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SeaFrance, la SNCF, la CFDT et l'Etat

Travaillant dans une filiale de la SNCF, les salariés de la compagnie de ferries transmanche SeaFrance, ont sans doute cru que leur entreprise serait indéfiniment soutenue par l'État, comme l'est leur maison mère. Leur désespoir est compréhensible et poignant. Mais faut-il continuer à entretenir des illusions ?

Depuis 2003, SeaFrance n'a eu que trois fois des résultats positifs, et les bénéfices de ces années-là sont minces par rapport au niveau des pertes des autres années. En 2009, la SNCF avait proposé un plan de redressement prévoyant la suppression de la moitié des effectifs. Après une série de grèves et de blocages du port de Calais, en 2010 les pertes représentaient 20% du chiffre d'affaires, la trésorerie de SeaFrance était négative de 80 à 85 millions d'euros et cette société avait été placée en redressement judiciaire.

Résultat financier de SeaFrance
En Millions € 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Résultat net -2 +5 -9 +8 +7 -13 -58 -36

La situation aurait pu continuer indéfiniment et un nouveau plan de renflouement et de restructuration de cette entreprise, financé par une subvention de la SNCF ou de l'État, allait être mis en place.

La commission de Bruxelles

Comme souvent, il aura fallu que la Commission intervienne pour nous protéger contre nos mauvais penchants, les mêmes qui nous ont conduits à ne pas respecter le critère de 3% de déficit et à accumuler des dettes insoutenables. Très logiquement, et conformément aux engagements pris par la France, Bruxelles a indiqué qu'un tel soutien serait injuste vis-à-vis des concurrents, ferroviaire avec Eurotunnel ou maritimes, et qu'il fallait trouver une autre solution impliquant notamment un acteur privé.

Un repreneur

Conformément à la loi, le Tribunal de commerce a donc fait appel à des repreneurs. Un seul semble s'être manifesté, un armateur opérant des lignes similaires à celles de SeaFrance. Comme on pouvait le craindre, son projet ne conservait que 460 emplois sur les 760 existants, une mesure sévère pour les salariés eux-mêmes et pour la région de Calais. Emmenée par un leader charismatique, la CFDT locale a catégoriquement rejeté cette offre au point de décourager le candidat repreneur, et proposé de créer une Société Coopérative (Scop). Sollicitée, même la Caisse des Dépôts et Consignations a refusé d'investir dans ce projet.

La CFDT condamne la CFDT

La Scop proposée ne semblant pas viable puisque ne disposant pratiquement d'aucun capital et apparemment pas non plus de projet industriel novateur, la direction nationale de la CFDT condamne le jusqu'au-boutisme de la CFDT locale : « Les porteurs de la Scop ont découragé d'éventuels repreneurs (…) qui s'engageaient à maintenir une partie importante des emplois. »

Un nouveau plan de sauvetage

Le 2 janvier 2012, devant la perspective de disparition totale de SeaFrance et la perte de la totalité des emplois, et face à la surenchère de l'opposition à 5 mois des élections, le gouvernement propose un nouveau plan de soutien à SeaFrance et à la Scop (un mon­tage finan­cier dans lequel la SNCF verserait des indemnités excep­tion­nelles aux sala­riés pour leur per­mettre de les réin­jec­ter dans la coopé­ra­tive) : les salariés ont pour l'instant refusé cette proposition. L'hypothèse optimiste est qu'il s'agit de mettre les intéressés face à leurs responsabilités. La pessimiste est qu'il s'agit d'un nouveau plan de soutien suffisamnent indirect et complexe pour ne pas être à nouveau retoqué par Bruxelles.

Le désespoir des salariés de SeaFrance, très mal préparés aux réalités économiques au sein du cocon SNCF, est compréhensible : leurs collègues de Fret-SNCF ne sont pas menacés de perdre leurs emplois malgré une baisse de 50% du trafic et des pertes récurrentes. Mais leur donner de faux espoirs serait moins acceptable que jamais en 2012. Le rôle des responsables politiques et de l'administration est de créer un environnement économique, social et sociétal favorable à l'emploi, mais surtout pas de s'immiscer dans la gestion des entreprises. Quant au rôle des syndicats il n'est certainement pas de décourager les potentiels repreneurs d'entreprises en difficultés.