haut afin d'accroître leur propre rémunération et empêchant de la sorte les jeunes peu qualifiés d'accéder au monde du travail, comme le relève l'économiste Pierre Cahuc). Par ailleurs, le Smic compte tenu de ses contraintes et de l'exclusion du marché du travail qu'il provoque, n'est une réponse ni à la pauvreté ni à la réduction des inégalités.

Il faut ajouter un phénomène méconnu qui tient aux inégalités de salaires entre petites et grandes entreprises, et aussi selon les branches d'activité, et se traduit par l'extrême gêne que présente le niveau du Smic pour les TPE et PME. Alors que dans les entreprises de 500 salariés et plus 3,4% seulement des effectifs sont concernés par le Smic (6% dans l'administration), la proportion atteint en moyenne 24,3% dans les entreprises comptant entre 1 et 9 salariés et environ 10% entre 10 et 100 salariés.

En ce qui concerne les secteurs d'activité, l'hébergement-restauration (si important pour le tourisme) compte 37,6% d'effectifs au Smic, et le secteur des fruits et légumes, où le travail représente 60% du coût de production, et qui compte 950.000 saisonniers et 86.000 entreprises, souffre considérablement de la concurrence de tous les pays qui nous entourent, qui ont des salaires minima beaucoup plus bas ou modulables, au point que pour la FNPL (Fédération nationale des producteurs de légumes) le coût du travail est responsable de 15% de la diminution de la surface cultivée (en légumes non secs). Dans ce dernier secteur, le gouvernement a d'urgence dû débloquer des aides et supprimer les charges sociales, fait sans précédent et évidemment très coûteux pour les finances publiques.

Les grandes centrales syndicales, présentes surtout dans les grandes entreprises, poussent le Smic vers le haut, ce qui ne représente guère un problème pour ces entreprises, mais provoque une gêne considérable pour les TPE et PME. En résumé l'uniformité d'un Smic élevé s'avère très défavorable pour l'emploi des jeunes, en général pour les petites entreprises, et plus encore dans certains secteurs en particulier. Comment remédier à ce problème ? Le Smic est véritable tabou en France, qui « fait partie de notre contrat social » comme le relève le Conseil d'Orientation de l'Emploi, qui pour cette raison reste opposé à la modulation du Smic, que ce soit selon l'âge, les régions ou les secteurs. Les malheureuses expériences du contrat d'insertion professionnel et du CPE découragent toute initiative en ce sens, bien que leur caractère raisonnable et économiquement justifié soit généralement reconnu.

A l'heure actuelle, les palliatifs ont été trouvés dans les exonérations de charges sociales patronales, soit partielles (26 à 28% dans le cas général du Smic) soit totales dans certains secteurs. Mais cela ne suffit pas dans la plupart des cas pour assurer la compétitivité des entreprises françaises, et c'est évidemment extrêmement coûteux pour les finances publiques. La dernière expérience en ce sens a été le dispositif « zéro charges » qui aurait créé 100.000 emplois, dont 64% de jeunes de moins de 26 ans. L'expérience a dû être interrompue en 2010 en raison de son coût pour l'État.

Une raison essentielle de l'apparente impossibilité de trouver une solution réside, comme souvent en France, dans l'immixtion permanente du pouvoir politique dans les matières qui ne devraient relever que de la négociation entre partenaires sociaux. Le récent débat sur la hausse du Smic montre jusqu'à la caricature comment le rôle du pouvoir politique joue comme un alibi pour le pouvoir syndical, porté aux revendications les plus fantaisistes et irresponsables dans la mesure où il peut renvoyer la décision à ce pouvoir politique en s'en lavant les mains. La CGT réclame ainsi en ce moment un Smic à 1.700 euros bruts, et de son côté FO demande un Smic à 80% du salaire médian, soit 1.320 euros nets, en augmentation de plus de 22% (ce qui ferait de la France un pays avec des salariés smicards pour 40 à 50% d'entre eux)…

Mais lorsque les mêmes syndicats négocient les grilles de salaires dans le cadre des accords de branche, ils sont contraints de se montrer beaucoup plus raisonnables, car la discussion se passe cette fois au niveau de l'intérêt des entreprises et du maintien de l'emploi, et non plus à celui des revendications, plus politiques, relatives au pouvoir d'achat. Il faut donc dépolitiser le plus possible le débat, et replacer la négociation au niveau des partenaires sociaux et des branches, en tant que partie des grilles de salaires. On sait par exemple qu'une augmentation de 2% des prix intervenant en cours d'année, ce qui va probablement être le cas en septembre ou octobre de cette année, provoquerait automatiquement un nouvel ajustement du Smic après son passage à 9 euros en janvier dernier. De ce fait, la majorité des salaires minima des branches vont se trouver de nouveau au-dessous du Smic, contraignant l'État à brandir les sanctions prévues dans ce cas… ou à les repousser une nouvelle fois.

Plutôt que d'édicter des réglementations inapplicables, la fixation des salaires minima ne devrait relever, avec la grille des salaires, que des négociations de branche entre partenaires sociaux. Rappelons qu'en Allemagne l'État a selon la Constitution interdiction d'intervenir dans la fixation des salaires et conditions du travail. En résumé, des Smics variables et négociés entre partenaires, des « Smib » (salaires de branche) pourrait-on dire. Quant au problème du Smic jeunes, il pourrait être de même réservé à la négociation. Cependant, vu le tabou dont la question fait l'objet, il semble n'y avoir pas d'autre solution réaliste que de jouer sur les charges sociales, en instituant par exemple le « zéro charges » pour cette catégorie.